24/05/2024
Jules Renard, Journal
Cette sensation poignante qui fait qu’on touche à une phrase comme à une arme à feu.
On peut être poète avec des cheveux courts.
On peut être poète et payer son loyer.
Quoique poète, on peut coucher avec sa femme.
Un poète, parfois, peut écrire en français.
Les bourgeois, ce sont les autres.
Cherchez le ridicule en tout, vous le trouverez.
Elle avait une peur ridicule du ridicule.
Jules Renard, Journal, Gallimard/Pléiade, 1965, p. 50, 51, 51, 54, 55.
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07/04/2022
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Un poète, parfois, peut écrire en français.
Les bourgeois, ce sont les autres.
Insupportable comme un homme qui vous parle du « divin Virgile ». Ah ! elle est bien là toute entière la tradition ! Honore ton père et ta mère, et Virgile.
Malgré l’ininterrompue continuité de nos vices, nous trouvons toujours un petit moment pour mépriser les autres.
La psychologie. Quand on se sert de ce mot-là, on a l’air de siffler des chiens.
Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 51, 51, 55, 57, 73.
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14/05/2019
George Oppen, Poésie complète
Chambre d’enfant
Un ami a visité les chambres
De Keats et de Shelley
Près du lac, observant « qu’il s'agissait de simples
Chambres d’enfant », ce qui a eu le don
De l’émouvoir. Certes la chambre d’un poète
Est toujours une chambre d’enfant
Et j’imagine que les femmes le savent.
Peut-être une femme sera-t-elle excitée par
Un banquier d’une grande laideur, un homme
Et non pas un enfant qui cherche à retrouver
Son souffle sur le corps d’une fille.
George Oppen, Poésie complète, traduction Yves di Manno,
José Corti, 2011, p. 141.
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10/02/2019
Edmond Jabès, Le retour au livre
Il me faut rapporter, puisqu’elle m’obsède toujours, l'histoire étrange de cette octogénaire sur son lit d’agonie qui, un moment avant de s’éteindre, s’exprima dans la langue de son enfance qu’elle avait, depuis son plus jeune âge, oubliée. Ce comportement d’un être dans les brumes de l’inconscience m’a paru — et me paraît encore — illustrer le comportement du poète qui, dans ses œuvres, parle comme il ne parle jamais.
Edmond Jabès, Le retour au livre, Gallimard, 1965, p. 23.
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14/12/2018
Paul de Roux, Entrevoir
La condition humaine
« Si au moins je supportais l’alcool », dit-elle
(putain dans un roman célèbre)
et sa plainte depuis lors, souvent
me revient en mémoire : exclamation
qui exprime succinctement un manque
dans la condition qui nous est faite :
c’est que le vin, à en croire les poètes,
jette un voile pudique sur les nus fanés
et fait voir le monde à travers un bandeau
translucide comme la peau du raisin
et comme elle rose ou doré : il n’empêche
que l’hépatique, putain ou poète,
doit assurer à jeun son destin.
Paul de Roux, Entrevoir, préface de Guy
Goffette, Poésie / Gallimard, 2014, p. 263.
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07/03/2018
Valérie Rouzeau, Quand je me deux
Carotte
C’est toto biographique l’âne dans essentiellement
Ça dit je parce que c’est ainsi quand tu parles
Que longtemps tut ‘es couché de bonne heure longtemps
Tu es le ténébreux le veuf l’inconsolé
Tu inventas la couleur des voyelles l’i rouge
Et tu penses donc tu es et puis voici ton cœur
Plein de larmes il ne faut pas secouer
Tu accuses dans l(Aurore tu as fait un grand rêve
Très haut amour s’il se peut que tu meures
Toi délaissé comme le vent te révèle
Tu devras t’expliquer avec les étoiles oui
Tes oreilles elles sont bien à toi
Puis tes chiffres ne sont pas faux
Tu écrivais dans un grenier où la neige…
Demain dès l’aube demain tu partiras
Tu te souviens
Tu entendis sonner les trompettes d’artillerie
Tu commences ton très triste dit
Pour avancer sans potager je me tire
La carotte ce sont les vers du nez
C’est toto biographique l’âne dans l’enraciné
Pissent mes feuilles ne pas trop faner
Valérie Rouzeau, Quand je me deux, Le temps qu’il fait, 2009, p. 92-93.
