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20/04/2018

Laure Gauthier, Kaspar de pierre

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Marche I

 

   ai couru, nu d’automne vers les maisons basses

 

avec la lourdeur du gravier

et mes semelles de peau

 

Ce chemin vers rien de certain

 

qui se brise en bruissements rances

pas même une ronce connue, ni le terme.   ai caché, donc

mon visage en terre.

apaisé à la douceur de la morte, son odeur

 

 

Et que faire du dédale de l’air ?

 

Il bombb le poumon, ne sait que le tournoiement.

 

Tendu au monde    ai louché vers le soleil là-bas, et titubé plus loin, blanc d’absences et

 

Sans questions

 

Et jamais d’exclamation en moi, pas d’étonnement, ni même un trait ni le point.

 

Les orteils cramponnés sur les mottes inconnues

 

Il courrr vers le champ toujours à nouveau de tourne-

 

sols

[…]

 Laure Gauthier, Kaspar de pierre, La lettre volée, 2018, p. 7-8.

11/03/2018

Rose Ausländer, Pays maternel

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Seule

 

Je vis solitaire

Avec le chant

 

Mes questions

Demeurent toutes inachevées

 

Le cel répond

Non

Oui

 

Je ne sais

Où la fin commence

Et le début s’achève

 

Rose Ausländer, Pays maternel, traduction

Edmond Verroul, Héeos-Limite, 2015, p. 18.

15/02/2017

Fernando Pessoa, Le gardeur de troupeaux

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Je trouve si naturel que l’on ne pense pas

que parfois je me mets à rire tout seul,

je ne sais trop de quoi, mais c’est de quelque chose         

ayant quelque rapport avec le fait qu’il y a des gens qui pensent…

 

Et mon mur, que peut)il bien penser de mon ombre ?

Je me le demande parfois, jusqu’à ce que je m’avise

que je me pose des questions…

Alors je me déplais et j’éprouve de la gêne

comme si je m’avisais de on existence avec un pied gourd…

 

Qu’est-ce que ceci peut bien penser de cela ?

Rien ne pense rien.

La terre aurai-elle conscience des pierres et des plantes qu’elle porte ?

S’il en est ainsi, et bien, soit !

Que m’importe, à moi ?

Si je pensais à ces choses, je cesserai de voir les arbres et les plates et je cesserai de voir la Terre, pour ne voir que mes propres pensées…

Je m’attristerais et je resterais dans el noir.

Mais ainsi, sans penser, je possède et la Terre et le Ciel.

 

Fernando Pessoa, Le gardeur de troupeaux, traduction Armand Guibert, Gallimard, 1960, p. 98-99.

30/12/2016

Jacques Lèbre, L'immensité du ciel

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                 Inquiétude

 

Serait-ce l’inquiétude de tout revivre ?

L’angoisse de sentir ou d’éprouver de nouveau

ce que déjà j’aurais pu sentir, éprouver ?

À moins que ce ne soit une sorte de rattrapage

pour revivre plus intensément

(et sans commettre les même erreurs)

ce que déjà j’aurais pu vivre ?

Cela, il me semble difficile d’y croire.

Comme si cette vie, celle-ci déjà vécue,

devait à jamais rester de l’ordre du rêve ?

 

Jacques Lèbre, L’immensité du ciel, La Nouvelle

Escampette, 2016, p. 11.

© Photo Carole Florentin

30/09/2016

Édith Azam, Vous l'appellerez : Rivière

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Elle se demande : comment savoir quand la parole est solide ? Il se pose la même question. D’une rive à l’autre, le courant. Il et Elle savent qu’à l’intérieur une épaisseur se crée, prend toute : son envergure. Mais est-ce l’ombre des longs arbres qui les abrite.

 

 

On dit

que Rivière

se jette

dans le fleuve.

C’est une erreur.

Elle s’engouffre.

Rivière :

dans le silence

.

