23/04/2023
Johannes Bobrowski, Terre d'ombres fleuves
Cris de l’hiver
Corneilles, corneilles,
vert de la glace, corneilles
au-dessus du fleuve. Hallier
figé, qui fuit sur la rive
vers l’amont.
Neige, elle ne retombe pas en poudre,
quand la frôle ton aile,
oiseau, oiseau de buisson, mais
un peu de sang,
ton cœur
pris dans la glace, ton cri
trace de fumée sur
le banc de sable,
où avaient lieu d’inlassables
étreintes, toujours
vivait le fleuve.
Johannes Bobrowski, Terre d’ombres fleuves,
traduction Jean-Claude Schneider,
Atelier La Feugraie, 2005, p. 43.
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24/05/2022
Isabelle Lévesque, Je souffle, et rien
Mon « corbeau » resté sur le fil (la ligne s’amenuise),
le son noir et ses ailes trompeuses acheminent,
lorsque loin tu parais encore, l’ombre tenace.
Tu es sur le rempart, la falaise qui s’effondre.
Le corbeau, son bec,
ton sur ton cassé, les syllabes emmêlées
des brins tordus de l’hiver. Il a neigé,
plis rien n’est perçu. L’indistinct porté
dans son vol, son cri.
Isabelle Lévesque, Je souffle, et rien,
l’herbe qui tremble, 2022, p. 73.
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12/05/2022
Gustave Roud, Air de la solitude
Appel d’hiver
Où es-tu ?
Que de fois crié cet appel vers un être, du fond de l’abîme intemporel où ma maison a glissé doucement comme un navire perdu ! L’absolu triomphe dans cette chambre, fomenté par le feu blanc des neiges. Les portraits parlent, les poèmes chantent. Toute une vie s’illumine au miroir profond de la mémoire. Tout éclate et se fige en un inexorable présent. Le cœur sous la pointe du doigt s’exténue et s’arrête. J’appelle, à travers des lieues, des années, et sans songer même à la dérision de ma voix close, un cœur qui bat.
Gustave Roud, Air de la solitude, postface Philippe Jaccottet, Poésie/Gallimard, 2002, p. 46.
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08/01/2022
Hélène Sanguinetti, Et voici la chanson
(...)
Il reste des images, où passe toute la vie la cire démenée tous les temps roses et noirs s’égrènent, chiffons, tentures, étendards qu’on a collés, Fleuve passe avec, faire un tour de ville, une descente, pousser un cri pour rire, voir après
« Ah respirer l’air d’en haut des lacs mousses gonflées jeunes, la,
bonne, odeur, de, la, nature et des bêtes »
C’était l’automne, platanes dorés,
adorées feuilles dorées, couleurs versées,
Souliers héritent, nuit veut, Supporter la foule
des Ombres c’est encore possible c’est
une pie + une autre, un gars sur un banc
du boulevard, il a mangé dans sa boite en plastique
blanc, s'est endormi, nu, soleil, petit soleil folâtrant
du boulevard
Hélène Sanguinetti, Et voici la chanson, Lurlure, 2021, p. 76.
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30/10/2021
Franck Delorieux, Quercus suivi de Le séminaire des nuits
La nuit engendre un silence de poix
Que percent seuls les vents durs
Dans les feuillages aux clochettes
De plomb et les cris épris de folie
D’une chouette effraie dont les yeux
Brillent pour traquer une proie la nuit
Meurt dans les bruits revenus elle
S’effrange fragile en attendant
L’aube et ses lumières en lames
D’argent oxydé qui tombent dru
Comme le hachoir d’un boucher
Qui frappe sans discontinuer la terre
Les rocs la flore la faune et l’homme
Seul dans sa nudité de pluie froide
Déjà un chien aboie dans le lointain
Tandis que le coq se casse la gorge
En un cri comme un bris de coquille
Chante beau coq à crête rouge solaire
Chante trois fois et je renie la nuit
Franck Delorieux, Quercus suivi de Le
séminaire des nuits, Gallimard, 2021, p. 91.
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10/05/2021
James Sacré, Si peu de terre tout
Portrait du paysan à travers les arbres
Paysan comme un arbre en colère
mouvements grands, tant de cris pourquoi ?
on sait mal peu à peu le temps l’apaise
demain la campagne est belle avec les foins
coupés les outils qu’on entretient
ça donne du tonus au paysage l’éloignement de ces cris
dans le profond bleu calme
James sacré, Si peu de terre tout, le dé bleu, 2000, p. 65.
