21/04/2014
John Taylor, La fontaine invisible
Tout en haut de la sombre vallée, au sortir des ombres, tu trouves enfin la source jaillissante, assourdissante de l'Arc : de l'eau bondissant en cascade, de l'eau froide, de l'eau existant pleinement ici, qui s'impose.
Cependant tu souhaites encore qu'elle vienne de quelque Ailleurs. Tu t'es efforcé de monter un chemin escarpé, faisant souvent halte. Arrivant enfin. Cela est vrai. Tu souhaites recevoir une reconnaissance, une récompense.
Le ruisseau périlleux surgit plus loin, comme une langue de feu blanche, de sous un glacier recouvert de terre et de roches brisées. Aucune glace d'un pur cristal bleu. Aucune profondeur insondable, aucune réflexion de lumière.
Après avoir jeté dans l'eau quelques éclats de schiste, après avoir regardé comment ils ricochent et coulent sous l'éphémère surface, tu songes à te risquer plus loin — sautant d'une pierre glissante à la prochaine. Tu ne peux être sûr de pouvoir revenir. Poser le pied sur l'autre rive signifie longer la falaise...
John Taylor, La fontaine invisible, traduit de l'anglais (États-Unis) par Françoise Daviet, Tarabuste, 2013, p. 121.
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20/04/2014
James Sacré, Ne sont-elles qu'images muettes et regards qu'on ne comprend pas ?
Mais parfois le sourire le pus vivant
Les deux jeunes mères navajos
Qui déjeunaient ce midi à la même table que nous
Sorte de hangar ouvert aux deux extrémités
Pour un peu de fraîcheur
Après la poussière et 38 degrés de chaleur...
Aux puces de Gallup, c'est tous les samedis
Les toujours mêmes stands je suppose, pacotille
Et choses plus ou moins utiles, chargements de bottes de foin
L'endroit pour des pneus neufs ou d'occasion,
Petites pierres de prières, peignes à tisser
Ou crottins de dinosaure pétrifiés...
Là avec chacune leur enfant, avec des rires
Façon d'être et d'éduquer les bambins
Une simplicité et franchise amicale
Le taco bientôt mangé, tout à l'heure
Elles finiront comme nous
De parcourir les deux longues allées du marché
Un pickup truck peut-être les ramènera
En quelque ferme isolée
Dans la campagne environnante ; dans l'au revoir
(Et demande aux enfants d'en dire un)
C'est l'aimable simplicité du monde
De tout le monde (la voilà qui se perd)
Qui nous est servie
[...]
James Sacré, Ne sont-elles qu'images muettes et regards qu'on ne comprend pas ?, lavis de Colette Deblé, Æncrages & Co, 2014, np.
©Photo Tristan Hordé
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19/04/2014
Jean-Luc Sarré, Bribes (Pages de carnet)
Faubourg. La résonance de ce terme est pour moi essentiellement parisienne ou du moins l'était encore jusqu'aujourd'hui. Un faubourg, contrairement au centre de la ville, ne devrait pas changer, tout au plus lentement évoluer, et par contrainte plus que par choix, l'époque laissant derrière elle son sillage de bouleversements (je n'ai pas reconnu, dans le dix-neuvième arrondissement, des rues qui m'étaient autrefois familières.) À Marseille, c'est de périphérie qu'il faudrait parler ; ça n'invite pas vraiment à musarder.
Je relis et renonce à recopier telle note grevée de maladresse ; pourtant je m'en souviens, rien ne semblait m'importer plus, quand je l'ai crayonnée, que ce qu'elle tentait d'appréhender.
Le cri de l'effraie légitime l'insomnie.
L'impression l'est souvent insupportable d'habiter depuis longtemps une interminable parenthèse. Quand ai-je bien pu l'ouvrir ? Il pourrait m'appartenir de la fermer mais je doute avoir un jour ce courage ou cette lâcheté.
Atelier cuisine, atelier macramé, atelier poterie, atelier poésie.
