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08/04/2023

Yves Bonnefoy, La Vie errante

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           Une pierre

 

J’ai toujours faim de ce lieu

Qui nous était un miroir,

Des fruits voûtés dans son eau,

De sa lumière qui sauve,

 

Et je graverai dans la pierre

En souvenir qu’il brilla

Le cercle, ce feu désert

Au-dessus le ciel est rapide

 

Comme au vœu la pierre est fermée.

Qe cherchions-nous ? Rien peut-être,

Une passion n’est qu’un rêve,

Nos mains ne demandent pas,

 

Et de qui aima une image,

Le regard a beau désirer,

La voix demeure brisée,

Ma parole est pleine de cendres.

 

Yves Bonnefoy, La Vie errante, dans Œuvres poétiques,

Pléiade/Gallimard, 2023, p. 682.

14/04/2015

Eugène Savitzkaya, Fraudeur

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   Mais qu’est-ce qu’un verger sans l’herbe, sans la couleur de l’herbe, sans la douceur de l’herbe, l’herbe à sifflets stridents ou adoucis pour imiter le cri de la poule faisane ? Qu’est-ce qu’un verger sans la fétuque, sans le pissenlit, sans la patience ? l’herbe qui amortit les chutes, l’herbe qui nourrit les lapins et les oies. À chaque brin d’herbe, un vœu : que la mère guérisse, que les prunes soient nombreuses, que le pêcher revive, que les cerises brillent de jus frais, que les jambes de Marie-Claire s’ouvrent et se ferment sur son beau sexe rougi, fesses sur la pierre du seuil de sa maison, qu’apparaisse le chevreuil égaré en plaine, que l’ennemi se détourne, que la truite se laisse prendre dans le barrage de fortune sur le ruisseau limpide du parc du château, que le baron ne survienne pas son fusil à l’épaule quand on est bien au frais sous la cascade dans le trou d’eau, que la neige soit abondante, que le père soit moins brutal, que le brouillard de novembre soit épais sur les champs et que le bois des tombes demeure invisible, que les oies s’envolent enfin et disparaissent dans le ciel, que la rhubarbe soit tendre, que les oreilles des lapins soient douces, que l’été soit chaud, que viennent bien les pivoines blanches et les pivoines rouges, que les branches des cassis soient chargées de baies, que l’école s’arrête, que le trésor soit trouvé près de l’antique glacière du parc du château.

 

Eugène Savitzkaya, Fraudeur, éditions de Minuit, 2015, p. 48-49.