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11/07/2023

Joseph Joubert, Carnets

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Et se précipiter dans la mort comme dans un fleuve, où s’engloutissent tous les soins et où l’on boit l’oubli des maux.

La liberté. C’est-à-dire l’indépendance de son corps.

Les enfants veulent toujours regarder derrière les miroirs.

Personne ne voulait être le second.

Ne pas juger les gens par leurs affaires.

 

Joseph Joubert, Carnets, Gallimard, 1994, p. 152, 155, 165,173, 183.

14/07/2020

André Frénaud, Il n'y a pas de paradis

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                 14 juillet

C’est le jour de fête de la Liberté
Nous avions oublié la vieille mère
Dont les anciens ont planté les arbres.

 

Il est des morts vaincus qu’il faut précipiter
Encore un coup du haut des tours en pierre.
Il est des assauts qu’il faut toujours reprendre.
Il est des chants qu’il faut chanter en chœur,
Des feuillages à brandir et des drapeaux
Pour ne pas perdre le droit des arbres
De frémir au vent.

Nous allons en cortège comme une noce solennelle.
Nous portons le feu débonnaire des lampions.
Soumis à notre humble honneur, le geste gauche.
Les bals entrent dans la troupe et les accordéons.

Le génie de la Bastille a sauté parmi nous.
Il chante dans la foule, sa voix mâle nous emplit.
Au faubourg s’est gonflé le levain de Paris.
Dans la pâte, nous trouverons des guirlandes de verdure,
Quand nous défournerons le pain de la justice…
C’est aujourd’hui ! Nous le partageons en un banquet,
Sur de hautes tables avec des litres.
Le monde est en liesse, buvons et croyons !
Je bois à la joie du peuple, au droit de l’homme
De croire à la joie au moins une fois l’an.
À l’iris tricolore de l’œil apparaissant
Entre les grandes paupières de l’angoisse.
A la douceur précaire, à l’illusion de l’amour.

André Frénaud, Il n’y a pas de paradis, Gallimard, 1967.

30/04/2020

Vélimir Khlebnikov, Choix de poèmes

Étienne de la boétie,sonnets,désespoir

La Blanchisseuse, 11

 

Oyez, bonnes gens, oyez !

Gens ouvriers, reprenez vos esprits...

Oyez ! Gens du Pré Chaud —

Ici habite le jeune fille Liberté,

notre belle promise.

Depuis longtemps j’aimais ses yeux,

simples, ouvriers.

Moi, jeune fille russe, moi, la manouvrière

aujourd’hui je vous régale de Liberté !

Bonnes gens ! Bonnes gens ! Il n’y aura plus de mal ni de misère !

Plus de mal ni de misère !

 

Vélimir Khlebnikov, Choix de poèmes, traduction du russe

Luda Schnitzer, Pierre Jean Oswald, 1967, p. 185.

27/06/2019

Claude Dourguin, Paysages avec figure

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Le ciel et la terre, rien d’autre. Alentour, petites élévations irrégulières, toutes rabotées, relief de vieux massif, sur la lande offerte son tapis rêche déroulé à perte de vue, dalles, de proche en proche la roche affleure. Vaste espace dégagé, le regard que rien ne borne s’élance jusqu’à l’horizon, unité très assourdie des teintes — brun décoloré, lessivé de la lande et gris du granit, gris éteint, lui aussi raclé, récuré, le plus lourd fait signe au plus léger, correspondance singulière d’une matière à l’autre ; même ton pour lui répondre, la cohorte de nuages, placide, qui pousse toutes ses toiles gonflées. Le désir brut de s’élancer engage les pas — ni chemin, ni sentier, des traces vagues, terre plus mince, trop ingrate, végétation plus rase, socle rocheux, des passages sans dessein offrent leurs voies, se laissent emprunter, on va pour aller, saisi d’une ivresse de liberté ; nulle direction assignée, toute une contrée, un pays, ouvert, livré au seul vis-à-vis du plus grand es ciels et pour combler l’œil, herbes, buissons et pierres, un ample, entêtant panorama.

 

Claude Dourguin, Paysages avec figure, éditions Conférence, 2019, p. 74.

13/01/2019

Cesare Pavese, Le métier de vivre

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La poésie est non un sens mais un état, non une compréhension mais un être.

