07/11/2020
Bartolo Cattafi, Mars et ses idées
En silence
Un quelque chose qui donne de l’ombre
surgit et pique
une plante à épines
une encre livide
avec de nombreux bras
ici et maintenant avec nos bras
en silence
tête baissée
Bartolo Cattafi, Mars et ses ides, traduction
Philippe Di Meo, Héros-Limite, 2014, p. 95.
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24/09/2020
Julien Bosc, Le coucou chante contre mon cœur
En hommage à Julien Bosc, disparu le 23 septembre 2018
Tout fut oublié
Tout fut à réapprendre
S’endormir se réveiller
Se lever marcher
Boire mâcher
Semer récolter engranger
Lutter contre le froid
Inventer l’ombre
Recréer une langue
L’apprendre l’écrire
S’y perdre et en revenir
Les silhouettes rescapées s’extirpèrent du brouillard
Parler épousa l’innommable
Tout fut tenté pour dire
Rien ou peu fut entendu
Puis tout fut tu
Tué une seconde fois
Les années passèrent
Des voix se levèrent
Il fallait témoigner
Outre les chiens les mots avaient enfin trouvé leur voie
Julien Bosc, Le coucou chante contre mon cœur,
Le Réalgar, 2020, p. 15.
Photo Tristan Hordé, novembre 2017
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12/09/2020
Étienne Faure, Ciné-plage
Logeaient-ils dans la grandiloquence,
le bruit sec bien réel des chaussures
les ramenait, comédiens jour et nuit
sur les planches — presque des étagères —,
à se déplacer lentement, parole et gestes,
dans une jeune ou vieille chair bientôt carne,
mince à passer les portes du décor,
ou tonitruante et tremblante
sous le trouble du verbe en mouvement,
experts à déclamer jusqu’à leur mort
tout ce qu’une cervelle encore recèle
— ce n’est pas là qu’il faut applaudir —
la voix reprenant le dessus,
les mots leur envol déployé
jusqu’aux battements d’ailes imprécis
à la fin qui se joignent
— et le reste est silence.
parole et gestes
Étienne Faure, Ciné-plage, Champ Vallon,
2015, p. 119.
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29/06/2020
Jean Tardieu, L'Espace et la flûte
Épilogue I
Après avoir effacé
tout ce que d’ombre promet
le sifflement qui me charme
après avoir en ce lieu —
Marsyas clown ou couleuvre _
rejeté toute ma vie
l’horizon clarté n’entend
volumes crevés outres vides
que le très doux glissement
d’une même ligne longue
qui me lie à la surface
Silence ailleurs qu’en moi seul
de rien je gonfle ma joue
dans le signe que je trace
tout l’espace est donné
Jean Tardieu, L’Espace et la flûte, variations
sur douze dessins de Picasso, dans Œuvres,
édition J.-Y. Debreuille, Quarto / Gallimard,
2003, p. 722.
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25/03/2020
Christopher Okigbo, Labyrinthes
Et comment dit-on NON en plein tonnerre ?
On trempe sa langue dans l’océan ;
Campa avec le chœur des dauphins
Inconstants, près de minces bancs de sable
Arrosés de souvenirs ;
On étend ses branches de corail
Les branches s’étendant dans le silence
Des sens ; ce silence se distille
En jaunes mélodies.
Christopher Okigbo, Labyrinthes, traduit de l’anglais
(Nigeria) Christiane Fioupou, Gallimard, 2020, p. 141.
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29/02/2020
Claude Chambard, carnet des morts
VI
Les feuilles sont mortes sur votre tombeau,
grand-père que je ne connais,
élevé dans la forêt, la hache sur les deux poings.
Perdu dans les rues des villes,
pleurant le départ des enfants,
& la femme morte trop jeune.
Où serions-nous allés ?
Qu’auriez-vous montré à l’infans ?
Vous seriez-vous battu avec Grandpère ?
Ou de votre air doux auriez-vous dit :
— Je vais partir, je ne vous gênerai plus.
Longue silhouette de dos
disparaissant après le virage du pont.