Annonce d'une revue amie
La Revue Nu(e)
Fondée par Béatrice Bonhomme et Hervé Bosio en 1994, la revue NU(e) a publié 66 numéros sur la poésie contemporaine. Chaque numéro, véritable dossier de recherche consacré à un poète particulier, comprend un entretien, des textes de création inédits, des articles critiques, des interventions plastiques et une bibliographie exhaustive. La couverture de la revue a été dessinée par la plasticienne Sonia Guerin.
La revue NU(e) frappe d’abord par ses couleurs (le bleu de la méditerranée qui s’est ensuite décliné dans les couleurs de l’arc-en-ciel) et par son titre qui marque une volonté d'aller vers la nudité, le dénuement, le dépouillement. Le (e) permet aussi de souligner la présence trop souvent négligée de la femme dans la poésie contemporaine. NU(e) est également l'anagramme de une, à la fois singularité et convergence. C’est ainsi que NU(e) défend une parole de liberté contre toute caste, cénacle, chapelle, obédience, mot d'ordre. Elle refuse de limiter la poésie à des débats dépassés. NU(e) veut lutter contre le sectarisme pour accueillir la différence, les diversités. Elle voudrait faire entendre une polyphonie plutôt qu'une polyphobie, des résultats d'écriture plutôt que des diktats théoriques, des chocs de styles plutôt qu'un ton unanime. NU(e) est parole laissée aux « mineurs » et minoritaires de la poésie, mais inversement occasion, pour les « grands auteurs », de s’exprimer en confiance. La revue a ainsi créé un style qui permet, d’un numéro à l’autre, au fur et à mesure, de faire apparaître un véritable panorama de la poésie contemporaine, et cela sans exclusion, dans un souci de partage. Elle recueille ainsi des approches différentes qu’elle fait se croiser, se rencontrer, se mêler, se tutoyer, passant d’une voix à l’autre, dans une volonté de décloisonnement. Son rôle d’ouverture permet qu’elle soit présente dans une relation à d’autres cultures et à d’autres langues. Elle est donc un lieu de fertilité, un lieu d’expérimentation, un lieu de découverte, et participe à la lisibilité d’auteurs connus ou non.
Accordant également une place importante aux arts plastiques et travaillant en collaboration avec des peintres, des graveurs ou des photographes, NU(e) possède une vocation de découverte et joue le rôle d’un laboratoire. Elle constitue un lieu d’artisanat et d’amitié, au sens où l’entend Blanchot, c’est-à-dire « rapport sans dépendance » où entre « toute la simplicité de la vie ». Cette amitié passe par la « reconnaissance de l’étrangeté commune », selon « le mouvement de l’entente ». S’en remettant à Kenneth White : « Éduquez-vous en nudité. Orphée était nu sur une pierre », NU(e) souhaite marquer sa volonté d’aller vers la nudité, vers l’essentiel, tout en privilégiant une sobriété exigeante.
Après 24 ans de publication papier, la revue souhaite passer au numérique pour être encore plus accessible en proposant gratuitement les nouveaux numéros qui paraîtront désormais en ligne. Florence Trocmé, ayant accepté de l’accueillir sur son site, NU(e) continuera, sous cette nouvelle forme à paraître 3 fois par an.
La liste des anciens numéros, ainsi que tous les sommaires et quelques extraits, resteront accessibles sur le site de la revue NU(e) : revue-nue.org. Les numéros papier toujours disponibles pourront être commandés sur paypal ou par courrier à l’adresse de la Revue, 29 avenue Primerose, Nice 06000.
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17/05/2017
Georges Perros, Papiers collés
Les poètes écrivant mal. C’est leur charme. Si tout le monde écrivait comme Anatole France, lire ne serait plus et définitivement qu’une entreprise maussade. Ils écrivent mal, n’ayant qu’un obstacle mais cet obstacle impossible à franchir. Ils le retrouvent partout. C’est le mot. Ils n’ont pas le loisir d’aller plus avant, c’est-à-dire de penser à quelque chose. À leur sort. À leur misère. À leur condition. Prendre quelqu’un au mot, c’est le sommer dans l’immédiat. Le poète est pris au mot. S’il réfléchit, c’est dans l’angle strict du langage. Une horloge ne pense pas. Elle réduit le mystère, le temps, à sa perpétuelle délibération. Mais aussi bien rend-elle à ce mystère toute son implacabilité, toute sa folle éternité.
