25/06/2018
Auxeméry, Failles / traces
Fibres
La forme du poème implique. Ainsi
sa fibre — puis toute a texture
est de fait composée de fils : les temps
comme les lieux que l’être
aura déterminés de sa présence, ainsi
devenus siens, suivent ces fils
& la fibre du poème s’agrège — une
intrigue se noue, intrication
de ce qui de cette présence à soi comme au monde
compose avec ce qui en constitue
comme le décor & les déterminations. Ainsi
ces énergies agissent, & le présent,
cette permanence des plis de l’être donnera
sa forme au poème, & sa lecture
s’en effectuera sur la ligne d’entrecroisements
des fibres composées de fils, & l’être
prend forme lui aussi de la forme même
du poème où se lira ce qui, & c’est
ainsi, est.
Fils sévères sur la trame
Qu’une nécessité oblige.
Auxeméry, Failles / traces, Poésie /Flammarion,
2017, p. 293.
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21/03/2018
H(ilda) D(oolittle), Le jardin près de la mer
Nuit
La nuit a séparé
l’un de l’autre
et recroquevillé les pétales
sur le dos de la tige
et dessous en rangs crépus :
dessous, sans défaillir,
dessous, jusqu’à ce que les peaux se fendent,
et sur le dos de la tige, jusqu’à ce que chaque feuille
s’en détache à force de pencher ;
dessous, avec sévérité,
dessous, jusqu’à ce que les feuilles
soient recourbées,
jusqu’à ce qu’elles tombent sur le sol,
courbées jusqu’à ce qu’elles soient brisées.
Ô nuit,
tu prends les pétales
des roses dans ta main,
mais tu laisses le cœur nu
de la rose
périr sur la branche.
H(ilda) D(oolittle), Le jardin près de la mer, traduction
Auxeméry, Orphée/La Différence, 1992, p. 99.
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06/01/2018
Rachel Blau DuPlessis, Brouillons (choix de poèmes)
Brouillon 52 : Midrash, 14.
Les mots, est-ce cela qui manque ?
Est-ce la concentration ?
une page foisonne en sous-entendus et en apartés :
pluie, rouille, morne mort, morne vie.
Non. Il ne s’agit pas de ça,
mais le fait que les crocs d’argent des mots
ne peuvent rien contre de plus profonds silence, plus chargés de colère
rien contre la dislocation du désir de mémoire
rien contre d’infixables décombres.
Dès lors, le problème est « zu schreiben », d’écrire ?
D’écrire, voilà tout.
Trop, beaucoup trop de mots.
Apparaux d’auteur
amour propre
forme-matière première
et même, pitié-de-soi.
Vouloir un poème après Auschwitz
c’est —
compréhensible, inaccessible, intenable.
Quel poète pourrait bien vouloir ?
Rachel Blau DuPlessis, Brouillons, traduction et présentation par Auxeméry, avec la collaboration de Chris Tysh, Corti, 2013, p. 123-124.
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08/01/2016
Rachel Blau Duplessis, Brouillons — traduction Auxeméry
Brouillon 89 : Interrogatoire.
Tout cela, pourquoi en as-tu été touchée à ce point ?
La soif, d’aller ici, là, partout.
Et où va-t-on quand on part de là ?
Il n’était pas prévu que ce soit une impasse.
Es-tu prête ?
Jamais de ma vie.
Déclares-tu ici bien être l’auteur des termes que tu employais ?
Non, il y avait quelque chose qui dépassait l’idée d’auteur.
As-tu eu plaisir à déposer ?
C’est devenu une condition de mon travail.
En réponse à quoi, exactement ?
À deux mots, un de ses poèmes, jadis, ‘’cendres froides’’.
C’est arrivé quand ?
À moment donné, il y a longtemps, mais encore en ce moment.
En es-tu vraiment à ce point de désespoir ?
Dépend des fois, et d’où. Oui et non.
De quelle sorte de confession s’agit-il ?
Je ne fais pas de confession, j’expose seulement des faits.
Naïveté de ta part, non ?
Ça oui, je peux l’avouer.
Où en as-tu entendu parler ?
Sur la toile, dans l’air du temps, ici ou là.
Tu es à l’écoute, mais comme de façon surnaturelle.
Elle, quand je l’ai entendu en parler, c’est comme si moi, j’en avais parlé.
La déclaration que tu as faite était donc exacte ?
Je ne sais pas ; c’est une déclaration venue d’ici ou là
Il y a trop de vague dans tout ça : ici ou là, jadis ou maintenant.
Je ne fais que donner les réponses, c’est toi qui poses les questions.
Mais ton opinion réelle, elle ne peut pas se résumer à ça.
Je ne veux pas renoncer à la poésie —
Et elle, elle n’a perdu tout espoir en l’écriture...
mais moi, c’est tous les jours que la poésie m’exaspère.
Pourquoi dis-tu ça ? C’est faire du sentiment, apparemment.
Adéquation entre langue telle que produite, et telle que reçue.
Peut-on savoir ce qu’on risque de trouver là, finalement ?
Quelqu’un d’entortillé dans un auto-interrogatoire.
[...]
Rachel Blaud Duplessis, Brouillons, traduit par Auxeméry
avec la collaboration de Chris Tysh, Corti, 2013, p. 217-218.
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31/10/2013
Rachel Blau Duplessis, Brouillons, traduction Auxeméry
Brouillon 42 : Épître, Studios
Quelque part entre jouer et jouir se trouve le plaisir
forer la langue, former les lettres
écriture en parallèle
d'embardées, lexiques qui se rencontrent, ou non.
Nous nous écrivons — l'un à l'autre ?
mais ruban courbe, c'est une drôle de lumière qui réfléchit.
Nappe de brouillard, tu me racontes des bribes de vie passée et [ m'annonces
un socked in sky, tu dis « ciel bouché », liège à bouchon,
c'est le temps gris de La Rochelle, et le voilà qui arrive,
brume de mer sur l'Italie — rosée tremblante.
Nous nous connaissons à peine.
En fait.
Et quand tu m'écris ce que tu
penses que je vois en ce moment
depuis le fenêtre de mon studio de pierre
« me préparant un futur souvenir »
c'est là ton mémoire non écrit d'Italie
afin de conjurer ce qui n'est
pas encore advenu en un jour en un lieu —
et tu as en partie raison !
[...]
Rachel Blau Duplessis, Brouillons, traduction de l'anglais (États-Unis) et présentation par Auxeméry, avec la collaboration de Chris Tysh, Corti, 2013, p. 106.
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