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31/07/2015

Antonin Artaud, Lettre à personne

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Lettre à personne

 

Cher Monsieur,

  

   Je vous ai envoyé une suite de phrases tendues qui essayaient de se rapprocher de l’idée de suicide mais ne l’entamaient en réalité aucunement. La vérité est que je ne comprends pas le suicide. J’admets qu’on se sépare violemment de la vie, de cette espèce de promiscuité des choses avec l’essence de notre moi, mais le fait lui-même, le caractère aventuré de ce détachement m’échappe.

   Depuis longtemps la mort ne m’intéresse pas. Je ne vois pas très bien ce que l’on peut détruire de conscient en soi : même en mourant volontairement. Il y a une irruption obligée de Dieu dans notre être qu’il faudrait détruire avec cet être, il y a tout ce qui touche cet être et qui est devenu partie intégrante de sa substance, et qui cependant ne mourra pas avec lui. Il y a cette contamination irréductible de la vie. Il y a cette invasion de la nature qui par un jeu de réflexes et de compromissions mystérieuses pénètre beaucoup mieux que nous-même jusqu’au principe de notre vie. De quelque côté que je regarde en moi-même, je sens qu’aucun de mes gestes, aucune de mes pensées ne m’appartient.

   Je ne sens la vie qu’avec un retard qui me la rend désespérément virtuelle.

[...]

                                                      (1946)

Antonin Artaud, Œuvres complètes, I**, Gallimard, 1976, p. 55.