16/05/2024
Georges Perros, Poèmes bleus
Ces envies qui me prennent
Et cette panique, cette supplication
Cette peur de mourir
Alors que je n’ai pas encore vécu
Et que dans ces moments
J’ai ma vie sur ma langue
Il me semble que ça va être possible, enfin
Que je vais y aller d’une grande respiration
Que je vais avaler le soleil et la lune
Et la terre et le ciel et la mer
Et tous les hommes mes amis
Et toutes les femmes mes rêves
D’une seul grand coup
De poitrine éclatée
Quitte à en mourrir, oui,
Mais pour de bon
Pas de cette mort ridicule
Déshonorante, ridicule,
Qui accuse la parodie
Qui accuse le défaut
De ce qu’on appelle la vie
Sans trop savoir de quoi nous parlons.
On se renseigne auprès des autres
On leur pose des tas de questions
Avec cette hypocrisie de bonne société
On marque des points en silence
Ils souffrent autant que nous, tant mieux
On se dit même
Qu’on est un peu plus vivant qu’eux
O l’horreur
Et la fragilité
De nos amours.
Georges Perros, Poèmes bleus, Gallimard,
1962, p. 129-130.
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09/04/2024
Georges Perros, Papiers collés
Ce qui m’intéresse, c’est ce qui m’échappe. Et ce qui m’échappe me donne la mesure de ce que je suis.
La discipline, c’est d’aimer ce qu’on aime.
Il faisait d’elle ce qu’elle voulait.
Aimer, c’est donner le droit à quelqu’un — sinon le devoir — de nous faire souffrir.
Les femmes sont ainsi faites qu’elles sont plus flattées de nous séparer d’une femme que de nous retirer de la solitude.
Georges Perros, Papiers Collés, Gallimard, 1960, p. 63, 65, 67, 72, 73.
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11/03/2024
Georges Perros, Œuvres
X
Que les hommes se suicident, c’est assez logique. On comprend. Qu’ils deviennent fous, c’est beaucoup plus troublant. Que la folie puisse constituer l’issue d’une pensée trop vécue — court-circuitée — cela met en cause l’authenticité de tout homme pensant qui ne devient pas fou. Penser est fou. S’installer dans cette région minée, la rationaliser, comme on dit, et dès lors travailler… hum !
Le travail ne vaut que dans la mesure où il retient les cavales de la folie. « Si je ne travaille pas, je deviens fou », se dit l’homme. Or combien sont devenus fous malgré leur travail, ce dernier au cœur même de leur existence.
Il y a donc une folie organisée. Qui bouche les trous. Répare en vitesse les lézardes. Puis la mort naturelle arrange tout.
Je n’aime pas les déclarations d’avant-mort. En général, c’est : « tant mieux, y en a marre ». Formule généralement soufflée par ceux qui ont fait preuve d’un optimisme débordant. Pour faire croire quoi ? à qui ?
Georges Perros, Œuvres, Quarto/Gallimard, 2020, p. 960.
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10/03/2024
Georges Perros, Une vie ordinaire
Les femmes vieillissent trop vite
à force d’hommes sur leur ventre
mais elles valent mieux que nous
qui passons entre leurs genoux
comme on entre dans un tunnel
seulement fiers de bien saillir
afin de satisfaire filles
à prendre et bientôt à laisser
je me dégoûte d’être un homme.
Georges Perros, Une vie ordinaire, dans
Œuvres, Quarto/Gallimard, 2020, p. 698.
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09/03/2024
Georges Perros, Une vie ordinaire
Je fus longtemps impressionné
par les gens ayant l’air de croire
à leur réalité D’où vient
qu’on puisse faire de ce rien
qu’est notre présence sur terre
un monument ? Ce ne serait
qu’à moitié absurde si tête
en avant l’autre n’y jetait
ce qu’on nomme encor son complexe
Les hommes mutuellement
se font si peur les uns les autres
Ils ne l’avouent qu’à peu près sûrs
de mourir sur l’heure Après quoi
parler de masques de pudeur
de caractère de froideur
est à tout prendre plus malin
que de choisir banalité
la revêche et pauvre parure
Georges Perros, Une vie ordinaire, dans
Œuvres, Quarto/Gallimard, 2020, p. 727.
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08/03/2024
Georges Perros, Œuvres
Les poissons nagent dans l’eau
Bien mieux que l’homme sur terre
Savoir nager c’est misère
Quand on n’est pas maquereau
La mouette dans le ciel
Mieux que l’homme vole, vole,
Ah ! voler manque de sel
Quand on n’est pas un oiseau.
La mer est toujours à boire.
Le ciel à prendre d’assaut.
Mais si vous voulez m’en croire
Restons-en là.
Ken Avo !
Georges Perros, Œuvres, Quarto/
Gallimard, 2020, p.528.
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07/03/2024
Georges Perros, Œuvres
On rencontre parfois des hommes de la vie brillante, mondaine, et qui, vous prenant dans un coin, à la fin d’un repas, vous disent profondément : « Mon auteur favori, c’est Pascal ». Ah ! et de vous questionner sur le lieu Pascal en eux. Pascal, c’est leur luxe. D’autre encore parlent d’Artaud, de Rimbaud. Leur vie n’en est nullement influencée. Ce sont des goûts qu’ils ont plus amusants à faire connaître que celui qu’on éprouve pour la saucisse de Francfort. » Mais Pascal, jeune homme, quel grand homme ! ».
