16/03/2016
Étienne Faure, Vues prenables

Hep, taxi, ce qui nous fuit dans le rétroviseur
déjà n’est plus d’époque,
à vivre ici, voir venir,
dans une amphigourique attente ou merdier d’être né,
l’enfer pavé d’intentions plus ou moins bonnes,
cette envie de disparaître — pas grand chose,
une demi-vie, une heure —
puis l’idée de durer qui persiste
— et rattraper sa nuit dans le train.
Seul et définitivement mortel
— l’était-il moins dans l’ignorance
ou jeune ou endormi dans les mots accrochés aux cimes
avec la même exaltation des hauteurs qui conduit
à bâtir des cathédrales, marcher parmi les épilobes —
l’ennui devenu un ami, c’est le seul qui lui reste
dans le double vitrage où sommeille
un apatride au rêve étrange, qui lui redit
le temps où ils allaient au Terminus
protégés par la chaleur, noir liquide,
finir la nuit.
terminus nuit
Étienne Faure, Vues prenables, Champ Vallon, 2009, p. 28.
A l'occasion de la parution de
Ciné-plage
d'Etienne Faure
Alphabet cyrillique
de Jean-Claude Pinson
aux éditions Champ Vallon
la librairie Michèle Ignazi
a le plaisir de vous inviter à une rencontre avec
Etienne Faure
et Jean-Claude Pinson
le mardi 22 mars 2016
à partir de 19 heures
Librairie Michèle Ignazi
17, rue de Jouy
75004 Paris
0142711700
Métro : Saint-Paul ou Pont-Marie
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15/03/2016
Nathalie Quintane, Remarques

[...] à quoi reconnaît-on des romancier(e)s qui écrivent vraiment ? À quoi ai-je reconnu les romancier(e) qui écrivaient vraiment, pendant ma performance ? Eh bien d’une part il y avait ceux qui avaient fait des livres qui me rappelaient mes études littéraires — je me souviens d’une ambiance « Europe centrale », « Europe » ; une ambiance littéraire immédiatement identifiée, dans laquelle je me sentais à l’aise et confortable, en famille. D’autre part, il y avait ceux qui me paraissaient un peu « forcer sur le style », si bien que ce n’était pas le style voulu mais la volonté du style (le forçage) qui faisait littérature, mais comme du coup, ça faisait trop littérature, on ne voyait plus que ça, et j’en étais gênée (gênée pour lire, et gênée pour eux) — parmi eux, il faut bien dire qu’il y avait quelques écrivains célébrés par l’université. Enfin, il y avait deux écrivains qui me semblaient juste au bord : un gars susceptible d’avoir inventé un genre intermédiaire, entre le roman de genre et le roman à thèse, et une fille très technique, aux phrases vigoureuses et sans gras, qui reposaient bien des pâtés des littéraires de la profession.
Nathalie Quintane, Remarques, dans Nathalie Quintane, sous la direction de Benoît Auclerc, Classiques Garnier, 2015, p. 202.
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14/03/2016
Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, treize à seize

Le 21 avril [2011]
Quand on avance dans la description d’une sensation, d’une pensée ou d’un objet, on fait les trois en même temps, on avance de front :
Je vais au genêt, j’entred ans le jaune. Le brouillard épaissit mais la densité est extrêmement grenue, tactile, vivable.
La phrase n’est pas assurée quand bien même le corps la pousserait. La pensée ajoute du trouble à l’objet troublant. À moins que ce soit la sensation qui, d’avancer à découvert, d’ecister en propre, rameute ce qui lui convient : du jeune intense et de la pensée subséquente.
À la fin, les trois ayant eu lieu, tout se fend, éclabousse. Le plaisir est profond, le langage est abandonné. En même temps on dirait que l’abstraction s’implante, qu’elle est la reprise douce et musclée du motif. La colline reprend le dessus.
Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, treize à quinze, Flammarion, 2016, p. 143.
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13/03/2016
Jean-Pierre Chevais, Sans titre, dans Rehauts n° 36, automne 2015

Sans titre
on fait la pause on a eu en partant un sandwich mais on est deux ils n’ont pas dit ce qu’il y avait dedans on fait quand même la pause
on a fini la pause on n’a plus rien à faire, on en aurait eu un chacun on serait encore à s’occuper pas longtemps mais un peu
on fait une deuxième fois la pause on n’a en partant rien eu d’autre on hésite à poursuivre on va quand même le faire
en rentrant de la pause on a trouvé dans la cour un sandwich il était pas trop abîmé mais on est deux on l’a pas ramassé
ils nous cachent quelque chose on va rentrer de la pause un peu plus tard peut-être qu’ils ont besoin d’un peu de temps c’est tout
la fois suivante on n’a pas eu le temps de rentrer ils ont demandé pourquoi qu’est-ce qu’on en sait et même si on savait
[...]
Jean-Pierre Chevais, ‘’Sans titre », dans Rehauts, n° 36, automne 2015, p. 47-48.
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12/03/2016
Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, treize à seize

