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17/11/2023

Étienne Paulin, Poèmes pour enfants seuls

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mais où s’égare le soleil

où part-il s’égayer

 

place de la Fraternité

sur de curieux bancs de très grands enfants jouent

ici le temps redouble

il fait nuit brune

j’ignore où commence

la rue que je recherche

 

oh le terrible

bruit de mon cœur

là dans la fosse de mon corps

incarcéré mais clair comme une gigue

 

Étienne Paulin, Poèmes pour enfants seuls,

Gallimard, 2023, p. 136.

14/06/2021

Bashô Seigneur ermite

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Regagnant la côte sur une feuille, le petit insecte où dort-il ?

 

Denuit sous la lune un ver secrètement creuse une châtaigne

 

Pareils aux herbes de pampas les épis de blé invitent-ils les coucous dans le vent ?

 

Que les couvertures superposées sont lourdes ! il doit neiger ce soir dans un lointain pays de montagne.

 

Poètes élus par les cris des singes, entendez-vous l’enfant abandonné dans le vent d’automne ?

 

Bashô Seigneur ermite, traduction Makoto Keemmoku et Dominique Chipot, La Table ronde, 2012, p. 79, 79, 85, 94, 99.

26/04/2020

Franz Kafka, Journaux, 2, traduction Robert Kahn

Robert Kahn, traducteur de Kafka, avec À Milena (2015), les Derniers cahiers (2017) et, cette année, les Journaux, tous livres publiés aux éditions NOUS, est mort le 6 avril 2020.

Second extrait des Journaux pour lui rendre hommage.

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   Onzième Cahier

Être dans un train, l’oublier, vivre comme chez soi, se souvenir subitement, sentir la force motrice du train, devenir un voyageur, sortir la casquette de la valise, aller à la rencontre de ses compagnons de  voyage de façon plus libre, plus cordiale , plus insistante, être porté sans mérite vers son but, le ressentir comme un enfant, devenir le chéri de ces dames, se trouver sous la force d’attraction continuelle de la fenêtre, avoir toujours au moins une main posée sur la planchette de la fenêtre. Situation esquissée de manière plus aiguë : oublier que l’on a oublié, devenir d’un coup un enfant qui voyage seul dans un train rapide comme l’éclair, enfant autour duquel le wagon tremblant se hâte se déploie de manière étonnante dans les plus petits détails comme dans la main d’un prestidigitateur.

 

Franz Kafka, Journaux, traduction Robert Kahn, NOUS, 2020, p. 705.

04/11/2019

Marina Tsvétaïéva, Le ciel brûle

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Les nuits sans celui qu’on aime

Avec celui qu’on n’aime pas , et les grandes étoiles

Au-dessus de la tête en feu et les mains

Qui se tendent vers Celui —

Qui n’est pas — qui ne sera jamais,

Qui ne peut être — et celui qui le doit...

Et l’enfant qui pleure le héros

Et le héros qui pleure l’enfant,

Et les grandes montagnes de pierre

Sur la poitrine de celui qui doit — en bas.

 

Je sais tout ce qui fut, tout ce qui sera,

Je connais ce mystère sourd-muet

Que dans la langue menteuse et noire

Des humains — on appelle la vie.

 

Marina Tsvétaïéva, Le ciel brûle, traduction

Pierre Léon et Ève Malleret, Poésie/Gallimard,

1999, p. 79.

29/09/2019

Paul Éluard, Médieuses

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Au premier mot limpide

 

Au premier mot limpide

 Au premier rire de ta chair

La route épaisse disparaît

Tout recommence

 

La fleur timide la fleur sans air du ciel nocturne

Des mains voilées de maladresse

Des mains d’enfant

 

Des yeux levés vers ton visage et c’est le jour sur terre

La première jeunesse close

Le seul plaisir

 

Foyer de terre foyer d’odeurs et de rosée

Sans âge sans saisons sans liens

 

L’oubli sans ombre.

 

Paul Éluard, Médieuses, dans Œuvres complètes, I, Pléiade / Gallimard, 1968, p. 911.

04/08/2019

Henri Michaux, Les commencements

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                          Les commencements

 

   L’enfant à qui on fait tenir dans sa main un morceau de craie, va sur la feuille de papier tracer désordonnément des lignes, encerclantes, les unes presque sur les autres.

   Plein d’allant, il en fait, en refait, ne s’arrête plus

…………………………………………………………………………………….

 En tournantes, tournantes lignes de larges cercles maladroits, emmêlés, incessamment repris

encore, encore

comme on jour à la toupie

 

Cercle. Désirs de la circularité.