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28/01/2021
Rainer Maria Rilke, Chant éloigné
[Pour Madame Agnes Renold]
Nous ne sommes que bouche. Qui chantera le cœur lointain
que rien n’atteint, qui règne au plus profond de toutes choses ?
Sa grande pulsation se partage entre nous
en pulsations moindres. Et sa grande douleur,
comme sa grande exultation, sont trop fortes pour nous.
Ainsi, nous ne cessons de faire effort pour nous en détacher
et n’en être ainsi que la bouche.
Mais soudain fait irruption
secrètement la grande pulsation au plus profond de nous,
qui nous arrache un cri.
Et dès lors nous sommes aussi être, changement et visage.
Rainer Maria Rilke, Chant éloigné, traduction Jean-Yves Masson, 1990, p. 19.
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17/01/2020
Saint-John Perse, Oiseaux
Oiseaux, I
L’oiseau, de tous nos consanguins le plus ardent à vivre, mène aux confins du jour un singulier destin. Migrateur, et hanté d’inflation solaire, il voyage de nuit, les jours étant trop courts pour son activité. Par temps de lune grise couleur du gui des Gaules, il peuple de son spectre la prophétie des nuits. Et son cri dans la nuit est cri de l’aube elle-même : cri de guerre sainte à l’arme blanche.
Saint-John Perse, Oiseaux, dans Œuvres complètes, Pléiade / Gallimard, 1972, p. 409.
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12/03/2018
Jean Daive, 1, 2, de la série non aperçue
Mort jusqu’au cri poussé
dans la matière
si je regarde
parmi les meubles
du jugement
la tombe externe.
Jean Daive, 1, 2, de la série non
aperçue, textes/Flammarion,
1976, p. 63.
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03/08/2015
Pierre Dhainaut, Plus loin dans l'inachevé
Oiseaux d’ici
Rieuses, dit-on de ces mouettes
tête noire et bec rouge,
d’autant plus blanches
lorsque les ailes se déploient
sur la digue, sur le port,
sans trêve, le vent,
le vent est favorable
à la véhémence
de la trajectoire, à l’acuité
du cri : elles gravissent l’air,
elles s’y précipitent, là même
où nous ne voyons rien,
quelle était
leur victime ? cette clameur
de vagues qui s’abattent
nous rattrape, nous blesse
jusque dans les rêves.
Pierre Dhainaut, Plus loin dans l’inachevé,
Arfuyen, 2010, p. 69 .
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15/07/2015
Mira Wladir, L'invention de la légèreté
Le lieu
un matin
ce que c’est
il faut encore l’apprendre
une teinte qui bouge
dans la fuite de l’œil
une teinte en fuite
qui fait matin
ce que c’est
on l’apprendra peut-être
dans un morceau tombé
*
au début devient le lieu
autre début
à cheval
dans le fond de nos ventres
on touche la tiédeur de la pierre
cette teinte qui court
dorée
sur le rein gris du mur
*
frôlement
au-dessus du cri ou dedans
un bruit qu'on n'avait pas perçu encore
de l'aile
ou de l'eau
même
Un bruit qui glisse
sous le sang
on découvre cela
sur le corps
de l'humide léger
plus clair que du rouge
le rêve aussi il faut l'apprendre
l'amour
comme un jonc brun tendu qui crisse
[...]
Mira Wladir, L’invention de la légèreté, éditions
Empreintes, 2015, p. 37-38.
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25/07/2014
Roland Dubillard, Je dirai que je suis tombé
Quatre poèmes d’amour
Si quelqu’un sourit
Si quelqu’un sourit à te voir,
s’il te regarde avec bonheur,
c’est que ton corps n’a plus la force
de lui cacher, derrière toi, le mur.
Enfant qui tète sa mère,
bientôt sa mère le détestera,
avant de lui ôter la tête.
Les yeux commencent par un point,
la douleur les allonge vers le bas,
le regard tire d’eux l’horizon,
et il faut compléter le triangle
toute sa vie, avec les mains.
