12/04/2024
Monique Laederach, Mots sur le bord de l'être
Tous ceux que je porte
au fond de moi,
leurs visages immuables,
immuablement vivants,
et leurs voix,
leurs mots —
Ce sont leurs yeux avec les miens
qui se jettent
sur les toits pour les
degrés d’angle et de chute
jusqu’à l’eau bleue du soir :
un fil ténu, vibrant comme la corde d’un violon,
dont le murmure obstinément,
demeure suspendu
comme toujours
à l’arche allègre de mon sang
vif.
Monique Laederach, Mots sur le bord d’être, dans
La revue de belles-lettres, 2023, 2, p. 51.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : monique laederach, mots sur le bord d'être, visage, yeux, sang | Facebook |
15/12/2023
Roger Giroux, L'arbre le temps
(Quel visage appeler ? Quel amour concevoir ?
Ce que dit le poème n’a pas de pouvoir ?
Il consume les mots qui donneraient la vie,
Et perpétue la mort d’une aube inassouvie ?)
Roger Girous, L’arbre le temps, Éric Pesty éditeur,
2014, p. 44.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roger giroux, l'arbre le temps, visage | Facebook |
09/10/2023
Eugène Savitzkaya, Rules of solitude
Chaque visage est une fontaine
nouvelle qui s’écoule dans le vide et
l’obscurité. Le haut est léger et froid.
Le bas est noir et tiède. Le large
s’étend. Le long s’étire. Le vaste s’ouvre
et l’infini se referme. La nuit est
tellement parfumée.
Eugène Savitzkaya, Rules of solitude,
Quale Press, 2001, np.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Savitzkaya Eugène | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : eugène savitzkaya, rules of solitude, visage, nuit | Facebook |
17/07/2023
Joseph Joubert, Carnets
Toutes ces règles, ces méthodes apprennent bien à en parler, mais elles ne les donnent pas.
Il y a dans le visage quelque chose de lumineux qui ne se trouve pas dans les autres parties du corps.
…Ils aiment mieux qu’on leur donne à croire qu’à comprendre.
Il n’y a dans ce que les hommes ont pensé que quelques sommets, quelques points dominants. Le reste n’est que leur échelle, échelle que le temps a mise en pièces ; et les pièces en sont perdues, anéanties. Quand même on les retrouverait, qu’en ferait-on, qu’un échafaudage ?
Et cependant la faculté d’aimer, de voir…, se forme en s’essayant sur ces nuées que l’imagination se forge.
Joseph Joubert, Carnets, Gallimard, 1994, p. 311, 324, 325, 327, 351.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Joubert, Joseph | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : joseph joubert, méthode, visage, croire, comprendre, imaginer | Facebook |
04/01/2022
Bernard Noël, L'Oiseau de craie
L’Oiseau de craie
douleur. Bonheur
c’est un oiseau de craie
sur ton visage
la montagne se déchire
Je dis caverne
et l’eau d’autrefois
bat dans tes feuilles
sueur d’images
nous avons les dents vertes
la vie remue
on creuse des tunnels sous la peau
j’aime la grotte et l’ongle
la lampe renversée
l’espace qui écoute
mais tu marches
tu marches en toi si loin
Bernard Noël, L’Oiseau de craie, dans
Œuvres, I, Les Plumes d’Éros, P. O. L,
2009, p. 37-38.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Noël Bernard | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bernard noël, l'oiseau de craie, visage, image | Facebook |
18/07/2021
Samuel Beckett, mirlitonnades
en face
le pire jusqu’à ce
qu’il fasse rire
*
rentrer
à la nuit
au logis
allumer
éteindre voir
la nuit voir
collé à la vitre
le visage
*
somme toute
tout compte fait
un quart de milliasse
de quarts d’heure
sans compter
les temps morts
*
fin fond du néant
au bout de quelle guette
l’œil crut entrevoir
remuer faiblement
la tête le calma disant
ce ne fut que dans ta tête
Samuel Beckett, (Poèmes suivi de)
mirlitonnades, éditions de Minuit,
1978, p. 33-34.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Beckett Samuel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : samuel beckett, mirlitonnades, pire, nuit, visage, néant | Facebook |
06/07/2020
Georges Didi-Huberman, Éparses
Éparses, les positions psychiques que chacun est susceptible de tenir au creux d’une seule, d’une simple expérience émotionnelle.
Je me souviens — c’était il y a longtemps —qu’un jour où je pleurais beaucoup, je rencontrai par hasard mon visage dans le miroir. Quelque chose alors se brisa, quelque chose apparut : mon existence devint éparse, clivée. Je découvris, à me voir pleurant, une perception nouvelle : cela partait sans doute de moi-même et de mon chagrin du moment, mais cela ouvrait soudain une dimension bien plus large, impersonnelle et intéressante. Un ailleurs dans l’ici-même. C’était devenu, en un seul instant et sans doute pour le reste de ma vie, la leçon d’un nouveau regard. Il était né de la mise à distance, fatale dans cette situation optique : me voyant pleurer, j’observai tout à coup, comme de l’extérieur, ce que l’émotion, chose toute intérieure, modifiait sur l’interface de mon visage (pas beau à voir, d’ailleurs : régressif, grimaçant, chiffonné).