Place au tournoiement.

 

Au commencement est la

RÉPÉTITION

 

Emprise

seuls les cercles font le tour

le tour d’on ne sait quoi de tout

du connu,

de l’inconnu qui passe

qui vient, qui est venu

et va revenir

(…)

 

Henri Michaux, Les commencements,

Fata Morgana, 1983, p. 7-8.

27/01/2019

René Daumal, Le Contre-ciel

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Il suffit d’un mot

 

Nomme si tu peux ton ombre, ta peur

et assure-lui le tour de sa tête,

le tour de ton monde et si tu peux

prononce-le, le mot des catastrophes,

si tu oses rompre ce silence

tissé de rires muets, — et si tu oses

sans complices casser la boule,

déchirer la trame,

tout seul, tout seul, et plante là tes yeux

et viens aveugle vers la nuit,

viens vers ta mort qui ne te voit pas,

seul si tu oses rompre la nuit

parée de prunelles mortes,

sans complice si tu oses

seul venir nu vers la mère des morts

 

dans le cœur de son cœur ta prunelle repose

 

écoute-la t’appeler : mon enfant,

écoute-la t’appeler par ton nom.

 

René Daumal, Le Contre-ciel, Poésie / Gallimard, 1070, p. 61.

31/12/2018

Dylan Thomas, Poèmes, traduction Patrick Reumaux

 

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Y eut-il une temps

 

Y eut-il un temps où les danseurs et leurs violons

Dans les cirques d’enfants pouvaient suspendre leurs chagrins ?

Il y eut un temps où ils pouvaient pleurer sur les livres

Mais le temps a lancé son ver sur leurs traces.

Sous l’arc du ciel ils sont en danger.

Ce qui n’est jamais connu reste le plus sûr en cette vie.

Sous le présage du ciel ceux qui n’ont pas de bras

Ont les mains les plus propres ; comme le spectre sans cœur

Est seul indemne, ainsi l’aveugle voit le mieux.

 

Dylan Thomas, Poèmes, traduction Patrick Reumaux,

Dans Œuvres, I, Seuil, 1970, p. 395.

 

 

28/11/2017

Cole Swensen, Le Nôtre (traduction Maïtreyi et Nicolas Pesquès)

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Parce qu’un jardin doit finir

 

Le Nôtre mit fin au monde

par un saut-de-loup, qui consiste à mettre une bête sauvage dans l’allée centrale :

un plan de coupe dans un coin du dessin

le montre clairement — il est suspendu dans un arc

sous lequel les enfants courent en riant

                                                             s’engouffrant dans les portes fenêtres

où ils disparaissent comme du verre dans de l’eau pour le dire autrement

                                                                                                                 c’est une douve sèche

qui tient le monde à distance tandis que la vision va tout droit sans encombre,

le temps et le cadre

                            déployés le long d’une élégance que chevauche un tendre loup juste au-dessus du sol.

Topiaire-moi un ciel ; donne-lui la forme d’un esprit.

 

Cole Swensen, Le Nôtre, traduction Maïtreyi et Nicolas Pesquès, éditions Corti, 2013, p. 35.

16/09/2016

Eugène Savitzkaya, Rules of solitude

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Toucher son propre visage équivaut à plonger la main dans l’eau trouble ou à déranger la forme d’un nuage de fumée. Les enfants ont leur visage d’or comme une tache de soleil au milieu de la mer, hors de portée.

 

Touching your own face is tantamount to plonging your hand into muddy water or disturbing the shape of a puff of smoke. Children wear their golden faces like a splash of sun in the middle of the sea, far from any port.

 

Eugène Savitzkaya, Rules of solitude, traduction en anglais Gian Lombardo, Quale Press, 1997, np.

14/09/2016

Jean-Luc Sarré, Poèmes costumés avec attelages et bestiaire en surimpression

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Orné de toiles d’araignées,

tanné comme un cuir, l’aïeul

quitte les combles pour un grenier

dont les lucarnes sans carreaux

— quelques pelotes fraiches en témoignant —

font encore le bonheur des chouettes.

Pendant que la famille s’attarde

parmi les malles, découvre un sabre,

une giberne de mameluk,

les rires d’enfant, dehors, dévalent une pente

dont ils ignorent tout.

 

Jean-Luc Sarré, Poèmes costumés avec attelages et

bestiaire en surimpression, farrago / Léo Scheer, 2003, p. 88.

06/09/2016

Vladimir Maïakovski, Lettres à Lili Brik

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Enfant

 

J’ai largement reçu le don d’aimer.

Mais dès l’enfance

les gens

au travail sont dressés.