 

Avec les autres — même avec la seule personne qui émerge — il faut toujours vivre comme si nous commencions alors et devions finir un instant plus tard.

 

Il est beau d’écrire parce que cela réunit les deux joies : parler tout seul et parler à une foule.

 

On n’a jamais vu qu’un poème ait changé les choses.

 

Une fois la liberté sauvée, les libéraux ne savent plus qu’en faire.

 

 

Cesare Pavese, Le métier de vivre, traduction Michel Arnaud, Gallimard, 1958, p. 255, 256, 259, 261, 262.

 

05/09/2018

Ruth Weiss, De moi à toi

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photo Ingeborg Gerdes

De moi à toi

 

si tu as de l’amour pour moi

ne dis pas je t’aime

et ainsi je garderai ma liberté

si j’ai de l’amour pour toi

je ne dirai pas je t’aime

et ainsi tu garderas ta liberté

 

le vieux diction

« les actes pèsent plus que les mots »

est toujours d’actualité

 

ces trois petits mots

ont piétiné des cœurs

ont paralysé des vies

ils baignent dans le sang

 

alors laisse-moi juste te dire

j’ai de l’amour pour toi

 

il faut donner

sans vouloir recevoir

pour apprendre à recevoir

 

qu’aujourd’hui demeure aujourd’hui

 

Ruth Weiss, dans Action Poétique, n° 200,

"Six femmes de la Beat Generation", p. 25.

01/05/2018

Pour fêter le 1er Mai : Jean-Baptiste Clément, Liberté, Égalité, Fraternité (chanson)

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tombe de J.-B. Clément au Père-Lachaise

 

      Liberté Égalité Fraternité

 

                                    Liberté,

                                    Égalité,

                                    Fraternité.

 

Lorsque nous sapons par ses bases

Votre édifice mal d’aplomb,

Vous nous répondez par du plomb

Ou vous nous alignez par des phrases.

En attendant, cher est le pain,

Longs la misère et le chômage…

Hier, en cherchant de l’ouvrage,

Hier, un homme est mort de faim !

 

                                       Liberté,

                                       Égalité,

                                       Fraternité.

 

Vous pouvez couvrir les murailles

De ces mots vides et pompeux :

Ils ne sont pour les malheureux

Que synonymes de mitrailles.

Nous connaissons le prix du pain

Et vos doctrines libérales…

Hier, sur le carreau des Halles,

Une femme est morte de faim !

 

                                       Liberté,

                                       Égalité,

                                       Fraternité.

 

 

Pour qui s’en va l’estomac vide,

Ayant chez lui femme et marmots,

On peut traduire ces trois mots :

Chômage, Misère, Suicide.

Les mots ne donnent pas de pain,

Car nous voyons dans la grand’ville

De vieux travailleurs sans asile

Et des enfants mourir de faim.

 

                                       Liberté,

                                       Égalité,

                                       Fraternité.

 

Ces mots sont gravés dans la pierre

Sur le fronton des hôpitaux,

De la Morgue et des arsenaux

Et sur les murs du cimetière.

Avec le temps, il est certain

Que la bourgeoisie en délire

Finira bien par les inscrire

Sur le ventre des morts de faim.

 

                                       Liberté,

                                       Égalité,

                                       Fraternité.

 

Hommes libres nous voulons être,

Mais il nous faut l’Égalité.

Nous voulons la Fraternité

Mais il ne faut « Ni Dieu ni Maître ».

Moins de phrases et plus de pain,

Et, surtout, moins de politique,

Car nous disons qu’en République

On ne doit pas mourir de faim.

 

                                       Liberté,

                                       Égalité,

                                       Fraternité.

 

Paris-Montmartre, 1884.

 

Jean-Baptiste Clément, Chansons, C. Marpon

et E. Flammarion, 5ème édition, 1887.

12/05/2017

Diogène Laërce, Sentences vaticanes

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                           Sentences vaticanes

 

  1. La nécessité est un mal, mais il n’y a aucune nécessité à vivre avec la nécessité.

 

  1. Nous sommes nés une seule fois, et il n’est pas possible de naître deux fois ; ne plus être dure nécessairement l’éternité ; mais toi, parce que tu n’es pas maître de ton lendemain, tu diffères ta joie ; or la vie est ruinée par l’attente et chacun, parmi nous, meurt dans l’affairement.