Le 23 juin 2009
Depuis le début, soit depuis l’été 1980, l’étonnement s’est accru de voir ce que fabrique le langage, ce que les choses deviennent après être passées dans ses griffes, ou dans ses voiles, dans toutes ses opérations de passe-passe qui font qu’elles ne sont peut-être pas ou plus tout à fait ce qu’elles sont — si être hors-langue pour une chose a du sens — ou même si la langue peut aller chercher les choses avant leur venue dans les mots, là où elles sont si différentes.
À moins qu’il soit absurde de songer à faire cela, à dire avec des mots un monde sans eux. Pourtant quelque chose leur appartient : la nuit de l’apparence. Ni cela qui simplement brille, ni ce que cet éclat dissimule, mais ce qu’il en est quand on le traverse. Ce qui se passe veut dire. Toujours cette question du transport.
Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, treize à seize, Flammarion, 2016, p. 11.
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11/03/2016
Nicolas Zabolotsky (1902-1958), Le Loup toqué, traduction Jean-Baptiste Para

Près du tombeau de Dante
Florence fut pour moi une mère sans amour,
J’ai voulu reposer à Ravenne.
Ne parle pas, toi qui passes, de félonie,
Ce que la mort a scellé ne sera pas rompu ici.
Sur mon sépulcre blanc roucoule une colombe,
Oiseau délicieux de douceur,
Mais je ne rêve jamais qu’à ma cité.
À elle seule je garde fidélité.
Le luth brisé ne fera pas ce voyage,
Il a péri au pays natal. Mais pourquoi,
Toi ma tristesse, ô ma Toscane,
Embrasses-tu ma bouche orpheline ?
Soudain jaillie du soir la colombe
S’envole, comme saisie d’effroi,
Et l’ombre d’un avion hostile
Trace des cercles au-dessus de la ville.
Fais donc tinter tes cloches, carillonneur !
N’oublie pas que le monde est couvert d’écume
[et de sang !
J’ai souhaité reposer à Ravenne,
Mais Ravenne n’était pas le remède non plus.
Nikolaï Zabolotski, Le Loup toqué, traduit du russe
par Jean-Baptiste Para, La rumeur libre, 2016, p. 163.
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10/03/2016
François Muir (1955-1997), Toi, l'égaré (poèmes inédits)

Quelle mue soudaine
Te saisit ?
Le vagir s’inscrit en toi,
Te quitte.
Le bégaiement du vieillard
Te poursuit, t’abandonne.
Quel est cet âge ?
Tu dresses la carte
De ton corps.
Désert de mots.
Géographie de morsures.
Tu secoues le planisphère.
Un long sifflement te répond.
Il n’y a plus personne.
François Muir, Toi l’égaré (poèmes inédits),
La Lettre volée, 2015, p. 13, 26.
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09/03/2016
Charles Pennequin, Les Exozomes

la fiancée
c’est d’ailleurs par ces mots que je suis entré en matière. j’avais peu de choses à avancer mais je tenais tout l’auditoire. personne ne pouvait deviner que je n’avais rien dans mon jeu. je bluffais l‘assistance avec une métaphore d’achille talon. s’ensuivirent quelques distributions de taloches verbales à l’égard de quelques comparses égarés dans nos conversations. ce fut un moment où je semblais briller de mille feux. à moins que ce ne soit que quelques braises. Les gens semblaient en prendre pour leur grade. ils aiment bien se faire traiter les gens. déjà les traiter de gens, c’est une bonne entrée en matière. on devrait d’ailleurs les traiter de matière. t’aurais pas vu matière ? passe-moi le sel matière ! à quelle heure va encore se pointer matière ? qu’est-ce qu’i fout matière à rentrer à pas d’heure ! matière me porte sur les nerfs en ce moment. matière me court sur le haricot ! matière est pas fier de lui ces temps-ci. matière et machin-truc font bonne figure à c’qui paraît. y a matière qui passe à la télé ! matière est numéro un au hit-parade... tout serait matière à discussion et tout irait de soi.
Charles Pennequin, Les Exosomes, P. O. L, 2016, p. 13-14.
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08/03/2016
Li Yu (937-978), Paroles, une vie de souverain
Lessive dans le sable du ruisseau
À trois coudées, le soleil rouge se lève.
Déjà il frappe.
L’encens, aux formes animales,
Glisse, fragment après fragment,
Dans le réchaud précieux.
Des plis déforment le tapis de soie rouge.
Des pas l’ont entraîné.
Une épingle d’or a chu au milieu de la danse
De la beauté.
Souvent les doigts agrippent le pistil
Aromatique, le vin fait mal.
Dans l’autre pièce, on tend jouer flûtes et tambours.
Loin.
Li Yu (937-978), ''Paroles, une vie de souverain'', traduction du chinois et présentation de Thierry Faut, dans L’Étrangère, n° 40-41, décembre 2015, p. 103.
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07/03/2016
Paul Claudel, L'Oiseau noir dans le soleil levant

