12/05/2019
René de Obaldia, Innocentines
Dimanche
Charlotte
Fait de la compote.
Bertrand
Suce des harengs.
Cunégonde
Se teint en blonde.
Épaminondas
Cire ses godasses
Thérèse
Souffle sur la braise.
Léon
Peint des potirons.
Brigitte
S’agite, s’agite.
Adhémar
Dit qu’il en a marre.
La pendule
Fabrique des virgules.
Et moi dans tout cha ?
Et moi dans tout cha ?
Moi, ze ne bouze pas
Sur ma langue z’ai un chat.
René de Obaldia, Innocentines,
Grasset, 1989, p. 81-82.
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30/07/2018
René de Obaldia, Exobiographie
Photo RFI
Pensées aléatoires
La nuit, l'aveugle descendait dans le jardin et caressait les vers luisants.
Patience ! Patience ! Il arrive un moment où même nos ennemis sont devenus vieux.
Je suis plus riche de ce que j'ignore que de ce que je sais.
Faire un film où il n'y aurait ni voiture, ni téléphone, ni coups de feu : un film oulipo.
Je ne me donne pas mon âge.
Même le plus grand comédien n'est qu'un comédien.
Vivants, paumes des morts.
Du désagrément de vieillir : ou bien mes amis meurent, ou bien ils se font décorer.
Si, passant devant une glace, il vous arrive de voir un étranger à votre place, évitez de faire des grimaces ; baissez simplement les épaules et continuez votre chemin.
Horreur des nouveaux-nés, des nourrissons : ils ne songent qu'à eux-mêmes.
La « bêtise galopante », comme, lorsque j'étais jeune, la phtisie.
Il faut voler du temps au temps.
René de Obaldia, Exobiographie, Mémoires [1991], édition augmentée, "Les Cahiers rouges", Grasset, 2011, p. 321, 321, 322, 322, 322, 322, 323, 323, 324, 324, 324, 325, 325.
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01/01/2018
René de Obaldia, Innocentines
Dimanche
Charlotte
Fait de la compote
Bertrand
Suce des harengs
Cunégonde
Se teint en blonde
Épaminondas
Cire ses godasses
Thérèse
Souffle sur la braise
Léon
Peint des potirons
Brigitte
S’agite, s’agite
Adhémar
Dit qu’il en a marre
La pendule
Fabrique des virgules
Er moi dans tout cha ?
Et moi dans tout cha ?
Moi, ze ne bouge pas
Sur ma langue z’ai un chat
René de Obaldia, Innocentines,
Grasset, 1969, p. 81-82.
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10/04/2015
René de Obaldia, Exobiographie
Pot-pourri
Vingt heures, les actualités télévisées.
Le présentateur des informations, avant même qu’il n’ouvre la bouche, offre aux téléspectateurs un visage tragique : lèvres pincées, regard douloureux, front barré par un pli hertzien. Peut-être que sa mère vient de succomber à une crise cardiaque ? Peut-être les valeurs françaises se sont-elles effondrées ? La guerre serait-elle à notre porte ?... Il l’ouvre, la bouche. Nous apprenons alors le sujet de son affliction : l’OM (entendre, l’équipe de football de l’Olympique de Marseille) vient d’être battue en coupe d’Europe par les Tchèques du Sparta, de Prague. Deux buts à un.
Passage devant nos yeux des différentes phases du match, commentaires à n’en plus finir, interview du capitaine de l’équipe fort mécontent ; il laisse entende que si ses joueurs n’avaient pas perdu, ils auraient certainement gagné. Au ralenti, cette fois, nous voyons le moment où le ballon français, projeté par un pied français, a tout de même réussi à tromper la vigilance du goal tchèque (sinon slovaque). Le seul but. Mais quel but !
Après cet événement capital, le mercenaire du petit écran reprend quelque peu visage humain ; abordant la politique de notre pays, il évoque les états d’âme du « centre droit » (s’agit-il encore de football ?) puis, sur un ton neutre, à la limite du badin, il nous informe qu’un typhon s’est abattu sur les Philippines, le typhon Thelma, causant cinq mille morts, trois cent disparus, deux mille sans-abri. Bilan provisoire. Il nous glisse peu après que la ville de Vukovar, en Croatie, est pratiquement rasée, rayée de la carte par l’armée fédérale serbe ; aussi, Dubrovnik assiégée depuis une vingtaine de jours — ses habitants sont privés d’eau et d’électricité — connaît une recrudescence de combats ; l’artillerie, toujours serbe, bombarde maintenant le centre de la cité médiévale.
Enfin, et voici que le faciès de notre homme-tronc s’illumine, dans quelques instants claironne-t-il, à l’occasion du festival de musique rock qui va se dérouler au Palais des Congrès, il va recevoir sur le plateau le chanteur-débile-à-succès-du-jour –trois cent cinquante mille disque déjà vendus dans l’année.
Cela se passait en l’an de grâce 1991, le 6 novembre, très exactement.
René de Obaldia, Exobiographie, Les Cahiers rouges, Grasset, 1993, p. 366-367.
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18/03/2012
René de Obaldia, Innocentines
Le plus beau vers de la langue française
« Le geai gélatineux geignait dans le jasmin »
Voici, mes zinfints
Sans en avoir l’air
Le plus beau vers
De la langue française.
Ai, eu, ai, in
Le geai gélatineux geignait dans le jasmin ...
Le poite aurait pu dire
Tout à son aise :
« Le geai volumineux picorait des pois fins »
Eh bien ! non, mes zinfints.
Le poite qui a du génie
Jusque dans son délire
D’une main moite
A écrit :
« C’était l’heure divine où, sous le ciel gamin,
LE GEAI GÉLATINEUX GEIGNAIT DANS LE JASMIN »
Gé, gé, gé, les gé expirent dans le ji.
Là, le geai est agi
Par le génie du poite
Du poite qui s’identifie
À l’oiseau sorti de son nid
Sorti de sa ouate.
Quel galop !
Quel train dans le soupir !
Quel élan souterrain !
Quand vous serez grinds
Mes zinfints
Et que vous aurez une petite amie anglaise
Vous pourrez murmurer
À son oreille dénaturée
Ce vers, le plus beau de la langue française
Et qui vient tout droit du gallo-romain :
« Le geai gélatineux geignait dans le jasmin »
Admirez comme
Voyelles et consonnes sont étroitement liées
Les zunes zappuyant les zuns de leurs zailes.
Admirez aussi, mes zinfints,
Ces gé à vif
Ces gé sans fin
Tous ces gé zingénus qui sonnent comme un glas :
Le geai géla... »Blaise ! Trois heures de retenue.
Motif :
Tape le rythme avec son soulier froid
Sur la tête nue de son voisin.
Me copierez cent fois :
Le geai gélatineux geignait dans le jasmin
René de Obaldia, Innocentines, éditions Bernard Grasset,
1969, p. 158-160.
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