Jean-Luc Sarré, Bribes (Pages de carnet), dans La revue de belles-lettres, 2013, 2, p. 83, 84, 85, 86, 88.
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18/04/2014
Issa, Sous le ciel de Shinano
pluies de printemps
réchappé des menus de fête
un canard chante
sous les cerisiers ce soir
aujourd'hui déjà
est bien loin
quiétude
au fond du lac
la cime des nuages
herbes échevelées
le froid se sent
rien qu'à vue d'œil
sur l'azur
tracer un caractère
— couchant d'automne
au soir
parlant avec la terre
les feuilles tombent
Issa, Sous le ciel de Shinano, choix et
traduction par Alain Gouvret et Nobuko
Imamura, Arfuyen, 1984, np.
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17/04/2014
Myrto Gondicas, dans Les Carnets d'eucharis
Et l'on veut vivre encore, les vieilles, et l'on
tourne le coin des rues avec au bord
des lèvres l'ombre d'un rire éclos sous
la frange peinte, acajou mauve ou noir vainqueur
des doutes des ans : si, sur
l'arête d'un trottoir, on bronche
bec ouvert sous le ciel clément, la fesse
ivre un peu, balancée rétive
(et la cheville, avec, se tord),
tel vieux souvenir alors émerge
et mord l'âme amollie : cassoulet, amour,
écho de voix pépiant au fond des cours où
dans une odeur de cèdre et de sésame
chaud, avec les cris du loto populaire,
pulse le cœur oublié d'un monde.
Myrto Gondicas, dans Les Carnets d'eucharis, n° 41, en ligne
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16/04/2014
Jean-Paul Michel, Écrits sur la poésie, 1981-2012 : recension
Il y a près de quarante ans que le premier livre de poèmes de Jean-Paul Michel a été publié (C'est une grave erreur que d'avoir des ancêtres forbans, 1975). Depuis, une œuvre complexe s'est construite, jalonnée de réflexions à propos de la poésie — pas seulement la sienne —, plus généralement de l'art, et la plus grande partie est réunie dans ce fort volume d'Écrits sur la poésie. Les textes sont d'origine variée : lettres, carnets, "conseils aux jeunes écrivains" (pour suivre une tradition bien établie), entretiens, études, préfaces, mais cette diversité et le passage du temps n'empêchent en rien une quasi permanence de la pensée, aussi bien pour ce que représente la poésie et l'art, la relation au monde que pour la permanence des références et la conduite de l'écriture.
D'entrée de jeu la poésie, l'art sont liés au vécu en ce qu'ils sont saisis comme seuls moyens de vivre « digne » dans le monde, et ce motif de la dignité est repris à différents moments, depuis l'affirmation forte quant au rapport entre poésie et langue (« la poésie est le seul usage digne de la parole », 55 ; souligné par Michel, comme dans les autres citations) jusqu'à, dans les dernières pages, la tâche à nouveau assignée à la poésie « de rendre à chaque chose, à chaque dieu, à chaque homme sa dignité » (283). Dans un hommage à Khaïr-Eddine, Michel définit la grandeur de ce poète par le fait qu'il aurait toujours su « appeler à l'insurrection de la dignité, de la liberté, de la beauté, de l'audace » (230). La dignité — estime, respect de soi-même — est une recherche individuelle, l'activité de création s'éloigne de tout projet de transformation du monde ; peu est dit explicitement à ce sujet, mais sans ambiguïté : il n'est que des « affirmations béates touchant demain » (138), et « la promesse d'une dignité pour tous [...] fut l'abaissement de tous, pas même le salut d'un seul » (137).