Georges Didi-Huberman, Éparses, éditions de minuit, 2020, p. 9-10.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, ESSAIS CRITIQUES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : georges didi-huberman, Éparses, visage, pleurer, émotion | Facebook |
21/11/2019
Sarah Wetzel, Mon premier visage
Pendant quarante-cinq ans, Borges sombra dans la cécité,
perdant d’abord le gris et le vert, les petits caractères,
les nervures des feuilles, puis la différence entre le bleu
céruléen et le saphir, le rouge Chianti et le clairet. À la fin
toutes les éditions de Shakespeare se mêlèrent, l’amour ne voit pas
avec les yeux, l’ailé Cupidon est peint aveugle. Cinq ans plus tard,
tout fut noir et Borges dit : J’ai toujours imaginé le paradis comme
une sorte de bibliothèque... Personne ne demanda ce que, laissé
à votre labyrinthe de ténèbres, vous imaginez désormais.
Un homme que j’ai épousé m’a dit un matin : Je crois que je ne t’aime pas.
Nous étions mariés depuis douze ans et il lui en a fallu
Deux de plus pour décamper. Franchement,
Je ne l’ai jamais aimé, même le jour où j’ai dit oui. Pourtant je sais
que je serais encore aujourd’hui avec lui, s’il n’était pas parti. Borges savait
dès son plus jeune âge, que comme son père et le père de son père, il serait
aveugle. C’est pourquoi il lut tous les livres avant ses cinquante ans, refusa
d’apprendre le braille et fut capable de dire juste en prêtant l’oreille
combien de livres contenait une librairie. Même aveugle,
il pouvait dessiner son propre visage — un gribouillage sans yeux
ni bouche, une pelote de fil jetée sur la blancheur d’une feuille
de papier. Ce qui est écrit noir sur blanc ne contient pas toujours la vérité.
J’ai aimé cet homme et, ne serait-ce qu’un peu, je l’aime ancore.
Sarah Wetzel, Mon premier visage, taduction de l'anglais Sabine Huynh, publié dans Catastrophes du 18 novembre 2019.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sarah wetzel, borges, aveugle, rupture, visage | Facebook |
29/09/2019
Paul Éluard, Médieuses
Au premier mot limpide
Au premier mot limpide
Au premier rire de ta chair
La route épaisse disparaît
Tout recommence
La fleur timide la fleur sans air du ciel nocturne
Des mains voilées de maladresse
Des mains d’enfant
Des yeux levés vers ton visage et c’est le jour sur terre
La première jeunesse close
Le seul plaisir
Foyer de terre foyer d’odeurs et de rosée
Sans âge sans saisons sans liens
L’oubli sans ombre.
Paul Éluard, Médieuses, dans Œuvres complètes, I, Pléiade / Gallimard, 1968, p. 911.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Éluard Paul | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul Éluard, médieuses, chair, enfant, visage, oubli | Facebook |
24/09/2019
Julien Bosc, De la poussière sur vos cils
En hommage à Julien Bosc, décédé le 24 septembre 2018
(...)
— Puis-je vous faire le récit d’un rêve ?
— D’un rêve ?
— Disons cela comme ça
— Oui
— J’étais assis, au bas de ce mur, mais un autre lui faisait pendant de telle sorte que j’étais dans un couloir... Je ne sais où le rêve avait commencé, je n’ai que la mémoire parcellaire de ce qui m’en reste, aussi ne puis-je pas vous dire qui ou quoi m’avait projeté dans ce couloir, si même on m’y avait projeté... J’y étais, seul, ni bien ni mal — il s’agissait d’autre chose... —, je ne pensais à rien de particulier mais confusément à tout lorsque soudain des chiens, je crois deux, oui deux chiens m’ont sauté à la figure, je veux dire au visage... Faible comme je l’étais après le trajet qu’on m’avait fait souffrir, je ne pus me défendre, vous vous en doutez. Et, en aurais-je eu la force, qu’aurais-je pu faire contre ces chiens dressés pour la haine ?... Je vous épargne les détails — à vous de même qu’à moi... je ne veux plus m’en souvenir... je dois m’en souvenir... je ne sais pas — mais j’eus le visage dévoré. Mon corps, non ! mes mains, non ! ma tête, non ! Ils n’avaient dévoré que mon visage. Mon visage et mon nom. Et je n’étais pas mort, pas même blessé.
Julien Bosc, De la poussière sur vos cils, éditons la tête à l’envers, 2015, p. 22-23. © Photo Tristan Hordé
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Bosc Julien | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : julien bosc, de la poussière sur vos cils, rêve, visage, nom | Facebook |
12/03/2019
Jean-Louis Giovannoni, L'air cicatrise vite
On se tient dans le visage de l’autre. En dehors, c’est le vide.
Ces visages qui affleurent à la surface et qui ne vivent qu’un instant.
Effacer est une nécessité.
Accélère, ne reste pas sur place — la meute n’est pas loin !
Toutes ces formes qui glissent en nous pour avoir un visage.