 

Édith Azam, Vous l’appellerez : Rivière, La Dragonne, 2013, p. 63

 

07/06/2016

Henri Thomas, Nul désordre

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                                                               L’interrogé

 

— Où, tes poèmes futurs ?

— Derrière le mur.

 

— Où le vois-tu ce rempart ?

— Partout. Nulle part.

 

— Et toi-même, où donc tu perches ?

— C’est ce que je cherche.

 

Henri Thomas, Nul désordre, dans

Poésies, Poésie/Gallimard, 1970, p. 208.

 

 

26/04/2016

Roger Giroux, L'arbre le temps, suivi de Lieu-je et de Lettre

 

                                                    roger giroux,l’arbre le temps,suivi de lieu-je et de lettre,question,voix,absence

   

   J’étais l’objet d’une question qui ne m’appartenait pas. Elle était là, ne se posait, m’appelait par mon nom, doucement, pour ne pas m’apeurer. Mais le bruit de sa voix, je n’avais rien pour en garder la trace. Aussi je la nommais absence, et j’imaginais que ma bouche (ou mes mains) allaient saigner. Mes mains demeuraient nettes. Ma bouche était un caillou rond sur une dune de sable fin : pas un vent, mais l’odeur de la mer qui se mêlait aux pins.

 

Roger Giroux, L’arbre le temps, suivi de Lieu-je et de Lettre, Mercure de France, 1979, p. 9.

Lieu-je et Lettre ont été réédités par Éric Pesty éditeur, avril 2016.

08/01/2016

Rachel Blau Duplessis, Brouillons — traduction Auxeméry

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Brouillon 89 : Interrogatoire.

 

Tout cela, pourquoi en as-tu été touchée à ce point ?

La soif, d’aller ici, là, partout.

 

Et où va-t-on quand on part de là ?

Il n’était pas prévu que ce soit une impasse.

 

Es-tu prête ?

Jamais de ma vie.

 

Déclares-tu ici bien être l’auteur des termes que tu employais ?

Non, il y avait quelque chose qui dépassait l’idée d’auteur.

 

As-tu eu plaisir à déposer ?

C’est devenu une condition de mon travail.

 

En réponse à quoi, exactement ?

À deux mots, un de ses poèmes, jadis, ‘’cendres froides’’.

 

C’est arrivé quand ?

À moment donné, il y a longtemps, mais encore en ce moment.

 

En es-tu vraiment à ce point de désespoir ?

Dépend des fois, et d’où. Oui et non.

 

De quelle sorte de confession s’agit-il ?

Je ne fais pas de confession, j’expose seulement des faits.

 

Naïveté de ta part, non ?

Ça oui, je peux l’avouer.

 

Où en as-tu entendu parler ?

Sur la toile, dans l’air du temps, ici ou là.

 

Tu es à l’écoute, mais comme de façon surnaturelle.

Elle, quand je l’ai entendu en parler, c’est comme si moi, j’en avais parlé.

 

La déclaration que tu as faite était donc exacte ?

Je ne sais pas ; c’est une déclaration venue d’ici ou là

 

Il y a trop de vague dans tout ça : ici ou là, jadis ou maintenant.

Je ne fais que donner les réponses, c’est toi qui poses les questions.

 

Mais ton opinion réelle, elle ne peut pas se résumer à ça.

Je ne veux pas renoncer à la poésie —

 

Et elle, elle n’a perdu tout espoir en l’écriture...

mais moi, c’est tous les jours que la poésie m’exaspère.

 

Pourquoi dis-tu ça ? C’est faire du sentiment, apparemment.

Adéquation entre langue telle que produite, et telle que reçue.

 

Peut-on savoir ce qu’on risque de trouver là, finalement ?

Quelqu’un d’entortillé dans un auto-interrogatoire.

[...]

 

Rachel Blaud Duplessis, Brouillons, traduit par Auxeméry

avec la collaboration de Chris Tysh, Corti, 2013, p. 217-218.