Bref, la poésie, l'art doivent « se défendre de la vulgarité du monde »(209), c'est-à-dire échapper au « sérieux du travail et de l'épargne », à tout ce qui rend acceptable l'angoisse de vivre, tout comme ils aident à dépasser les contraintes zoologiques (la faim, la peur, etc.), pour vivre le « sans mesure », le poétique, c'est-à-dire « trahir l'effroi, déployer le cérémonial, entrer dans le sacrifice » (180). On reconnaît là des éléments de la pensée de Bataille, l'un de ceux qui, pour Michel, ont su affronter "l'impossible" et considérer qu'il fallait vivre dans le défi, le dépassement de soi pour, enfin, se « connaître inconnu de soi » (230), pour comprendre que l'on écrit « contre ce que l'on est » (33). Reviennent au fil des réflexions les noms des figures idéales, choisies, de ceux pour qui écrire engageait tout l'être, poètes ou philosophes, Baudelaire, Rimbaud, Hölderlin, Hopkins, Mallarmé, auxquels s'ajoutent dans une liste Héraclite, Socrate, Dante, Shakespeare, Pascal, Kierkegaard, Nietzsche, Dostoïevski. C'est la réunion de ceux qui se sont arrachés à la « vie inessentielle » (10), « figures éblouissantes » (94), vrais « saints » (98) dans l'histoire de la pensée.
Le rejet des "valeurs" de la société marchande ou de l'engagement pour des "lendemains qui chantent" n'implique pas le refuge dans une bulle hors de toute atteinte. Les choix peuvent paraître hautains, ils se sont formés par l'expérience des choses et n'excluent évidemment pas une relation sensible au monde, bien au contraire : c'est par le poème, toujours, qu'il est possible de « répondre, par un signe juste, à l'éblouissant éclat de ce qui est » (265). Cette réponse ne peut naître que de la « commotion de l'expérience » (75) : alors est vécu le « feu » — mot récurrent pour exprimer que seule la violence ressentie peut susciter l'écriture. Cet ébranlement aide à prendre conscience de ses manques, de son « insuffisance personnelle » (92), mais aussi à faire face au « grand réel [et à] lui répondre » (149). L'émotion n'est rien si elle n'est pas prise en charge par la langue, pour que soit découverte l'étrangeté de ce qui s'écrit, de nouvelles réécritures ne visant qu'à conserver ce qui « brûle » (221) ; les caractères du premier choc exigent pour être restitués que l'écriture s'apparente à une « bataille » (175), qu'il faut engager son « courage », toutes ses « forces» (id.) pour la mener à bien.
Le poème est juste, la poésie a quelque efficace quand est offert au lecteur avec force, tension, probité, hauteur quelque chose de « l'éclat du scintillant mystère » (163) du monde, quand il perçoit dans les mots « la résistance des choses mêmes » (163). But inatteignable ? sans doute, mais le seul qui vaille qu'on s'y consacre. La réussite serait que les lecteurs, comme celui qui a écrit, se découvrent « à eux-mêmes étrangers » (57) ; c'est dire que pour Michel un livre non seulement doit toucher mais faire mal — un livre publié en 1991 avait pour titre Je lis Hölderlin comme on reçoit des coups —, agir sur le lecteur en l'arrachant au quotidien, déplacer chez lui ce qui était établi : la beauté doit "frapper".
Le pari pour la poésie, l'art, de transformer l'être implique de vivre en « horrible travailleur », selon le mot de Rimbaud, modèle en cela (avec Hölderlin), souvent cité, présent même sur la couverture des Écrits sur la poésie avec un typogramme de Jean Vodaine. Ce travail implique une écriture avec des ciseaux, mieux vaut toujours réduire qu'ajouter, « Écrire, c'est toujours re-lire : corriger, déplacer, espacer, aérer, supprimer, isoler ce qui doit, à la fin, permettre au livre de conserver mieux tel pouvoir propre, tel improbable éclat » (136) ; dans un autre texte, le propos est précisé : « Écrire, c'est relire, corriger, déplacer, interdire, imposer silence, donner forme, jusqu'à ce que le texte tremble de vérité, de passion de la vérité, du désespoir de la vérité » (174).
