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10/04/2015

René de Obaldia, Exobiographie

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                            Pot-pourri

 

   Vingt heures, les actualités télévisées.

   Le présentateur des informations, avant même qu’il n’ouvre la bouche, offre aux téléspectateurs un visage tragique : lèvres pincées, regard douloureux, front barré par un pli hertzien. Peut-être que sa mère vient de succomber à une crise cardiaque ? Peut-être les valeurs françaises se sont-elles effondrées ? La guerre serait-elle à notre porte ?... Il l’ouvre, la bouche. Nous apprenons alors le sujet de son affliction : l’OM (entendre, l’équipe de football de l’Olympique de Marseille) vient d’être battue en coupe d’Europe par les Tchèques du Sparta, de Prague. Deux buts à un.

   Passage devant nos yeux des différentes phases du match, commentaires à n’en plus finir, interview du capitaine de l’équipe fort mécontent ; il laisse entende que si ses joueurs n’avaient pas perdu, ils auraient certainement gagné. Au ralenti, cette fois, nous voyons le moment où le ballon français, projeté par un pied français, a tout de même réussi à tromper la vigilance du goal tchèque (sinon slovaque). Le seul but. Mais quel but !

   Après cet événement capital, le mercenaire du petit écran reprend quelque peu visage humain ; abordant la politique de notre pays, il évoque les états d’âme du « centre droit » (s’agit-il encore de football ?) puis, sur un ton neutre, à la limite du badin, il nous informe qu’un typhon s’est abattu sur les Philippines, le typhon Thelma, causant cinq mille morts, trois cent disparus, deux mille sans-abri. Bilan provisoire. Il nous glisse peu après que la ville de Vukovar, en Croatie, est pratiquement rasée, rayée de la carte par l’armée fédérale serbe ; aussi, Dubrovnik assiégée depuis une vingtaine de jours — ses habitants sont privés d’eau et d’électricité — connaît une recrudescence de combats ; l’artillerie, toujours serbe, bombarde maintenant le centre de la cité médiévale.

   Enfin, et voici que le faciès de notre homme-tronc s’illumine, dans quelques instants claironne-t-il, à l’occasion du festival de musique rock qui va se dérouler au Palais des Congrès, il va recevoir sur le plateau le chanteur-débile-à-succès-du-jour –trois cent cinquante mille disque déjà vendus dans l’année.

   Cela se passait en l’an de grâce 1991, le 6 novembre, très exactement.

 

René de Obaldia, Exobiographie, Les Cahiers rouges, Grasset, 1993, p. 366-367.