Ce qui sort de ta bouche,
c’est d’abord la fumée d’une cigarette ;
et puis c’est tout le reste.
Si tu es en première
Si tu es en première
quand je suis en seconde
qu’est-ce donc qui s’est décoiffé ?
Où est la brosse, où est le peigne, où est le vent ?
où est la chevelure ?
Soleil, par qui les feuilles sont des lampes transparentes.
Orgueil, par qui les filles montent dans les wagons rouges.
Honte, qui donne à l’homme une allumette vite éteinte.
Quand de l’eau entre dans la noix
par la fente de sa coquille,
chaque moitié sur l’eau qui noie
bientôt peut-être flottera.
Si je monte au Palais-Royal,
quand tu descends au Châtelet,
les rails restent si parallèles
qu’on voudrait être des roues.
Parfois, d’un moment
Parfois, d’un moment, tu peux dire
qu’il est huit heures,
ou que c’est le moment de remonter ta montre.
Mais tu diras bien autre chose
Pour peu qu’à ce moment un autocar t’écrase.
Or, il y a toujours
quelque chose qui nous écrase,
ne serait-ce que notre poids.
Et ce qui nous écrase,
comme un autocar, est parfois
plein de militaires joyeux.
À tout moment ,
il faut les mentionner aussi.
Je lui ai crié
Je lui ai crié :
Madame ! Madame !
Votre parapluie,
je crois, s’est ouvert.
Fallait-il plutôt
ne pas le lui dire ?
le fermer de force ?
ne pas l’avoir vu ?
se mettre en colère ?
L’aurais-je quittée
de toute manière
aussi las de vivre ?
Roland Dubillard, Je dirai que je suis tombé, Gallimard, 1966, p. 79-82.
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11/04/2014
Bruno Fern, Reverbs, phrases simples
78
De seconde s'accolent les uns aux
Autres explosent les bornes.
Fixées par la loi se croient hors catégories ou quoi.
Je parle sous moi(1)
Ou à côté c'est une variante reliée souterrainement au
phénomène à la petite cuiller multipliant les évasions.
Malgré le déploiement de milices privées, la zone est loin
d'être sécurisée.
De surcroît, l'isolation paraît nettement insuffisante d'autant.
79
qu'on crie sans fin(2).
Des Maliens chartérisés aux frais du contribuable des Tchétchènes pacifiés en deux des Birmans totalisés par milliers des Kurdes en voie d'assimilation des Palestiniens en 15 mn chrono des Biélorusses ayant du plomb dans la tête des Afghanes promptement déscolarisées des Roms ramenés gratos à Bucarest et puis quoi encore des Saoudiens décapités en présence des Ouïghours intégrés à la nation mère des Mexicains interceptés de justesse à la place des Vietnamiens détournés de leur itinéraire en bonus des Iraniennes lapidées dans le strict respect des Soudanais après les ultimatums d'usage des Érythréens voguant sur la Grande Bleue, etc. montent — sans compter celle à droite en entrant sur le parking.
(1) Tristan Corbière
(2) Jean Cayrol
Bruno Fern, Reverbs, phrases simples, NOUS, 2014, np.
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26/08/2011
Jean-Pierre Duprey, La Fin et la manière
Cri
Un cri barré de foudre en jet enlumineur,
Appel happé sur un fil d’aiguille…
Au tranchant mouillé d’ombre,
Contre quoi s’est troquée
La tête mouillé noire,
L’oiseau du mal-passage
S’est barré les ailes en croix.
Armé de foudre sèche, un cri
Arrache la voix et crache la bouche…
Muet, creusé de sang, taillé
En pointes vives,
La mort a desserré sa voix et morcelé
Son rire
En glaçons épousant les regards bleu-noyé.
La glas fait pierrement au coulement du froid
Au tranchant rouillé d’ombre,
Contre quoi s’est troquée
La tête mouillée noire,
Le cri file un ciseau de deux pointes fermées,
L’oiseau d’ombre-passage,
S’ouvrant le corps au souffle bas,
A labouré la houle sourde.
Puis
Retenu, griffé, forcé
S’est encastré aux griffes basses.
Jean-Pierre Duprey, La Fin et la manière, en préface Lettre rouge d’Alain Jouffroy, couverture illustrée par Matta, Le Soleil Noir, 1965, p. 55-56.
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