Donc un mot ne veut rien dire. C’est grave quand on s’avise que la plupart des hommes utilisent cette monnaie d’échange pour correspondre. Pour aimer. Pour prêter serment. Mais le mot n’aime guère qu’on le presse, qu’on le prenne pour ce qu’il n’est pas. Le poète a compris cela. Il le traite avec discrétion sinon avec indifférence, et le mot donne tout son sens. Et même un peu plus. Il éclate, à maturité, faisant gicler l’image. Non sans donner sa chance à l’idée.
Georges Perros, Papiers collés, Le Chemin/Gallimard, 1960, p. 80-81.
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02/03/2017
Julien Bosc, La coupée
Garder son cap
n’est jamais varier que très lentement
ne jamais non plus aller plus vite qu’il ne faut
bien observer tout ce qui entoure sans se soucier de soi
aimer la lenteur à sn corps défendant si nécessaire
l’apparence du surplace quelquefois et s’il advient s’armer de patience
attendant sans tourments des jours meilleurs ils reviendront tôt ou tard
être là de nuit comme de jour et
en permanence à l’écoute de ce qui se dit ou chante
comme de tout semblerait se taire
de quelques règles de la vie en mer
— qui pourraient être du poète
Julien Bosc, La coupée, Potentille, 2017, p. 14.
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12/12/2016
Jean-Claude Pinson, Pastorale surréaliste à Nantes
Pastorale surréaliste à Nantes
Rue MarieAnne du Boccage
où Vaché en convalo à l’hosto
pas encore devenu Lycée Guist’hau),
avec Breton André fit un beau tapage,
se foutant pas mal des us du bocage
cent ans plus tard ou presque, un promoteur
se piquant de pastorale, malgré le bruit des moteurs,
eut bingo l’idée rentablement bébête
de baptiser « Clos des Poètes »
un immeuble cossu avec un zeste de verdure
(plus une entrée, surtout, contre gueux sécure)
un temps, j’y créchai par hasard
en stabulation libre, quoique un peu à l’étroit
dans un mal fichu T1 bis pas très droit,
y paissant néanmoins bien peinard
maintes pages avec en plus droit de pacage
auprès de Marie-Anne née Lepage,
poète plus connue sous le nom d’Anne-Marie du Boccage
Jean-Claude Pinson, dans NU(e) 61, "Jean-Claude Pinson",
octobre 2016, p. 29.
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05/09/2016
Henri Thomas, Poésies
Un oiseau
Un oiseau, l’œil du poète
s’en empare promptement,
puis le lâche dans sa tête,
ivre, libre, éblouissant.
Qu’il chante, qu’il ponde, qu’il
picore, mélancolique,
d’invisibles r ains d emil
dans les prés de la musique,
quand il regagne sa haie,
jamais cet oiseau n’oublie
les heures qu’il a passées
voltigeant dans la féérie
où les rochers nourrissaient
leurs enfants de diamant,
où chaque nuage ornait
d’une fleur le ciel dormant.
On trouvera l’oiseau mort
avant les froids de l’automne,
le plaisir était trop fort,
c’est la mort qui le couronne.
Henri Thomas, Poésies, Poésie /
Gallimard, 1970, p. 76-77.
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30/04/2016
William Cliff, En Orient
j’ai vu la chambre où Cavafis est mort
dans la misère
il avait dû vendre l’appartement
qu’il possédait
pour n’en occuper qu’une seule chambre
avec l’Arabe
un « serviteur » qui vécut près de lui
jusqu’à sa mort
celui qui m’a fait visiter la chambre
m’a déclaré
que Cavafis est mort dans l’ignorance
du monde entier
pas un seul de ses congénères hellènes
ne l’a aidé
quand le cancer a rongé son pharynx
et l’a tué
l’image que certains nous ont donnée
de Cavafis
est celle d’un monsieur très distingué
qui recevait
chez lui de fins lettrés et leur disait
ses beaux poèmes
en buvant de l’ouzo et grignotant
la noire olive
à la lumière de chandelles pour
qu’on ne voie pas
les rides courir et laisser leurs stries
sur son visage
on dit aussi qu’il allait dans la rue
enveloppé
d’une vaste cape noire et flottante
pour se donner
l’air d’un artiste il était d’une taille
indifférente
le nez tombant le visage allongé
et assez laid
mais les yeux dilatés d’une étonnante
vivacité
se jetaient en tous sens pour scruter les
gens qui passaient
étant de famille aristocratique
mais tout à fait
ruinée il aurait eu trop de fierté
pour demander
la charité et se serait ainsi
laissé mourir
dans ce meublé qui s’appelle aujourd’hui
Pension Amir
au numéro quatre deuxième étage
rue Sharm-el-Sheik
ne vivent plus que des Arabes à deux
ou trois par chambre
avec entre les lits un bec à mèche
pour bouillir l’eau
du thé qu’on offre aux étrangers qui viennent
voir où vécut
un des plus grands poètes de ce siècle
mort inconnu
William Cliff, En Orient, Gallimard, 1986, p. 61-63.
