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23/01/2024

Pierre Chappuis, Éboulis et autres poèmes

                              Pierre Chapppuis, Éboulis et autres poèmes, herbe

                              Éboulis

 

L’herbe est râpée. L’alpage, usé au point de lâcher.

 

Des arêtes percent et des moignons, des dents.

 

À ces confins se terrent encore de précaires abris ; dans les cailloux des moutons paissent.

 

Plus que de rares lichens.

 

Plus d’herbe, bien que s’enhardisse un papillon trompé par la chaleur de midi.

(...)

 Pierre Chappuis, Éboulis & autres poèmes, éditions Empreintes, 2005, p. 95-96.

05/09/2023

Olivier Domerg, La Verte traVersée

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VERT, la rassérénante vibration !

VERT, l’apaisante ivresse du regard !

VERT, la puissance des commencements ;

Champ des possibles et des rénovations,

Virginité toujours réactivée !

VERT pur de l’herbe pure dans l’air pur :

Fraîcheur. Espace un brin velouté,

Le Cantal aura pour nous cet égard !

La peau du monde est la peau du mont,

Douce, et caressante au toucher, bien sûr !

 

Les sensations sont celles du dehors :

VERT, le vif surgissement de la flore !

Les vagues, nous viennent, plus lumineuses,

VERT, l’émotion de l’émulsion herbeuse !

Aucun mot ne rend grâce à la prairie,

À son assomption, son événement.

C’est une ouverture, une épiphanie ;

N’y cherchez pas l’ombre d’un sentiment :

Elle exprime le besoin nécessaire

Que nous avons du VERT, parfois du VERS.

 

Olivier Domerg, La Verte traVersée,

L’Atelier contemporain, 2022, p. 278-279.

26/04/2022

Edmond Jabès, Le Livre des Marges

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                              V’herbe

 

   Écrire, pour moi, aura consisté, jour après jour, à sauvagement arracher du sol, herbe et racines intruses ; puis à refuser de fertiliser mes terres en les écobuant.

 

   Aucune survie dans cette mort-là ; mais une sur-mort impitoyable.

 

   Mettre en cause les jardins, c’est mettre en cause ce qui flatte l’odorat et le regard.

   Point de parfum dans le désert ; point d’enchantement ; mais l’âcre odeur de l’éternité spoliée, la désaffection des formes glorieuses ; la mise en accusation de l’œil.

   Tous les moments de la vie ont leur parfum. Sortie du corps, la vie ne sent plus rien.

(...)

 

Edmond Jabès, Le Livre des Marges, Biblio/Essais, 1984, p. 105.

15/06/2021

Bashô Seigneur ermite

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Dans cette maison pleine d’affection

ignorant l’hiver

le décorticage du riz, un bruit de grêle

 

Oreiller d’herbes —

est-il triste trempé par l’averse d’hiver

ce chien hurlant à la nuit ?

 

Neige sur neige —

ah ! cette lumière de décembre,

celle de la lune claire

 

Errant comme un corbeau —

les pruniers en pleine floraison

comme autrefois

 

Sur le chemin montagneux

une violette me fascine

sans raison

 

Bashô, Seigneur ermite, traduction Makoto Kemmoku et Dominique Chipot, La Table ronde, 2012, p. 104,111,112, 118, 121.

24/02/2020

Ossip Mandelstam, Verbe et culture

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                                    Verbe et culture

   L’herbe dans les  rues de Pétersbourg, ce sont les primes pousses de la forêt vierge qui recouvrira le site des villes actuelles. Ce vert tendre, vif, dont la fraîcheur surprend, est le signe d’une nature neuve, inspirée. En vérité Pétersbourg est la ville du monde la plus en avance. Ce n’est ni le métropolitain ni les gratte-ciel qui mesurent cette course à la modernité, la vitesse, mais la jeune herbe en train de percer sous les pierres de la ville.

[...]

Ossip Mandelstaù, Verbe et culture, dans Œuvres en prose, Le Bruit du temps, 2018, p. 320.

20/01/2018

Haïku, anthologie du poème court japonais

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Pas de pont —

le jour se couche

dans les eaux du printemps

Yosa Buson

 

Au printemps qui s’en va

les oiseaux crient —

les yeux des poissons en larmes

Matsuo Bashô

 

Jour de brume —

les nymphes du ciel

auraient-elles du vague ) l’âme ?

Kobayashi Issa

 

À la surface de l’eau

des sillons de soie —

pluie de printemps

Ryôkan

 

Dans les jeunes herbes

le saule

oublie ses racines

Yosa Buson

 

Haïku, anthologie du poème court japonais,

traduction Corinne Atlan et Zéno Bianu,

Poésie / Gallimard, 2002, p. 29, 32, 34, 36, 53.

 

23/12/2016

Jules Supervielle, Oublieuse mémoire

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             Oublieuse mémoire

 

Pâle soleil d’oubli, lune de la mémoire,

Que draines-tu au fond de tes sourdes contrées ?

Est-ce donc là ce peu que tu donnes à boire

Ces gouttes d’eau, le vin que je te confiai ?

 

Que vas-tu faire encor de ce beau jour d’été

Toi qui me changes tout quand tu ne l’as pas gâté ?