Georges Perros, Œuvres, Quarto/Gallimard, 2017, p. 524.
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06/03/2024
Georges Perros, Œuvres
La vie active, le frottement avec les autres, etc., nous feraient croire qu’on peut changer, c’est-à-dire qu’un mot d’autrui, une opinion sur notre compte, etc., sont capables de nous influencer autrement que dans cette mesure affectueuse ou maligne. Bref, qu’on peut perdre — ou gagner — sa vie, en faisant ceci plutôt que cela. C’est absurde.
Georges Perros, Œuvres, Quarto/Gallimard, 2017, p. 522.
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26/06/2021
Georges Perros, Une vie ordinaire
Il faut beaucoup d’indifférence
ou d’amour c’est selon les goûts
pour résister à ce que l’on trouve
aimable un jour un autre non
et que revient comme rengaine
ce même amour mêlé de haine
Mais l’amour a le dernier mot
pourvu qu’on fasse acte d’absence
quoique présent Ainsi les choses
arbres ciel mer pavés des rues
se foutent de nous comme peu
d’êtres sont capables de faire
et si vous vous mettez dessus
le nez en état touristique
elles font le paon
J’aimerais
vivre ici dit la jouvencelle
Quand la retraite aura sonné
aux flambeaux de nos deux pantoufles
lui répond son urbain mari
qui a d’autres chats à fouetter
que ceux qu’on rencontre la nuit
faisant l’amour dans la nature
Georges Perros, Une vie ordinaire, dans
Œuvres, édition Thierry Gillybœuf,
Quarto/Gallimard, 2017, p. 758.
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03/06/2021
Daniel Kay, Tombeau de Jorge Luis Borges, suivi de Autres stèles
Georges Perros à Douarnenez
Papiers collés, décollés, rapiécés
avec du scotch, de la colle, papiers
mâchés, rongés, érodés, échancrés,
cousus paresseusement, tout cela finit
par faire un beau livre, Monsieur Perros,
un livre qu’on tient comme un galet
avec une main fraternelle.
Daniel Kay, Tombeau de Jorge Luis Borges,
suivi de Autres stèles, Gallimard, 2021, p. 57.
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16/01/2020
Georges Perros, Une vie ordinaire
J’ai besoin d’amour mais m’en passe
et quand on monte l’escalier
souvent je ferme à double tout
pour ne pas avoir à souffrir
de voir femme ou homme apparaître
pour me faire souffrir encore
L’amitié j’en connais le baume
et la douleur bien davantage
Allez plus on avance en âge
moins on a de temps à donner
à ceux qui ont besoin de nous
que luxueusement. C’est tout
ce que ce soir j’ai à chanter.
Georges Perros, Une vie ordinaire (1967),
dans Œuvres, édition Thierry Gillybœuf,
Quarto/Gallimard, 2017, p. 749-750.
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23/09/2019
Georges Perros, Papiers collés
L’homme s’appartient quand il ne se compare plus à aucun homme.
La discipline, c’est d’aimer ce qu’on aime.
Écrire c’est renoncer au monde en implorant le monde de ne pas renoncer à nous.
L’amythié.
Le drame de la vie c’est qu’il peut ne rien s’y passer.
Georges Perros, Papiers collés, Gallimard, 1960, p. 63, 65, 67, 100, 104.
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07/08/2019
Georges Perros, Une vie ordinaire, roman poème
`
Mais ce sont nos amours qui comptent
plus que nos haines Je rencontre
tous les jours qui vivraient très bien
sans la musique de Mozart
et de tant d’autres de moindre art
et je leur parle cependant Ils
ne se mettent en colère
que pour la politique aidés
par les clients d’oisiveté
aux aguets des propos d’hier
pour relever leur aujourd’hui
Ils sont gens qui votent à tour
d’un bras quelque peu fatigué
On aime peu ce que j’adore
ou l’aime-t-on qu’on me fait tort
en m’en expliquant la genèse
Georges Perros, Une vie ordinaire, dans
Œuvres, édition Thierry Gillybœuf,
Quarto / Gallimard, 2017, p. 753.
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08/02/2019
Georges Perros Poèmes bleus
Ce n’est pas cela que j’attends
De la vie à l’odeur forte
Couleur de lilas veuve morte
Tu m’indiffères printemps.
L’algue marine et les vents
Qui viennent frapper à ma porte
L’amour que le diable l’emporte
Me sont plus émoustillants
Homme qu’un désastre habite
Mes vœux de nulle saison
Ne se soucient. Ma prison
Ce corps qu’un feu noir excite
Rien n’en peut changer le sort
Sinon toi, mort de ma mort.
Georges Perros, Poèmes bleus,
Gallimard, 1962, p. 43.
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20/02/2018
Georges Perros, Œuvres (''Pour remplacer tous les amours...'')
Pour remplacer tous les amours
Que je n’aurai jamais
Et ceux que je pourrais avoir
J’écris
Pour endiguer le flux reflux
D’un temps que sillonne l’absence
Et que mon corps ne peut tromper
J’écris
Pour graver en mémoire courte
Ce qui défait mes jours et nuits
Rêve réel, réel rêvé
J’écris
Georges Perros, Œuvres, édition établie
et présentée par Thierry Gillybœuf,
Quarto/Gallimard, 2017, p. 1074.
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