19/06/2024
François Rannou, Le Masque d’Anubis
L’herbe ni tondue ni coupée s’est pliée sous le
vent qui lisse sa paume humide glisse entre les
arbres de ce verger redevenu sauvage un Jessé
debout pisse contre le tronc d’un prunier l’urine
pulvérisée trace sa fine rigole entre les globes
charnus d’un jaune presque orangé les fourmis
entraînées ne grimperont plus le long de l’écorce quant au
rêve de l’homme perdu dans ses pensées il est lisible
déplie son phylatère de branche en branche comme si
c’était sa raison d’être mais ce ne sont que des
fragments qu’aucune langue connue ne peut
traduire son désir d’origine trouvera sa réponse
quand sur sa peau les hyménoptères de toutes sortes
l’inscriront lentement selon un nouveau temps pour
qu’il en ressente enfin l’importance vaine on l’appelle
les voix s’impatientent il fait soudain plus frais
Méditation
François Rannou, Le Masque d’Anubis,
Des Sources et des Livres, 2023, p. 43.
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15/09/2020
Anne Seidel, Khlebnikov pleure
SARAT II / Origine
le poème commence
nous laissons une image
telle une fumée
de cheminées
monter, un navire
qui sombre
nous regardons les petits
(tristia-)
meurtri
étroit,
silencieux, bourdonnant ou rusé.
soir (avec fin)
étranger
effleurée, la couverture brillante
près
des réseaux électriques
un lambeau de shakespeare
Anne Seidel, Khlebnikov pleure, traduction
(allemand) de Laurent Cassagnau,
éditions Unes, 2020, p. 13.
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03/01/2018
Maurice Blanchot, La bête de Lascaux
Il est, dans l’expérience de l’art et dans la genèse de l’œuvre, un moment où celle-ci n’est encore qu’une violence indistincte tendant à s’ouvrir et tendant à se fermer, tendant à s’exalter dans un espace qui s’ouvre et tendant à se retirer dans la profondeur de la dissimulation : l’œuvre est alors l’intimité en lutte de moments irréconciliables et inséparables, communication déchirée entre la mesure de l’œuvre qui se fait pouvoir et la démesure de l’œuvre qui veut l’impossibilité, entre la forme où elle se saisit et l’illimité où elle se refuse, entre l’œuvre comme commencement et l’origine à partir de quoi il n’y a jamais œuvre, où règne le désœuvrement éternel. Cette exaltation antagoniste est ce qui fonde la communication et c’est elle qui prendra finalement la forme personnifiée de l’exigence de lire et de l’exigence d’écrire. Le langage de la pensée et le langage qui se déploie dans le chant poétique sont comme les directions différentes qu’a prise ce dialogue originel, mais, dans l’un et dans ‘autre, et chaque fois que l’un et l’autre renoncent à leur forme apaisée et remontent vers leur source, il semble que recommence, d’une man !ère plus ou moins « vive », ce combat plus originel d’exigences plus indistinctes, et l’on peut dire que toute œuvre poétique, au cours de sa genèse, est retour à cette contestation initiale et que même, tant qu’elle est œuvre, elle ne cesse pas d’être l’intimité de son éternelle naissance.
Maurice Blanchot, La bête de Lascaux, fata morgana, 1982, p. 34-36.
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11/11/2017
Elizabeth Willis, Intrigue
Intrigue
La deuxième phase est l’insomnie.
D’abord il y eut l’inquiétude.
La troisième phase est « les gens normaux ».
La quatrième — que faire.
La première phase est le chaos.
La deuxième est l’invention.
L’engin à vapeur. La serviette.
La table de pique-nique. L’argent.
D’abord tu franchis un pont.
Ensuite tu volais.
Puis tu passais le balai.
D’abord vient l’amour.
Puis la nausée.
D’abord le plaisir.
Rien qu’un petit pincement.
D’abord la pupe, puis les ailes.
Pas un mot. La nuit.
[…]
Elizabeth Willis, Intrigue, dans Koshkonong, n° 12,
été 2017, p. 1-2.