"Donner forme" : on comprend l'extrême attention portée à la composition et la référence aux collages de Matisse, le rôle donné à la typographie (jeux des polices, de leurs dimensions, opposition du romain et de l'italique, espaces, etc.), éléments qui appartiennent au rythme ; on comprend que Michel soit devenu éditeur pour ne rien laisser de côté dans cette « fête » (57) qu'est pour lui la construction d'un ouvrage : ce n'est qu'à cette condition que le livre peut faire « signe vers un possible "sens"» (157).
Je n'ai fait qu'esquisser ce qui m'a semblé soutenir la réflexion de Michel dans un livre dense, qui — avec bonheur — exige beaucoup du lecteur, traversé d'un bout à l'autre par le désir d'exalter la beauté, ce qui "brûle" : ce qui est. Toujours en se souvenant que la poésie ne vaut qu'à « la condition qu'elle invente sans fin sa forme et sans fin sa fin » (121).
Jean-Paul Michel, Écrits sur la poésie, 1981-2012, Flammarion, 2013, 320 p. Recension parue dans Europe, avril 2014.
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15/04/2014
Georges Lambrichs (1917-1992), Les rapports absolus
Le mensonge à refaire
Mon malaise est affichage. Comme si je ne protégeais pas mon intériorité en lui ménageant les artifices, les marches de mes actes, parfois le secret, de toute manière le mystère de ce que je suis amené à faire. Comme si mes liaisons avaient été des empêchements, des calculs, des choix, des impostures. L'amour n'est pas qu'échange, il est sacrificiel. Et puisqu'il vaut mieux que je déclare ce qui à mes yeux prendrait trop d'importance à être tu, je ne me sens actuellement aucune aptitude aux adhésions par accolement. Mon univers personnel est une opacité qui ne se partage pas, et surtout pas avec les sources de lumière et de raison qui s'écoulent chez nos femmes à l'endroit de quelque régime glandulaire. Le circuit de toute vie maritale est un luxe d'une insoutenable négligence.
Que peut bien me faire, dés lors, celle qui, sans éclat, me regarde ? ou m'accompagne, comme on dit, dans mes pensées, dans mon avidité, dans mon pathétique ? Celle qui me demande à boire, à l'aimer, à rencontrer mes amis, à vivre nue, à partir pour la mer, à faire un feu, à l'étreindre, qui calcule mon argent, qui m'en apporte ? Celle qui me demande ce que je fais pour le savoir ? Et ce que je pense pour rien. Il faut croire, n'est-ce pas, qu'elle est vraiment ce qu'elle dit. Elle parle du sens de sa vie. Alors que le sens de la mienne, évidemment, est celui d'être coupé de ce qui me décide à inventer d'autres rapports avec le monde.
Comme si je ne connaissais plus que la passion de trahir ce que j'ai sous la main qui me plaît, qui somnole fraîchement.
C'est le moment de quelque grande tricherie attendue par ceux qui ne coïncident pas avec la vérité de l'histoire parce qu'ils ont trouvé le moyen de séduire.
Il ne s'était agi pour eux, à première vue, que de se cacher.
Georges Lambrichs, Les rapports absolus, collection Métamorphoses, Gallimard, 1949, p. 61-63.
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14/04/2014
Gerard Manley Hopkins, Reliquae
Printemps et automne
À une jeune enfant
Marguerite, mènes-tu deuil
Sur le Bois-Doré qui s'effeuille ?
Ainsi, de feuilles, comme humaines,
Voici tes frais pensers en peine ?
Ah ! quand le cœur vient à vieillir
C'est, peu à peu, pour s'endurcir
Sans plus gratifier d'un soupir
Un monde effeuillé de bois mort ;
Alors pourtant tu pleureras
Sans laisser de savoir pourquoi.
Mais quelque nom qu'on donne aux peines,
Enfant leurs sources sont les mêmes.
L'âme a deviné, le cœur ouï
Ce qu'esprit ni lèvres n'ont dit :
Si l'homme naît, c'est pour qu'il meure,
C'est Marguerite que tu pleures.
Spring and Fall
To a young child
Margaret, are you grieving
Over Goldengrove unleaving ?
Leaves, like the things of man, you
With your fresh thoughts care for, can you ?