Moi — je filais sur la berge du Rion,

je traînais

ne fichant rien de rien.

Maman se fâchait : « L’affreux garnement ! »

Comme un fouet papa brandissait sa ceinture.

Et moi,

j’allais, trois faux roubles en poche,

faire avec des troupiers un tour de bonneteau.

Sans le faix des souliers,

sans le faix des chemises,

au four de Koutaïssi bronzé,

je tournais au soleil ou le dos,

ou la panse,

au point d’en avoir la nausée.

Le soleil s’émerveille :

« C’est haut comme trois pommes !

ça possède —

un cœur d’homme.

Il le fait s’échiner.

D’où vient

qu’il soit dans cet archine place

pour moi,

pour la rivière,

pour cent verstes de rochers ? »

 

Vladimir Maïkovski, Lettres à Lili Brik (1919-1930),

traduction André Robel, Gallimard, 1969, p. 90.

21/08/2016

Michel de M'Uzan, Les chiens des rois

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                                                                             Le cerf-volant

 

                                             

Les hommes se sont écartés, ils parlent et se frappent les mains, s’interpellent et se répondent. Ils sont nombreux, ils ne voient pas l’enfant blond, tout seul sur la plage. Le cerf-volant est parti, l’enfant est resté. Le fil s’est brisé, l’enfant a tendu les bras. Le cerf-volant était blanc avec une croix jaune au milieu, il montait et personne ne bougeait. L’enfant criait, il voyait encore la tache claire qui fuyait, très haut dans le ciel, au-dessus des arbres, de la terre et de la mer. Le cerf-volant est parti et l’enfant s’est couché sur le sable mouillé. Les hommes se sont avancés et ne se sont pas arrêtés. Ils ont dépassé les pleurs, ils marchaient et le bruit des voix et des pas s’est mêlé au crissement de dix doigts sur le sable. Un vent froid a soufflé, l’enfant s’est levé et des mots étrangers lui sont montés aux lèvres.

 

Michel de M’Uzan, Les chiens des rois, collections Métamorphoses, Gallimard, 1954, p. 138-139.

05/12/2015

Pierre Silvain, Assise devant la mer

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   Maintenant qu’il se soulève au-dessus du lit, il voit sa mère debout devant la table de toilette, en combinaison légère, ses épaules dénudées, et dans le miroir incliné son visage de profil tandis que par petites touches, d’une houppette en cygne, elle se poudre les joues, le front. Quand son regard rencontre soudain le sien qu’un reflet lumineux parmi les piqûres couleur de rouille lui renvoie, elle s’arrête, interdite, honteuse peut-être d’avoir oublié la présence de l’enfant, ou bien troublée par l’interrogation qu’elle découvre dans les yeux sombres qui ne se détournent pas. Elle va prendre aussitôt sur le dos d’une chaise sa robe bleue imprimée de pois blancs qu’elle-même a coupée et cousue, droite, sans plis, décolleté en pointe, la revêt, la lisse doucement du plat de la main sur les hanches, le ventre. Il observe chacun de ses gestes sans un cillement et lorsqu’elle vient s’asseoir au bord du lit, il sent la poudre de riz l’envelopper d’un faible nuage de rose, mais il reste aussi tendu que s’il se défendait de respirer un parfum interdit. Un instant indécise ou désarmée devant l’enfant transi par une crainte puérile, la mère ouvre ses bras, l’attire contre elle, contre ses seins qui s’écartent sous la pression de la tête de plus en plus pesante, abandonnée. Pourtant, il ne dort pas, il est tout entier ce corps sans défense qu’il laisse retourner au corps maternel dont le même mouvement berceur qu’autrefois, quand il ne savait rien du monde autour de lui, rien d’autre que l’effleurement d’un souffle ou le duvet d’un baiser de lèvres sur ses lèvres, l’endort, tandis qu’il entend les paroles d’une chanson — un peu triste — s’éloigner, se brouiller et enfin mourir là-bas où sa mère l’attend.

 

Pierre Silvain, Assise devant la mer, Verdier, 2009, p. 37-38. © Photo Marina Poole.

17/08/2015

Cummings, No Thanks

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10

 

petit homme

(à tout allure

pris d’une énorme

inquiétude)

halte arrête oublie du calme

 

attends

 

(petit enfant

qui as tenté

qui as échoué

qui a pleuré)

couche-toi bravement

 

et dors

 

grande pluie

grande neige

grande lune

grand soleil

(pénètrent

 

en nous)

 

Cummings, No Thanks, NOUS,

traduit et présenté par Jacques

Demarcq, 2011, np.