Soit, ne me les rends tels que je te les donne

Cet air si précieux, ni ces chères personnes.

 

Que modèlent mes jours ta lumière et tes mains,

Refais par-dessus moi les voies du lendemain,

Et mène-moi le cœur dans les champs de vertige

Où l’herbe n’est plus l’herbe et doute sur sa tige.

 

Mais de quoi me plaignais-je, ô légère mémoire,

Qui avait soif, Quelqu’un ne voulait-il pas boire ?

 

Jules Supervielle, Oublieuse mémoire, dans Œuvres poétiques

complètes, édition Michel Collot, Pléiade/Gallimard,

1996, p. 485.

11/06/2015

Pascal Commère, Des laines qui éclairent

 

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Seraient-ils perdus une fois encore les mots,

par la terre brune et collante qui entérine

en silence toute mort en juin comme une boule

de pluie sur tant d'herbe soudain qui verse, avec

dans la poitrine ce serrement, par les collines

presque en haut, quand la route espérée dans un virage

d'elle-même tourne et disparaît... Je reconnais

le menuisier qui rechignait au guingois des portes

cependant que vous gagnez en ce jour de l'été

la terre qui s'est tue, humide et qui parlait

dans votre voix soucieuse ; à chaque mot j'entends

le travers du roulis des phrases le tonnerre

d'un orage depuis longtemps blotti dans l'œuf, la coque

se fissure — sont-ce les rats qui remontent, ou le râle

des bêtes hébétées dans l'été, longtemps résonne,

comme les corde crissent, lente votre voix digne

par-dessus l'épaisse terre menuisée, les vignes

bourrues... Et sur mon épaule, posée, la douceur

ferme de votre main pèse sans appuyer.

 

Pascal Commère, De l'humilité du monde chez les bousiers (1996),

dans Des laines qui éclairent, Le temps qu'il fait, 2012, p. 211.

 

 

           

14/04/2015

Eugène Savitzkaya, Fraudeur

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   Mais qu’est-ce qu’un verger sans l’herbe, sans la couleur de l’herbe, sans la douceur de l’herbe, l’herbe à sifflets stridents ou adoucis pour imiter le cri de la poule faisane ? Qu’est-ce qu’un verger sans la fétuque, sans le pissenlit, sans la patience ? l’herbe qui amortit les chutes, l’herbe qui nourrit les lapins et les oies. À chaque brin d’herbe, un vœu : que la mère guérisse, que les prunes soient nombreuses, que le pêcher revive, que les cerises brillent de jus frais, que les jambes de Marie-Claire s’ouvrent et se ferment sur son beau sexe rougi, fesses sur la pierre du seuil de sa maison, qu’apparaisse le chevreuil égaré en plaine, que l’ennemi se détourne, que la truite se laisse prendre dans le barrage de fortune sur le ruisseau limpide du parc du château, que le baron ne survienne pas son fusil à l’épaule quand on est bien au frais sous la cascade dans le trou d’eau, que la neige soit abondante, que le père soit moins brutal, que le brouillard de novembre soit épais sur les champs et que le bois des tombes demeure invisible, que les oies s’envolent enfin et disparaissent dans le ciel, que la rhubarbe soit tendre, que les oreilles des lapins soient douces, que l’été soit chaud, que viennent bien les pivoines blanches et les pivoines rouges, que les branches des cassis soient chargées de baies, que l’école s’arrête, que le trésor soit trouvé près de l’antique glacière du parc du château.

 

Eugène Savitzkaya, Fraudeur, éditions de Minuit, 2015, p. 48-49.

18/04/2014

Issa, Sous le ciel de Shinano

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pluies de printemps

réchappé des menus de fête

un canard chante

 

sous les cerisiers ce soir

aujourd'hui déjà

est bien loin

 

quiétude

au fond du lac

la cime des nuages

 

herbes échevelées

le froid se sent

rien qu'à vue d'œil

 

sur l'azur

tracer un caractère

— couchant d'automne

 

au soir

parlant avec la terre

les feuilles tombent

 

Issa, Sous le ciel de Shinano, choix et

traduction par Alain Gouvret et Nobuko

Imamura, Arfuyen, 1984, np.

14/03/2014

Philippe Jaccottet, L'Ignorant, dans Œuvres

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            Chanson

 

  Qui n'a vu monter ce rire

comme du fond du jardin

la lune encore peu sûre ?

Qui n'a vu s'ouvrir la porte

au bout de l'allée de pluie ?

 

(Ah ! qui entre dans cette ombre

ne l'oublie pas de sitôt !)

 

  Les bras merveilleux de l'herbe

et ses ruisselants cheveux,

la flamme du bois mouillé

tirant rougeur et soupirs...

 

(Qui s'enfonce dans cette ombre

ne l'oubliera de sa vie !)

 

  Qui n'a vu monter ce rire...

Mais toujours vers nous tourné,

on ne peut qu'appréhender

sa face d'ombre et de larmes.

 

Philippe Jaccottet, L'Ignorant, dans Œuvres, préface de Fabio Pusterla, édition établie par José-Flore Rappy, Pléiade /Gallimard, 2014, p. 147.