© photo Charles Bernstein
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02/11/2016
Saül Bellow, Au jour le jour
Une fois de plus, dans l’air froid et la nuit qui tombait, il parcourut la courbe de la cage à l’entrée serrée entre des piliers de brique et il commença à monter au troisième étage. Des morceaux de plâtre s’écrasaient sous ses pieds, des bouts de fil de cuivre arrachés des plinthes marquaient d’anciennes limites d’appartements. Dans le couloir, le froid encore plus vif que dans les rues le transperça jusqu’aux os. Les toilettes de l’entrée faisaient des bruits de cataracte. Il pensa avec tristesse, tandis qu’il entendait le vent hurler tout autour de l’immeuble comme une fournaise, que ce n’était là qu’une caverne construite. Ensuite, il frotta une allumette dans l’obscurité et chercha des noms et des numéros au milieu des graffiti qui étaient écrits sur les murs. Il vit Kirikiki s’en va au ciel, des zigzags, des caricatures, des obscénités et des jurons. C’est ainsi qu’étaient également décorées les salles scellées des pyramides et les cavernes de l’humanité naissante.
Saul Bellow, "À la recherche de Mr Green", Au jour le jour, traduction Danielle Planel, Gallimard, 1962, p. 153-154.
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22/07/2015
Antonio Porta, Les rapports
Que peut-on justifier
à Edoardo Sanguineti
I
Prends garde à ce mois de juin vénéneux, privé de racines et de
fourmis, ce discours n’a aucun sens, plus, tout le monde
le sait, si vous voulez savoir quelque chose des origines de la vie,
elle n’eut pas d’origine, du monde, s’en moque, plus,
ce mois de juin n’est pas né, sachez-le, cessez de penser
à l’argent et choisissez, entre l’histoire et le drame ou
la tragédie, la vérité, je crois, et les faits tels quels, si
il n’y a pas de lieu, où l’on est né, ni la maison, personne
ne sait où c’est, et ainsi ne m’écoutez pas et je vous dis de
lui couper les bras, ce sera extraordinaire, qu’ils se libèrent
les grands seins, et mâchez, jusqu’au bout, dedans
la société et ses légendes, petites et grandes lèvres, dans
le parc qu’il s’invente, dans les buissons, pour enflammer le pénis,
où l’on court, au sens métaphorique, car en réalité
je suis à bout de souffle.
Antonio Porta, Les rapports, traduit de l’italien par Caroline Zekri,
préface d’A. De Francesco, postface de Judith Balso, NOUS, 2015,
p. 108.
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13/06/2015
Antonio Porta, Les rapports
Que peut-on justifier ?
à Edoardo Sanguineti
I
Prends garde à ce mois de juin vénéneux, privé de racines et de
fourmis, ce discours n’a aucun sens, plus, tout le monde
le sait, si vous voulez savoir quelque chose des origines de la vie,
elle n’est pas d’origine, du monde, s’en moque, plus,
ce mois de juin n’est pas né, sachez-le, cessez de penser
à l’argent et choisissez, entre l’histoire et le drame ou
la tragédie, la vérité, je crois, et les faits tels quels, si
il n’y a pas de lieu, où l’on est né, ni la maison, personne
ne sait où c’est, et ainsi ne m’écoutez pas et je vous dis de
lui couper les bras, ce sera extraordinaire, qu’ils se libèrent
les grands seins, et mâchez, jusqu’au bout, dedans
la société et ses légendes, petites et grandes lèvres, dans
le parc qu’il s’invente, dans les buissons, pour enflammer le pénis,
où l’on court, au sens métaphorique, car en réalité
je suis à bout de souffle.
[...]
Antonio Porta, Les rapports, traduit de l’italien par Caroline Zekri, préface d’Alessandro De Francesco, postface de Judith Balso, NOUS, 2015, p. 108.
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10/03/2015
Isabelle Garron, Corps fut
Variations 2
[...]
là. enfant .tu évoques l'épreuve d’un texte
aux confins d’une île. ici l’empreinte
d’origine ses contours traduits
dans la neige
la fatigue de l’image .d’une femme
sa condition .et le ventre
les soubresauts et les
expectorations
lire noté à maintes reprises
je ne raconterai point
j’écrirai
sous une nuit l’attente fêlée
d’une voix dans la ruelle
en contrebas
les nuages dans la vallée
la crainte aussi
d’un retour du froid
Isabelle Garron, Corps fut, Flammarion,
2011, p. 95-96.
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