23/12/2020
Danielle Collobert, Dire II
la seule chose – recommencer encore – si possible – encore une fois des mots – l’quivalent d’une mort – ou le contraire même – ou peut-être rien
être ici – le calme – épuisant de tension – le monde autour qui ne s’arrête pas – mais pourrait s’arrêter – le souffle qui pourrait s’arrêter maintenant – un instant après l’autre – même égalité plane –même dureté froide – même goût fade et doux – supporter encore d’aller vers d’autres moments pareils – continuer seulement le souffle – la respiration – prolonger le regard – simplement
sans doute – une certaine confusion –auparavant – chaque événement détruit par lui-même – passant d’une chose à l’autre – revenant en arrière – avançant – imprévisible – dans un avenir imaginé – s’acccrochant autour de lui à toutes les rugosités – à tous les angles
Danielle Collobert, Dire II, dans Œuvres I, P. O. L., 2004, p. 211.
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03/10/2017
Christian Prigent, Ça tourne, notes de régie
Littérature = affrontement catastrophique à l’innommable.
Je pars de ceci qui concerne empiriquement TOUS les êtres parlants : qu’aucun des discours positifs (science, morale, idéologie, religion…) ne rend compte de l’expérience que nous faisons intimement, chacun pour notre compte, du monde (de la manière dont le réel nous affecte). Parce que le monde (le monde dit « extérieur » société, politique, histoire — et le monde « intérieur » — nos « cieux du dedans » — mémoire, inconscient, imaginaire) ne nous vient pas comme sens, mais comme confusion, affects ambivalents, jouissance et souffrance mêlées, chaos, fuite, polyphonie insensée.
Christian Prigent, Ça tourne, notes de régie, L’Ollave, 2017, p. 22.
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19/01/2016
Jules Supervielle, La Fable du monde
L’enfant et la rivière
De sa rive l’enfance
Nous regarde couler :
« Quelle est cette rivière
Où mes pieds sont mouillés ;
Ces barques agrandies,
Ces reflets dévoilés,
Cette confusion
Où je me reconnais,
Quelle est cette façon
D’être et d’avoir été ?
Et moi qui ne peux pas répondre
Je me fais songe pour passer aux pieds d’une ombre.
Jules Supervielle, La Fable du monde, dans
Œuvres poétiques complètes, Pléiade / Gallimard,
1996, p. 389-390.
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31/08/2013
Samuel Beckett, Nouvelles et textes pour rien
Où irais-je, si je pouvais aller, que serais-je, si je pouvais être, que dirais-je, si j'avais une voix, qui parle ainsi, se disant moi ? Répondez simplement, que quelqu'un réponde simplement. C'est le même inconnu que toujours, le seul pour qui j'existe, au creux de mon inexistence, de la sienne, de la nôtre, voilà une simple réponse. Ce n'est pas en pensant qu'il me trouvera, mais que peut-il faire, vivant et perplexe, oui, vivant, quoi qu'il dise. M'oublier, m'ignorer, oui, ce serait le plus sage, il s'y connaît. Pourquoi cette soudaine amabilité après tant d'abandon, c'est facile à comprendre, c'est ce qu'il se dit, mais il ne comprend pas. Je ne suis pas dans sa tête, nulle part dans son vieux corps, d'où tant de confusion. Cela devrait lui suffire, m'avoir retrouvé absent, mais non, il me veut là, avec une forme et un monde, comme lui, malgré lui, moi qui suis tout, comme lui qui n'est rien. Et quand il me sent sans existence, c'est de la sienne qu'il me veut privé, et inversement, fou, fou, il est fou. En vérité il me cherche pour me tuer, pour que je sois mort comme lui, mort comme les vivants. Tout cela il le sait, mais cela ne sert à rien, de le savoir, moi je ne le sais pas, moi je ne sais rien.
Samuel Beckett, Nouvelles et textes pour rien, avec 6 illustrations d'Avigdor Arikha, éditions de Minuit, 1958, p. 153.
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14/03/2013
Sébastien Smirou, C'est tout moi (Autoportraits, I)
La première fois que je vois un moi le premier miroir
je ne sais pas ni bien ni comment
que le rayons traversent l'espace
en douce du corps
jusqu'à son étendue à lui — car qui
les aurait propulsés ? — de miroir en question
jusqu'aux yeux en oblique
et qu'on me prendra si je peins
trop bien ce que je vois pour un gaucher.
*
Pour prendre la mesure au jugé du point de croix
en suspension je mets le doigt
comme sur un nœud du vide interposé — qui sait
si c'est le bon ? — qui chasse l'animal
jusqu'à buter toc-toc de l'ongle dans la confusion
pas de nœud qui tienne, bon
au troisième toc il est exactement trop tard
j'ai le compas dans l'œil qui pique
sur le premier venu du nez (encore toi ?)
Sébastien Smirou, C'est tout moi (Autoportraits, I), ink, 2009, np.
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