Ah! as the heart grows older
It will come to such sights colder
By and by, not spare a sigh
Though worlds of wanwood leafmeal lie ;
And yet you will weep and know why.
Now, no matter, child, the name :
Sorrow's springs are the same.
Nor mouth had, no nor mind, expressed
What heard heart of, ghost guessed :
It is the blight man was born for,
It is Margaret you mourn for.
Gerard Manley Hopkins, Reliquae, vers proses dessins
réunis et traduits par Pierre Leyris, Seuil, 1957, p. 79 et 78.
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13/04/2014
Malcolm Lowry, Pour l'amour de mourir
Poème bizarre
J'ai connu un homme sans cœur :
Il dit que des enfants le lui ont arraché
Et l'ont donné à un loup affamé
Qui s'est enfui l'emportant dans sa gueule.
Et les enfants ont fui avec l'instituteur ;
L'animal aussi s'est enfui bien vite,
Et derrière lui, bizarre poursuite,
Titubait encore cet homme sans cœur.
J'ai vu cet homme l'autre jour,
Gonflé d'un orgueil ridicule,
Le cœur remis en place et la mine égayée ;
À son côté, tout radouci, trottait le loup.
Malcolm Lowry, Pour l'amour de mourir, traduction de l'anglais de J.-M. Lucchioni, préface de Bernard Noël, éditions de la Différence, 1976, p. 83.
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12/04/2014
Gilbert Lely, Œuvres poétiques
L'anniversaire
J'attendais mon père devant la porte d'une grande administration. Il était mort. Je le vis sortir lentement. Je m'avançai vers lui avec émotion, mais il ne parut pas tenir compte de ma présence. Je détournai la tête pour pleurer. Mille petits caniches blancs dansaient sur le trottoir.
Roses de Picardie
Le 2 août 1914, une coquette villa de banlieue. Le père, la mère et l'enfant sont assis dans le jardin. Tout à coup on entend la Marseillaise. Le père se lève pour aller changer de souliers. La gare de l'Est Au retour, le jeune garçon ne cesse d'observer sa mère. Ils mangeront dans la cuisine. Ils achèteront un phonographe pour danser. Ils se feront des drôles de sourires dans les tramways. Ils se déshabilleront au bord des rivières. Ils nommeront l'armoire à glace le miroir des sodomies.
Gilbert Lely, Œuvres poétiques, éditions de la Différence,1977, p. 36, 44.
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11/04/2014
Bruno Fern, Reverbs, phrases simples
78
De seconde s'accolent les uns aux
Autres explosent les bornes.
Fixées par la loi se croient hors catégories ou quoi.
Je parle sous moi(1)
Ou à côté c'est une variante reliée souterrainement au
phénomène à la petite cuiller multipliant les évasions.
Malgré le déploiement de milices privées, la zone est loin
d'être sécurisée.
De surcroît, l'isolation paraît nettement insuffisante d'autant.
79
qu'on crie sans fin(2).
Des Maliens chartérisés aux frais du contribuable des Tchétchènes pacifiés en deux des Birmans totalisés par milliers des Kurdes en voie d'assimilation des Palestiniens en 15 mn chrono des Biélorusses ayant du plomb dans la tête des Afghanes promptement déscolarisées des Roms ramenés gratos à Bucarest et puis quoi encore des Saoudiens décapités en présence des Ouïghours intégrés à la nation mère des Mexicains interceptés de justesse à la place des Vietnamiens détournés de leur itinéraire en bonus des Iraniennes lapidées dans le strict respect des Soudanais après les ultimatums d'usage des Érythréens voguant sur la Grande Bleue, etc. montent — sans compter celle à droite en entrant sur le parking.
(1) Tristan Corbière
(2) Jean Cayrol
Bruno Fern, Reverbs, phrases simples, NOUS, 2014, np.