À pied toujours, cinq kilomètres vers l’autre village
où même la ferme ne vous appartient plus,
dévorée par la fratrie infectée.
Car l’adieu, c’est la nuit.
La langue, la voix impossible.
Le nom est un silence. On ne peut en compter les syllabes.
Ce n’est pas la mort, ce n’est pas la vie.
Un rêve, les mains jointes, près du coffret où s’entassent les lettres perdues.
Une longue marche — toujours vivant —
sans me soucier des murs
ni du tunnel
ni du balancier des heures.
Claude Chambard, carnet des morts, Le bleu du ciel, 2011, p. 55-56.
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31/12/2019
Jean-Pierre Lemaire, L'exode et la nuée
Tu déblaies le temps devant toi
ce temps qui nous vient toujours de l’arrière
et progressivement plus rien ne s’impose
aucune fenêtre, aucun paysage
rien que l’avenir
muet, couleur de neige
devant lequel tu avais reculé
à vingt ans. Sur le même seuil
pour ne pas manquer le second rendez-vous
tu sors les yeux nus
dans le silence et dans le blanc
Jean-Pierre Lemaire, L’exode et la nuée, Gallimard,
1982, p. 101.
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25/09/2019
Julien Bosc, Je n'ai pas le droit d'en parler
En hommage à Julien Bosc, décédé le 24 septembre 2018
(...)
De tant devoir me perdre, voyez : j’ai tiré un trait sur ma voix. Pour cette raison, ce soir, j’aimerais que quelqu’un me parle, me raconte une histoire, vraie ou fausse, cruelle ou tendre, de cape et d’épée ou de compagnon maçon, n’importe, mais à voix haute, que j’en entende au moins une. Et sinon une histoire : un mot, d’une langue vivante ou morte , une injure ou un reproche, sans souci de ma vanité, je les mérite tous ; un cri, sans qu’il me fût ensuite fait grief d’avoir cogné , un sanglot, s’il est un obstacle pour l’écho. Ou comme il vous plaira. Je ne suis pas difficile. Cependant pitié ! pas le vent, pas le bruit des vagues, pas la chute des pierres, pas le grillon ou la pie. Rien qui ne soit pas ta voix.
Julien Bosc, Je n’ai pas le droit d’en parler, Atelier La Feugraie, 2008, p. 22-23.
© Photo Chantal Tanet
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24/08/2019
Roger Giroux, Si la mémoire...
À quoi reconnaît-on un « bon », un « grand » poème ? Comment le distinguer du médiocre ? À l’exigence la plus haute, à la plus dense tension, au point de rupture approché, au-delà duquel tout se désorganise et s’effondre dans le néant antérieur. Aller jusque-là et s’arrêter au seuil de ce qui ne peut plus être dit que par le silence. La parole du Poème est la montée — le calvaire — au silence. Jusqu’à la mort-vive. Jusqu’à la déchirure.
Comment combler cette distance entre ce que je dis du Poème et le Poème lui-même ? Quelle est cette distance ? Est-elle située, situable ailleurs qu’en écriture ? Elle est précisément ailleurs— car le P[oème] se situe hors de moi. Il me tourne le dos, il regarde plus loin que je ne saurais le faire avec mes mots avec toutes mes facultés. Né de moi (et d’une culture en expansion) il est le seuil de l’au-delà de moi et de cette culture. Le P[oème] est la porte nécessaire. Ce qu’il y a derrière, nul Poème ne le dira jamais, comme s’il y avait un interdit, un secret à garder*. Poème, gardien du secret ?
(* Mais plus loin, vers un nouveau « possible » de la culture dont je suis une des voix, un des faciès — mais Je… ?)
Roger Giroux, Si la mémoire…, dans KOSHKONONG, n° 16, Printemps 2019, p. 13-14.
