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28/06/2023

Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes

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Il y a des gens qui croient que tout ce qui se dit avec un visage sérieux est raisonnable.

La plupart des hommes ont rarement dans la tête plus de lumière qu’il n’en faut pour qu’on s’aperçoive qu’elle est précisément complètement vide.

Pour décrire avec sensibilité, il faut plus que des larmes et un clair de lune.

Mettre la dernière main à son œuvre, c’est la brûler.

Si tout à coup n ne pouvait plus reconnaître les sexes aux vêtements et qu’on soit obligé de deviner même les sexes, un nouveau monde de l’amour naîtrait. Ceci mériterait d’être traité dans le roman avec sagesse et connaissance du monde.

 Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes, traduction Marthe Robert, Denoël, 1985, p. 138, 153, 158, 165.

26/07/2015

Georges Perros, Papier collés, notes

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    La terre est belle. Le visage de l’homme parfois proche de l’idée qu’on se fait d’un Dieu à notre image. Et malgré tout ce bonheur qui nous entoure, qui nous fait signe, quelqu’un, un jour, a osé parler du courage de vivre. Quelqu’un, un jour, s’est suicidé. Les plus grandes têtes ont répondu non au questionnaire suprême. Pas un homme, peut-être, depuis toujours, pas un homme prêt à recommencer sa vie. La mort effraie, et presque tous les hommes s’en vont sans cris, sans larmes, sans terreur. Tous les charmes que dispensent l’écoulement des jours, et les jeux proposés ici-bas, rien ne résiste à l’ennui, à la fatigue, à l’usure de notre sensibilité. Le temps d’aménager en hâte notre intérieur, et déjà la cloche sonne. Il faut partir. Tout laisser, tout perdre, cette femme que l’on a aimée, cette nature qui nous a bouleversé. Comment ne pas comprendre les milliers d’à quoi bon qui éclatent et s’évaporent dans l’indifférence de l’espace. À quel degré de chaleur, de souffrance, de déchirement, l’à quoi bon lui-même s’annule-t-il, laissant son homme sans autre ressource que celle de vivre sous ses ruines et ne plus trouver force que dans sa respiration, dans sa présence même ?

 

Georges Perros, Papiers collés, Le Chemin, Gallimard, 1960, p. 28-29.

17/03/2015

Franz Kafka, À Milena

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                                     Franz Kafka

 

   Avant-hier, au sanatorium Kiesling à Klosterneuburg près de Vienne, est décédé le Dr Franz Kafka, un écrivain allemand qui vivait à Prague. Il y était connu de peu de gens, car c’était un solitaire, un homme de savoir, effrayé par le monde ; il souffrait depuis des années d’une maladie pulmonaire, et même s’il la soignait, il la nourrissait mais en toute conscience et l’encourageait en pensée. Quand l’âme et le cœur ne supportent plus le fardeau, le poumon les relaie à moitié, afin qu’il soit au moins réparti de façon un peu plus équilibrée, voilà ce qu’il écrivit un jour dans une lettre, et telle était sa maladie. Elle lui conféra une délicatesse presque incroyable et un raffinement intellectuel presque macabre et qui n’admettait pas de compromis ; mais lui, l’être humain, il avait chargé sur les épaules de sa maladie toute sa peur intellectuelle devant la vie. Il était timide, craintif, doux et bon, mais les livres qu’il a écrits sont cruels et douloureux. Il voyait le monde comme peuplé de démons invisibles, qui se déchirent et détruisent l’être humain sans défense. Il était trop clairvoyant, trop sage, pour pouvoir vivre, trop faible pour combattre, faible comme le sont les êtres nobles et beaux, qui ne savent pas accepter le combat avec leur peur de l’incompréhension, de la méchanceté, du mensonge intellectuel, car ils connaissent à l’avance leur impuissance et savent qu’ils couvrent de honte par leur défaite les vainqueurs. [...]

   Tous ses livres décrivent l’horreur d’une incompréhension énigmatique, d’une innocente culpabilité entre les humains. Il était un artiste et un homme d’une conscience si fine qu’il entendait même quand d’autres, sourds, se croyaient en toute sécurité.

 

 

                                                                                      6 juin 1924

 

Milena Jesenská, Franz Kafka, dans Franz Kafka, À Milena, [lettres] traduction et introduction par Robert Kahn, NOUS, 2015, p. 297 et 298.