28/03/2023
Philippe Beck, Ryrkaïpii
Tout ce qui se meut se meut
pour atteindre ce qu’il n’a pas.
Il manque de quelque chose
et n’a pas son être entier.
Il y a dans le travail de l’artiste
la tristesse d’un cheval
qui porte des œillères et piétine
l’ère de l’engrenage.
Morsure du nom versé dans s’oreille
comme le ver entêtant,
l’orgue de Barbarie consentant,
l’automatophone qui déroule
un plan-rouleau ou la Toile de la Terre.
Philippe Beck, Ryïkaïpii, Flammarion,
2023, p. 263.
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02/06/2020
Georges Bataille, Manet
Une subversion impersonnelle
Qu’est donc Manet, sinon l’instrument de hasard d’une sorte de métamorphose ? Manet participa au changement d’un monde dont les assises achevaient lentement de glisser. Disons dès l’abord que ce monde était celui qui jadis s’ordonna dans les églises de Dieu et dans les palais des rois. Jusqu’alors l’art avait eu la charge d’exprimer une majesté accablante, incontestable, qui unissait les hommes ; mais rien ne restait désormais de majestueux, selon le consentement de la foule, qu’un artisan eût été tenu de servir. Les artisans qu’avaient été — comme les littérateurs — les sculpteurs et les peintres ne pouvaient exprimer à la fin que ce qu’ils étaient. Ce qu’ils étaient, cette fois, souverainement. Le nom équivoque d’artiste témoigne en même temps de cette dignité nouvelle et d’une prétention difficile à justifier : l’artiste est-il souvent plus qu’un artisan que gonfle la vanité, le vide d’une ambition sans contenu ? Cet individu ombrageux, sachant mal ce qui le fait plein de lui-même !
Georges Bataille, Manet, dans Œuvres complètes, IX, Gallimard, 1979, p. 120.
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07/01/2016
Gustave Courbet : pourquoi refuser la Légion d'honneur
au ministre des Beaux-Arts
[...]
Mes opinions de citoyen s’opposent à ce que j’accepte une distinction qui relève essentiellement de l’ordre monarchique. Cette décoration de la Légion d’honneur, que vous avez stipulée en mon absence et pour moi, mes principes la repoussent. En aucun temps, en aucun cas, pour aucune raison, je ne l’aurais acceptée. Bien moins le ferai-je aujourd’hui que les trahisons se multiplient de toutes parts, et que la conscience humaine s’attriste de tant de palinodies intéressées. L’honneur n’est ni dans un titre, ni dans un ruban : il est dans les actes et dans le mobile des actes. Le respect de soi-même et de ses idées en constitue la majeure part. Je m’honore en restant fidèle aux principes de toute ma vie : si je les désertais, je quitterais l’honneur pour en prendre le signe.
Mon sentiment d’artiste ne s’oppose pas moins à ce que j’accepte une récompense qui m’est octroyée par la main de l’État. L’État est incompétent en matière d’art. Quand il entreprend de récompenser, il usurpe sur le droit public. Son intervention est toute démoralisante, funeste à l’artiste, qu’elle abuse sur sa propre valeur, funeste à l’art, qu’elle enferme dans des convenances officielles et qu’elle condamne à la plus stérile médiocrité. La sagesse pour lui est de s’abstenir. Le jour où il nous aura laissés libres, il aura rempli vis-à-vis de nous tous ses devoirs.
Souffrez donc, Monsieur le Ministre, que je décline l’honneur que vous avez cru me faire. J’ai cinquante ans , et j’ai toujours vécu libre. Laissez-moi terminer mon existence libre ; quand je serai mort, il faudra qu’on dise de moi : « Celui-là n’a jamais appartenu à aucune école, à aucune église, à aucune institution, à aucune académie, surtout à aucun régime, si ce n’est le régime de la liberté ! »
Gustave Courbet, Lettre du 23 juin 1870 au Ministre des Beaux-Arts.
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14/06/2015
Marlene Dumas, Art et protitution ; une Europe unie
Art et prostitution
Si la Prostituée est une personne
qui a pour profession
de satisfaire de le désir de diverses personnes
pour des raisons de gain économique,
où un implication émotionnelle peut
ou non être présente —
Alors elle ne me semble pas très éloignée
de ma définition de l’artiste.
En général les artistes aiment faire semblant.
En général les artistes font semblant d’aimer
plus qu’ils ne peuvent porter.
Ils désirent le désir de tous
tout en ne désirant personne.
Une Europe unie
Je n’ai jamais pensé rester
Je suppose que c’est ce qu’elle disent toutes.
C’était ma première fois dans un peep-show
aussi quand la fille m’a regardée
je lui ai dit, « je ne fais que regarder », et elle m’a répondu
« C’est comme àa que j’ai commencé ici moi aussi ».
Marlene Dumas, traduit de l’anglais par Martin Richet, dans Koshkonong, n7, Printemps 2015, p. 18 et 20.
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