 

 

 

 

25/06/2014

Muriel Rukeyser (1923-1980), dans Olivier Apert, Une anthologie bilingue

Muriel Rukeyser, Olivier Apert, mythe, mère, Œdipe, question, réponse, Homme

 

 

                            Mythe

 

Longtemps après, Œdipe, âgé et aveugle, cheminait.

Il flaira une odeur familière.         C'était

la Sphinx.     Œdipe dit, « Je voulais te poser une question.

Pourquoi n'ai-je pas reconnu ma mère ? » « Tu as donné la

mauvaise réponse », dit la Sphinx.             « Mais cela rendait

     pourtant

toute chose possible », dit Œdipe.                « Non », dit-elle.

« Quand je demandai, Qu'est-ce qui marche à quatre pattes le      matin,

à deux le midi, à trois le soir, tu répondis

l'Homme.     Tu n'as rien dit à propos de la femme. » 

« Lorsque tu dis l'Homme », dit Œdipe, « tu entends aussi      femme.

Chacun sait cela. »                        Elle dit, « c'est ce que

tu crois. »

 

                                Myth

 

Long afterward, Œdipus, old and blinded, walk the

roads.     He smells a familiard smell.          It was

the Sphinx. Œdipus said, "I want to ask one question.

Why didn't I recghnize my mother?"       "You gave the

wrong answer" said the Sphnx.      "But tat was what

made everything possible." said Œdipus.     "No," she said.

"When I asked, What walks on four legs in the morning,

two at noon, and then three in the evening, you answered

Man.      You din't say anything about woman."

"When you say Man"  said dipus, ' you include women

too. Everyoneknow that.               She said, 'That's what

you think."

 

Muriel Rukeyser, dans Olivier Apert, Une anthologie bilingue de la

poésie féminine américaine du XXe siècle, Le Temps des cerises, 2014,

p. 83 et 82.

 

29/04/2014

Philippe Jaccottet, Éléments d'un songe

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         À la longue plainte de la mer un feu répond

 

   Elle a levé les yeux vers lui, c'est à peine si elle ose lui parler, faute de savoir s'y prendre ; c'est ainsi que rien n'est plus difficile, que chacun évite de trahir sa fierté et son secret. Pourtant elle se décide, parce qu'elle est trop lasse, parce que la conseille une grande douceur à la fin du jour : « Avons-nous vraiment perdu ce feu ? » dit-elle comme s'il était plus discret de parler par images. « Est-ce qu'il ne peut flamber qu'à condition d'être bref, et, en ce cas, comment ferons-nous ? » Elle pourrait se rappeler le nostalgique poème qui redit sans cesse : « Enfance, qu'y avait-il alors qu'il n'y a plus ?...» Ainsi toute lumière semble-t-elle vouée à n'éclairer que le passé, par rapport ou grâce à une ombre présente. Ainsi le paradis recule-t-il, ne cesse-t-il de reculer, pour se situer enfin au commencement du temps, avant le commencement du temps. « Qu'allons-nous faire ? Je ne veux pas traîner dans la nostalgie. Et quels sont ces ennemis qui ne cessent de nous attaquer de toutes parts, qui essaient de nous détruire avant même que nous soyons morts ? Est-ce que la mort nous travaille dès le premier jour que nous sommes entrés avec un grand cri dans son empire ? Réponds-moi, et ne reste pas ainsi à sourire  de ce sourire qui semble à personne n'être adressé ! La vie serait-elle impossible en dehors des solutions banales que nous avons toujours méprisées ? Fallait-il, aurait-il fallu plutôt que nous restions seuls et que nous refusions ces lois apparemment benoîtes, cruelles pourtant puisqu'elles semblent nous user et si promptement nous détruire ? »

 

Philippe Jaccottet, Éléments d'un songe, in Œuvres, édition établie par José-Flore Tappy, Pléiade / Gallimard, 2014, p. 282.