Hai-Kai
(La nuit du 1er septembre 1923 entre Tokyô et Yokohama)
À ma droite et à ma gauche il y a une ville qui brûle mais la lune entre les nuages est comme sept femmes blanches.
La tête sur un rail mon corps est mêlé au corps de la terre qui frémit. J’écoute la dernière cigale.
Sur la mer sept syllabes de lumière une seule goutte de lait.
Paul Claudel, L’Oiseau noir dans le soleil levant [1929], dans Connaissance de l’Est, Poésie / Gallimard, 1974, p. 198.
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06/03/2016
Chamfort, Maximes et pensées, caractères et anecdotes

Les gens du monde ne sont pas plutôt attroupés, qu’ils se croient en société.
L’art de la parenthèse est un des grands secrets de l’éloquence dans la société.
La société, les cercles, les salons, ce qu’on appelle le monde, est une pièce misérable, un mauvais opéra, sans intérêt, qui se soutient un peu par les machines et les décorations.
Quand on veut plaire dans le monde, il faut se résoudre à se laisser apprendre beaucoup de choses qu’on sait par des gens qui les ignorent.
Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi ni à personne, voilà, je crois, toute la morale.
Chamfort, Maximes et pensées, caractères et anecdotes, Garnier Flammarion, 1968, p. 92, 102, 105, 106, 123.
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04/03/2016
Vauvenargues (1715-1747), Réflexions et maximes
La pauvreté humilie les hommes, jusqu’à les faire rougir de leurs vertus.
Les enfants cassent les vitres et brisent des chaises, lorsqu’ils sont hors de la présence de leurs maîtres ; les soldats mettent le feu à un camp qu’ils quittent, malgré les défenses du général ; ils aiment à fouler aux pieds l’espérance de la moisson, et à démolir de superbes édifices. Qui les pousse à laisser partout de longues traces de leur barbarie ? Est-ce seulement le plaisir de détruire ? ou n’est-ce pas plutôt que les âmes faibles attachent à la destruction une idée d’audace et de puissance ?
L’écueil ordinaire des talents médiocres est l’imitation des gens riches ; personne n’est si fat qu’un bel esprit qui veut être un homme du monde.
Peu de malheurs sont sans ressource ; le désespoir est plus trompeur que l’espérance.
Il n’y a pas d’écrivain si ridicule que quelqu’un n’ai traité d’excellent.
Vauvenargues, Réflexions et maximes, dans Introduction à la connaissance de l’esprit humain, Garnier Flammarion, 1981, p. 312, 313, 320, 321, 323.
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03/03/2016
Joseph Joubert, Carnets, II

1805
... comme une araignée qui n’aurait pas de pattes n’aurait pas moins en elle-même l’habileté d’ourdir sa toile.
Quiconque n’est jamais dupe n’est pas ami.
De ce qu’il faut pour vivre avec les autres — et — de ce qu’il faut pour vivre avec soi-même.
1806
Ils se tiennent aux portes et ne voient que par les barreaux.
La grande affaire de l’homme c’est la vie, et la grande affaire de la vie c’est la mort.
La vie entière est employée à s’occuper des autres : nous en passons une moitié à les aimer, l’autre moitié à en médire.
Joseph Joubert, Carnets II, Gallimard, 1994 [1938], p. 76, 87, 87, 95, 100, 100.
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02/03/2016
Basho, Seigneur ermite
ma vie de voyageur,
le va-et-vient
d’un paysan labourant la rizière
Rides sur l’eau
et brise parfumée
en rythme
Un éclair —
le cri d’un héron bihoreau
dans le noir
L’automne s’en va —
une bogue de châtaigne fendue
comme des mains entrouvertes
Cet automne,
pourquoi ai-je vieilli ?
Oiseaux dans les nuages
Basho, Seigneur ermite, édition bilingue par
Mahoto Kemmoku et Dominique Chipot,
La Table ronde, 2012, p. 330, 336, 340,
343, 348.
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01/03/2016
Paul Celan, Grille de parole

Avec lettre et horloge
De la cire
pour sceller le non-écrit
qui devina
ton nom,
qui chiffre
ton nom.
Viens-tu maintenant, nageante lumière ?
Des doigts, de cire eux aussi,
passés en d’étranges,
de douloureux anneaux.
Fondus leurs bouts.
Viens-tu, nageante lumière ?
Vides de temps les alvéoles de l’horloge,
nuptial l’essaim multiple,
prêt au voyage.
Viens, nageante lumière.
Mit Brief und Uhr
Wachs,
Ungeschriebnes zu siegeln,
das deinen Namen
erriet,
das deinen Namen
verschlüsselt.
Kommst du nun, schwimmendes Licht ?
Finger, wächsern auch sie,
durch fremde,
schmerzende Ringe gezogen.
Fortgeshmolzen die Kuppen.
Kommst du, schwimmendes Licht ?
Zeitleer, die Waben der Uhr,
bräutlich das Immentausend,
reisebereit.
Kommst, schwimmendes Licht.
Paul Celan, Grille de parole [Sprachgitter], traduit
de l’allemand par Martine Broda, Christian Bourgois,
1991, p. 19 et 18.
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