 

  1. Chacun quitte la vie comme s’il venait tout juste de naître.

 

  1. Le fruit le plus important de l’autosuffisance, c’est la liberté.

 

Diogène Laërce, Sentences vaticanes, traduction Daniel Delattre, dans Les Épicuriens, sous la direction de D. Delattre et Jackie Pigeaud, Pléiade/Gallimard, 2010, p. 64, 65, 70, 73.

09/04/2017

Henri Michaux, Façons d'endormi, façons d'éveillé

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   Dans les moments où, trahi par les muscles amollis, je me sens le plus incapable de bouger, c’est alors que je me transporte au-dehors.

   Profitant de l’étonnante liberté retrouvée au moment où elle paraissait perdue, je m’élance au-dehors, non je jaillis plutôt que je ne m’élance, ce n’est pas pour aller à la porte ou à la fenêtre mais plutôt sur les murs, ou bien au plafond, et sans me servir de mes pieds ni d’aucun de mes membres. Les continuité, et discontinuités ne m’affectent plus, comme elles font à l’ordinaire.

   Ainsi d’emblée je suis dans la pièce voisine, dans une autre, ou dans la rue.

   Oui, quand étendu, emmailloté dans ma fatigue, les membres rigides, je suis tel un cadavre, c’est alors que je suis le plus actif — le plus libre. Noué, je suis dénoué.

 

Henri Michaux, Façons d’endormi, façons d’éveillé, II, dans Œuvres complètes, III, Pléiade Gallimard, 2004, p. 531.

06/09/2016

Vladimir Maïakovski, Lettres à Lili Brik

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Enfant

 

J’ai largement reçu le don d’aimer.

Mais dès l’enfance

les gens

au travail sont dressés.

Moi — je filais sur la berge du Rion,

je traînais

ne fichant rien de rien.

Maman se fâchait : « L’affreux garnement ! »

Comme un fouet papa brandissait sa ceinture.

Et moi,

j’allais, trois faux roubles en poche,

faire avec des troupiers un tour de bonneteau.

Sans le faix des souliers,

sans le faix des chemises,

au four de Koutaïssi bronzé,

je tournais au soleil ou le dos,

ou la panse,

au point d’en avoir la nausée.

Le soleil s’émerveille :

« C’est haut comme trois pommes !

ça possède —

un cœur d’homme.

Il le fait s’échiner.

D’où vient

qu’il soit dans cet archine place

pour moi,

pour la rivière,

pour cent verstes de rochers ? »

 

Vladimir Maïkovski, Lettres à Lili Brik (1919-1930),

traduction André Robel, Gallimard, 1969, p. 90.

07/01/2016

Gustave Courbet : pourquoi refuser la Légion d'honneur

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au ministre des Beaux-Arts

   [...]

   Mes opinions de citoyen s’opposent à ce que j’accepte une distinction qui relève essentiellement de l’ordre monarchique. Cette décoration de la Légion d’honneur, que vous avez stipulée en mon absence et pour moi, mes principes la repoussent. En aucun temps, en aucun cas, pour aucune raison, je ne l’aurais acceptée. Bien moins le ferai-je aujourd’hui que les trahisons se multiplient de toutes parts, et que la conscience humaine s’attriste de tant de palinodies intéressées. L’honneur n’est ni dans un titre, ni dans un ruban : il est dans les actes et dans le mobile des actes. Le respect de soi-même et de ses idées en constitue la majeure part. Je m’honore en restant fidèle aux principes de toute ma vie : si je les désertais, je quitterais l’honneur pour en prendre le signe.

     Mon sentiment d’artiste ne s’oppose pas moins à ce que j’accepte une récompense qui m’est octroyée par la main de l’État. L’État est incompétent en matière d’art. Quand il entreprend de récompenser, il usurpe sur le droit public. Son intervention est toute démoralisante, funeste à l’artiste, qu’elle abuse sur sa propre valeur, funeste à l’art, qu’elle enferme dans des convenances officielles et qu’elle condamne à la plus stérile médiocrité. La sagesse pour lui est de s’abstenir. Le jour où il nous aura laissés libres, il aura rempli vis-à-vis de nous tous ses devoirs.

