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22/04/2015

Bernard Noël, "De gauche autrement" [1991], dans L'Outrage aux mots

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                            De gauche autrement [1991]

 

[...]

   Il y a de quoi mourir de rire à la pensée que nos grands-pères se sont battus pour le droit au travail — seul droit que les régimes totalitaires de l’Est ont respecté au grand dommage apparemment de l’économie — et que la première conséquence de la liberté, à l’Est, est la mise au chômage d’une partie de la population.

   Depuis toujours, la pensée politique est orientée vers la prise du pouvoir, et par conséquent vers sa conservation. Cela s’exprimait autrefois par l’hérédité du pouvoir absolu. La succession démocratique a introduit la relativité — jusqu’à quel point ? Et l’instauration du pouvoir économique ne rétablit-elle pas le pouvoir absolu, mais masqué ?

   Le comble du génie politique est de faire admettre à l’opprimé la nécessité de son oppression. Le chômage remplit très bien cette fonction. rien n’est plus terrible dans l’Histoire que d’y observer la permanence d’un complexe de servilité, qui a toujours permis l’exploitation consentante de la majorité.  la logique de cette permanence aboutit à ce pouvoir économique intelligent, brutal et universel.

   Comment être de gauche autrement ? Peut-être une pensée politique nouvelle doit-elle se placer dans le déchirement absolu qui, au lieu de la conduire vers l’ordre et la gestion, lui ferait supporter le point de vue de sa propre destruction ? Une telle pensée ne saurait conduire à l’appropriation. [...] Toute pensée forte travaille dans la vision de sa propre mort et non dans le développement de son pouvoir, qui l’aveuglerait.

 

Bernard Noël, « De gauche autrement » [1991], dans L’Outrage aux mots, Œuvres III, P.O.L, 2011, p. 386-387.

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