Jean-Louis Giovannoni, L’air cicatrise vite, éditions Unes, 2019, p. 11, 15, 16, 21, 26.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean-louis giovannoni, l’air cicatrise vite, visage, vide, effacer | Facebook |
03/12/2017
Carolin Callies, Inventaire (Inventar)
Inventaire
ce que tu as, caillots, goulots, taches de vin,
clous, bouchons, veiné de rouge ;
qu’étaient ces rides, ces coupes blancs-de-marbre,
ces cols immaculés ; ce qui git là, sa fin lui échappe des mains.
Qu’était-ce, peau martelée, pulpe des doigts,
Album des jours, ivre de lin,
& l) l’embouchure
tes lèvres seules cousues à la main
inventar
du hast gerinnsel, hälse, male,
pflöcke, korken, rotgeädert ;
waq warn das falten, marmorschale
kragen da lehnt das lezte aus den händen
was warn das hautbeschläge, fingerkuppen,
tagealben, linnentrunken
& dort am mundstück
nicht mehr als deine handvernähten lippen
Carolin Callies, dans Achtervahn / Le grand 8,
Wallstein Verlag / Le Castor Astral, 2017, p. 37 et 36.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carolin callies, inventaire, visage, corps, jour | Facebook |
14/04/2017
Aragon, Henri Matisse, roman
À quel moment précis de l’histoire de l’homme apparaît la représentation du visage humain, la science ne nous l’apprend pas d’une façon précise. On sait, on croit savoir, par les traces laissées dans els pierres, les ardoises, que les premiers artistes de l’humanité fixèrent d’abord les formes des bêtes qu’ils chassaient, puis que le chasseur lui-même apparut. Mais comment il s’isola, dans le développement des sociétés primitives, la bête poursuivie disparaissant au point que le corps, puis le visage du chasseur, devint le sujet de l’intérêt essentiel de l’art, c’est ce que, jusqu’à ce jour, les spécialistes n’ont pas exactement su ou désiré nous dire. Ils n’ont pas suivi, parallèlement au développement des sociétés humaines, les mouvements divers de l’intérêt du sculpteur ou du peintre pour sa propre apparence et celle de son espèce. Ils n’ont pas expliqué pourquoi ni comment il est apparu d’importance à ces hommes qui avaient le don de figurer, d’appliquer plutôt ce don à ceci qu’à cela , ils n’ont pas débrouillé l’enchevêtrement des contradictions de l’art, aujourd’hui qui s’éloigne de la représentation humaine, pour demain y revenir, qui en fait ici l’accessoire du tableau ou là son objet essentiel.
Aragon, Henri Matisse, roman, Quarto/Gallimard, 1998 (1971), p. 427-428.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Aragon Louis, ESSAIS CRITIQUES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : aragon, henri matisse, roman, hstoiore, représentation, visage, peinture | Facebook |
20/01/2017
Ivan Alechine, Enterrement du Mexique
Cela s’appelle mesure
Si on considère la lune comme un visage de femme
quand une femme se maquille
on peut dire que ses mains (qui agissent) sont
l’atmosphère qui entoure la lune
comme la Vierge cachée par l’Arbre à sucre
pose son pied de bois sculpté sur un nuage
survolant un olivier croissant sur un globe terrestre
dans l’église de la Charité de San Cristobal de Las Casas
plus loin
une tranche de pain trempé dans un jus d’ananas chaud
à l’échoppe tout en plastique
entouré (je) d’objets en plastique
une musique de plastique
télévision de plastique
pulls de plastique
tout pour le brillant
néon bleu
ampoules nues
comme si les câbles électriques tendaient l’horizon
de points de fuite d’une perspective qui nous échapperait
et qu’on s’y fasse
finalement c’est la terre au crépuscule qui a le dernier mot
la nuit vient et fait d’elle la dernière ombre découpée
sur le papier du ciel
un œil du dix-huitième siècle
un lapin sur une galette de maïs
Ivan Alechine, Enterrement du Mexique, dessins d’Eduardo
Arroyo, Galilée, 2016, p. 35-36.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ivan alechine, dessins d’eduardo arroyo, mesure, visage, plastique, enterrement du mexique | Facebook |
21/12/2016
Yves Bonnefoy, Du mouvement et de l'immobilité de Douve
Vrai nom
Je nommerai désert ce château que tu fus,
Nuit cette voix, absence ton visage,
Et quand tu tomberas dans la terre stérile
Je nommerai néant l’éclat qui t’a porté.
Mourir est un pays que tu aimais. Je viens
Mais éternellement par tes sombres chemins.
Je détruis ton désir, ta forme, ta mémoire,
Je suis ton ennemi qui n’aura de pitié.
Je te nommerai guerre et je prendrai
Sur toi les libertés de la guerre et j’aurai
Dans mes mains ton visage obscur et traversé,
Dans mon cœur ce pays qu’illumine l’orage.
Yves Bonnefoy, Du mouvement et de l’immobilité de Douve,
Mercure de France, 1954, p. 41.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Bonnefoy Yves | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : yves bonnefoy, du mouvement et de l'immobilité de douve, désir, visage, voix, mémoire | Facebook |