   Souffrez donc, Monsieur le Ministre, que je décline l’honneur que vous avez cru me faire. J’ai cinquante ans , et j’ai toujours vécu libre. Laissez-moi terminer mon existence libre ; quand je serai mort, il faudra qu’on dise de moi : « Celui-là n’a jamais appartenu à aucune école, à aucune église, à aucune institution, à aucune académie, surtout à aucun régime, si ce n’est le régime de la liberté ! »

 

Gustave Courbet, Lettre du 23 juin 1870 au Ministre des Beaux-Arts.

 

10/12/2015

Daniil Harms, Le Samovar

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Les chats

 

Un jour, d’un joyeux pas,

Je revenais chez moi.

Soudain, je vois des chats,

Qui m’tournent le dos, ma foi.

 

Je crie : hé-ho, les chats !

Ne restez pas comme ça,

Suivez-moi de ce pas,

Je vous amène chez moi.

 

Suivez-moi donc, les chats,

Je vais vous mitonner

De suite un fameux plat,

Il y aura du soufflé.

 

Mais non ! répondent les chats,

On préfère rester là !

Les voilà donc assis,

Aucun ne m’a suivi.

 

Daniil Harms, Le Samovar, édition bilingue,

traduit du russe par Eva Antonnikov, Héros

Limite, 2015, p. 31.

07/12/2015

Michel Deguy, Biefs

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   J’ai connu un vieux couple qui se déchirait de procès à dessein — peu conscient — de remettre en question son propre passé : féroce anamnèse, jusqu’au premier regard de fiancés, déjà truqué.

   O salves du cœur, fantasia des yeux, l’état sauvage, l’impatience de toute conséquence ( j’ai connu un fervent cavalier peut-être à cause d’une image des Huns tôt imposée). Gestes perdus, balles perdues, enfant perdu, si perdu que pas une théorie du lapsus n’y retrouvera ce qui fut sien.

   Et qu’elle y retrouve une trace, elle entendra l’éclat de rire du gitan ! Liberté brisée brisante, vague incalculable sur le corail errant, torrent jeune.

 

Michel Deguy, Biefs, Gallimard, 1964, p. 75.

21/11/2015

Marie Cosnay, Sanza lettere (road movie)

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on avait perdu un mot dans les sous-sols, impossible de traverser, le couloir retient toute une généalogie, les uns piétinent les autres dans un espace qui ne s’élargit pas sous la pression des corps, prenant appui sur les genoux et les fesses on cherche l’air en surface cogne au plafond et de corps en corps va jusqu’à ma mort Elle est venue ma mort je ne dis pas ça à cause d’un printemps mais d’un trop plein de printemps, de saisons, après une impression sordide, un changement de genre et de cap Transformons les corps entassés dans le hall en lettres Évaporons-nous en récits disais-je Passons par le trou de la serrure mais personne n’y arrivait

 

d’autant que le désir de liberté lui-même mourait ; m’agrippant je cherchais dans le hall une idée pour survivre ; il semblait plus que tout autre chose dégueulasse mon élan de survivre ; je m’agrippais à la dégueulasserie c’est-à-dire que malgré la mort qui me fonçait dessus je tenais les rênes

 

Marie Cosnay, Sanza lettere (road movie), éditions de l’Attente, 2015, p. 86.

16/08/2015

JUles Renard, Journal

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Formules pour accuser réception des livres :

— Voilà un livre qui est bien à vous, cher ami, et je suis heureux de vous le dire.

— Merci ! J’emporte votre livre à la campagne. Je le lirai sous les arbres, au bord de l’eau, dans un décor digne de lui.

 

Il n’y a aucune différence entre la perle vraie et la perle fausse. Le difficile, c’est d’avoir l’air désolé quand on casse ou qu’on perd la perle fausse.

 

L’homme vraiment libre est celui qui sait refuser une invitation à dîner, sans donner de prétexte.

 

Lis toutes les biographies des grands morts, et tu aimeras la vie.

 

Comme on serait meilleur, sans la crainte d’être dupe !

 

Jules Renard, Journal, texte établi par Léon Guichard et Gilbert Sigaux, Pléiade / Gallimard 1961, p. 292, 294, 300, 302, 313