21/01/2016
Michel Leiris, À cor et à cri
Que le discours même le plus sensé soit incapable d’imposer silence aux méchants dont les agissements ensanglantent notre planète et, même à froid, vont à l’encontre de la justice la plus élémentaire, cela ne dévalorise-t-il pas toute forme de parole et n’incite-t-il pas tout simplement à se taire, sans que — ressort autre que l’idée trop utopique de moraliser, prêcher ou chapitrer — la réflexion sur ce qu’on peut attendre encore de la parole devienne prétexte à un autre discours. Me borner, donc, aux demandes et réponses qu’exige la vie telle qu’elle est et me garder d’ajouter à ce strict nécessaire sans relief ni visage d’élégants exercices de funambule... Mais dans quel vide intolérable m’abîmerais-je, antennes coupées, si je tenais ma langue à ce point ? Littérairement me taire : je pourrais dire aussi bien « me terrer » voire « m’enterrer ».
Michel Leiris, À cor et à cri, Gallimard, 1988, p. 95.
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