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30/06/2019
Antoine Emaz, Peau
Vert, I (31.09.05)
on marche dans le jardin
il y a peu à dire
seulement voir la lumière
sur la haie de fusains
un reste de pluie brille
sur les feuilles de lierre
rien ne bouge
sauf le corps tout entier
une odeur d'eau
la terre acide
les feuilles les aiguilles de pin
silence
sauf les oiseaux
marche lente
le corps se remplit du jardin
sans pensée ni mémoire
accord tacite
avec un bout de terre
rien de plus
ça ne dure pas
cette sorte de temps
on est rejoint
par l'emploi de l'heure
l'à faire
le corps se replie
simple support de tête
à nouveau les mots
l'utile
on rentre
on écrit
ce qui s'est passé
il ne s'est rien passé
Antoine Emaz, Peau, encres de Djamel Meskache,
éditions Tarabuste, 2008, p. 25-28. Photo Tristan Hordé, mai 2011.
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25/05/2019
Boris Pasternak, Poèmes
Le poème qui suit les poèmes
Sur votre étagère j’ai posé des poèmes
Poèmes que vous prenez pour du « moi-même »
Sur mon étagère aucun poème :
Et dans les jours que j’ai subisd aucun « moi-même ».
Dans la vie de ceux qui le mieux ont chanté,
Des traits d’une telle simplicité
Que quicinque, authentique, y a goûté
Ne peut plus que s’achever en silence entier.
Né de même parenté avec tout ce qui est,
Familier d’un avenir, qui dès aujourd’hui est,
Comment ne pas, finalement, tomber
Dans l’hérésir de la simplicité inouïe ?
J’ai honte, tous les jours plus honte
Qu’au profond de ce siècle de telels ombres
Subsiste une certaine haute maladie
Nommée « haut mal de poésie ».
Boris Pasternak, Poèmes, traduction Armand Robin,
Paris, sans nom d’éditeur, octobre 1946.
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14/03/2019
Jules Supervielle, Le Corps magique
Qui parle ?
L’univers fait un faible bruit
Est-ce bien lui à mon oreille ?
Pourquoi si faible si c’est lui
Alors qu’il n’a pas son pareil
Pour être lui, même la nuit.
Que deviendra ce faible bruit
A ses seules forces réduit
Sans une oreille qui le pense,
Sans une main qui le conduise,
Où le bruit est encore le bruit.
Où le silence à son silence
Très secrètement se fiance.
Jules Supervielle, Le Corps magique, dans
Œuvres poétiques complètes, éditions
Michel Collot, Pléiade/Gallimard, 1996, p. 601.
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22/10/2018
Pierre-Yves Soucy, Reprises de paroles
XXXI
ce monde peut-il tenir d’autres voix
que tous morts seuls sans pain
la bouche dans la bouche tremblante
de prendre la forme d’un silence
le vertige vertical de la beauté
parvient toujours trop tard
la terre s’imprime de pas
que les pas effacent
la parole seule garde les accords
aussi improbables que décombres
elles s’aggravent entre vide et réel
Pierre-Yves Soucy, Reprises de paroles,
La Lettre volée, 2018, p 41.
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29/09/2018
Julien Bosc, Le corps de la langue
été 2017
ainsi la langue dans sa bouche
partagée
avec les mots
qu’il les silence
plie
déplie
attende
le jour
attende
la nuit
écoute
laisse faire
accueille
fasse siens tels quels
et
leur cédant sa voix
parle
du bout des lèvres contre ses lèvres à
elle
buvantses paroles
à n’en plus finir ni pouvoir
ni non plus
Julien Bosc, Le corps de la langue, Quidam, 2016, np.
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24/06/2018
Bo Carpelan (1926-2011), Un autre langage
Métamorphoses du paysage
Métamorphoses du paysage, le cri
ivre du sommeil de la mort près du lit
où l’amour a déjà veillé —
paysage éternel
comme les nuages qui tintent dans le vent,
les voix avant que la mort les récolte,
les gens, les troupeaux de bétail
et les nuits tombantes du silence
les reflets tendres
de la vague éternelle
rayonnant à travers le sang :
nomade en toi, je vois
les ombres chinoises du manque
et le poids oscillant des montagnes en flammes.
Bo Carpelan, Un autre langage, traduction du suédois
(Finlande) Pierre Grouix, dans poe&sie, n° 131-132, p. 87.
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