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03/02/2016
Henri Thomas, Poésies : Un oiseau
Un oiseau
Un oiseau, l’œil du poète,
s’en empare promptement,
puis le lâche dans sa tête,
ivre, libre, éblouissant.
Qu’il chante, qu’il ponde, qu’il
picore, mélancolique,
d’invisibles grains de mil
dans les prés de la musique,
quand il regagne sa haie,
jamais cet oiseau n’oublie
les heures qu’il a passées
voltigeant dans la féérie
où les rochers nourrissaient
leurs enfants de diamant,
où chaque nuage ornait
d’une fleur le ciel dormant.
On trouvera l’oiseau mort
avant les froids de l’automne,
le plaisir était trop fort,
c’est la mort qui le couronne.
Henri Thomas, Poésies, Poésie /
Gallimard, 1970, p. 76-77.
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08/12/2015
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
La pipe au poète
Je suis la Pipe d’un poète,
Sa nourrice et : j’endors sa Bête.
Quand ses chimères éborgnées
Viennent se heurter à son front,
Je fume... et lui, dans son plafond,
Ne peut plus voir les araignées.
... Je lui fais un ciel, des nuages,
La mer, le désert, des mirages ;
— Il laisse errer là son œil mort...
Et, quand lourde devient la nue,
Il croit voir une ombre connue,
— Et je sens mon tuyau qu’il mord...
— Un autre tourbillon délie
Son âme, son carcan, sa vie !
... Et je me sens m’éteindre... — Il dort —
.............................................................
— Dors encor : la Bête est calmée,
File ton rêve jusqu’au bout...
Mon pauvre !... la fumée est tout.
— S’il est vrai que tout est fumée...
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, dans Charles Cros,
T. C., Œuvres complètes, édition Pierre-Olivier-Walzer pour T. C., Pléiade / Gallimard, 1970, p. 734.
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01/08/2015
Antonin Artaud, L'ombilic des limbes
Poète noir
Poète noir, un sein de pucelle
te hante,
poète aigri, la vie bout
et la ville brûle,
et le ciel se résorbe en pluie,
ta plume gratte au cœur de la vie.
Forêt, forêt, des yeux fourmillent
sur les pignons multipliés ;
cheveux d’orage, les poètes
enfourchent des chevaux, des chiens.
Les yeux ragent, les langues tournent,
le ciel afflue dans les narines
comme un lait nourricier et bleu ;
je suis suspendu à vos bouches
femmes, cœurs de vinaigre durs.
(1925)
Antonin Artaud, Œuvres complètes, I,*, Gallimard,
1976, p. 53.
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21/05/2015
Hilda Doolittle, Trilogie
Hommage aux anges
[1]
Hermès Trismégiste
est le patron des alchimistes ;
sa province est la pensée,
inventive, rusée et curieuse ;
son métal est le vif-argent,
ses clients, orateurs, voleurs et poètes ;
vole donc, ô orateur,
pille, ô poète,
prends ce que la vieille église
trouva dans la tombe de Mithra,
bougie et écriture et cloche,
prends ce sur quoi la nouvelle église a craché
ce qu’elle a détruit et cassé ;
ramasse les fragments de verre brisé
et de ton feu et de ton haleine,
fais fondre et intègre,
ré-invoque, re-crée
l’opale, l’onyx, l’obsidienne,
à présent éparpillés en tessons
que foulent les humains.
H[ilda] D[oolittle], Trilogie, traduit par Bernard
Hoepffner, Corti, 2011, p. 57-58.
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