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10/04/2014
Guillaume des Autels (1529-v. 1580), Amoureux repos
De son amour
Quand je la vis en si grand' vertu, belle,
Et, en beauté, si grande, vertueuse,
De l'arc brûlant la flèche impétueuse
Me rendit serf amoureusement d'elle :
Lui obligeant mon affection telle,
Cette fureur encor plus chaleureuse,
Vint commander à mon âme amoureuse
De l'adorer comme sainte immortelle.
Ainsi dévot ma sainte s'adorait,
Ou bien plutôt par dulie honorait :
Voici, Amour, qui mon âme a meurtrie,
Poussa quasi ma jeune passion
Jusqu'au plus haut de l'adoration
Qu'ont appelée nos maîtres saints, latrie.
Guillaume des Autels, Amoureux repos, Jean
Temporal, 1553, n.p. [Gallica/BNF]
[graphie modernisée]
dulie = culte rendu aux saints ; latrie = culte
rendu à Dieu.
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Guillaume des Autels (1529-vers 1580), Amoureux repos
De son amour
Quand je la vis en si grand' vertu, belle,
Et, en beauté, si grande, vertueuse,
De l'arc brûlant la flèche impétueuse
Me rendit serf amoureusement d'elle :
Lui obligeant mon affection telle,
Cette fureur encor plus chaleureuse,
Vint commander à mon âme amoureuse
De l'adorer comme sainte immortelle.
Ainsi dévot ma sainte s'adorait,
Ou bien plutôt par dulie honorait :
Voici, Amour, qui mon âme a meurtrie,
Poussa quasi ma jeune passion
Jusqu'au plus haut de l'adoration
Qu'ont appelée nos maîtres saints, latrie.
Guillaume des Autels, Amoureux repos, Jean
Temporal, 1553, n.p. [Gallica/BNF]
[graphie modernisée]
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09/04/2014
Barbara Cassin, La nostalgie
Quand donc est-on chez soi ? Quand donc Ulysse est-il chez lui ? Quand il est oikade, à la maison ? Trois jours, le temps de tuer les prétendants et les servantes infidèles, le temps de se faire reconnaître par Télémaque - le chien Argos - le porcher Eumée - la nourrice Éuryclée - les bonnes servantes - Pénélope - Laërte - tous ceux d'Ithaque ? De passer la longue nuit avec Pénélope ? Un si bref laps de temps par rapport à l'errance : chez lui trois jours en vingt ans ?
Ou bien quand il repart, jusqu'à ce que... Jusqu'à ce qu'il arrive en un endroit où ce qu'il est, ce qui le détermine pour le meilleur et pour le pire, la mer, ses tempêtes, ses sirènes, ses naufrages, ses esquifs ses îles, soir radicalement inconnu ? Mais alors, cela ne veut-il pas dire qu'il est chez lui partout ailleurs que dans cet improbable ailleurs ? Chez lui, c'est la Méditerranée. Son identité, son « lui » et son « chez lui » se sont étendus aux limites du monde connu.
Barbara Cassin, La nostalgie, éditons Autrement, 2013, p. 57-58.
De Chirico, Le retour d'Ulysse, 1973
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08/04/2014
Pierre Chappuis, Entailles
Paysage brouillé
Vents plutôt que pluie hachurent ciel et terre.
Issu de la nuit, de l'échevèlement de la nuit, tremblé, confus et net (résurgence), un paysage brouillé, un brouillon de paysage refuse à contre-jour de se fixer, du coup (un négatif, une épure) ne parvient pas jusqu'à la couleur. Dans le révélateur où il serait à tremper, une main délicatement l'agite.
Tempétueusement, beau temps.
Quoique ne tenant pas en place, joie de se sentir en place ici chez soi en pleine turbulence.
Lumineuse effervescence dévalant la colline en tous sens, balayant coteaux et ravins. Qui, désormais, déferle abondamment, noire, oui (vertu éclairante du noir, plus clair vu de plus loin) remue, traverse, raye le papier de mille traits aussi fins que pattes de mouches, ou cheveux — une ample chevelure emmêlée et défaite.
Pierre Chappuis, Entailles, éditions Corti, 2014, p. 9.
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