04/10/2014
Li Po, Parmi les nuages et les pins
En montagne buvant avec un ermite
Tous deux nous buvons parmi les fleurs écloses
Une coupe une autre puis encre une coupe
L'ivresse m'assoupit il est temps que tu partes
Mais demain matin si tu veux reviens avec ton luth
Dialogue sur la montagne (4)
On me demande pourquoi je vis sur la Montagne Verte
Je souris sans répondre le cœur en paix
Les fleurs des pêchers s'en vont au fil de l'eau
Il est une autre terre un autre ciel que ceux des hommes
Sur les rapides de la rivière Lingyang
Les rapides font retentir leur grondement
De chaque côté des nuées de singes
Les flots tourbillonnants déferlent en avalanche
Entre les bancs de rochers même un canot passe à peine
Bateliers et pêcheurs
Combien de perches ici ont dû se briser
Li Po, Parmi les nuages et les pins, traduit du chinois par
Dominique Hoizey, Arfuyen, 1984, np.
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10/07/2014
Andrea Zanzotto, Idiome
Des gens
Des gens — comme tant d'autres gens —
....................................................................
Peut-être est-ce ce pourquoi j'ai toujours peine
et mal voulu partir,
à cause du bienheureux sans-gêne d'une certaine vertu
bien à toi qui en non violence tisse
et retisse des quotidiennetés —
de par elle-même, elle donne tant d'autres biens
d'accueil et de douceur
réciproque, sans exclure la fermeté —
même si parmi de légères distractions
réciproques, indifférences croisées,
caillots de petites affaires et mafias —
et puis une petite volonté
poisseuse de ne pas regarder trop loin,
une bonhomie quelquefois somnolente
Pensant à de telles choses je me découvre
parfois complètement seul, je sens
que j'omets beaucoup, ne pouvant
ni ne sachant en dire davantage
mais ensuite je me libère,
avec un peu d'effroi, un peu de joie
qui //et je me coule dans la juste
existence, un parmi le grand nombre d'ici.
Je me libère : et je vois un papier qui va
vers le nord, dans le vent, vers la nuit.
Et parfois, m'éblouit un pré
derrière une vieille maison oublié,
solitaire, feignant l'indifférence ou
une légère ou une pâlichonne distraction
mais peut-être souffre-t-il, peut-être est-il seulement
un paradis
Genti
Gente — come tante altre genti —
............................................................
Forse è per questo che ho sempre stentato
e malvoluto partire,
per l'invadenza beata di una certa tua virtù
che in nonviolenza tesse
e ritesse quotidianità —
essa di per sé dona tanti altri beni
di accoglienza e dolcezza
reciproca, né esclude la fermezza —
pur se tra lievi distrazioni
reciproche, indifferenze incrociate
coaguli di minimi affari e mafie —
e poi una piccola appiccicosa
volontà di non guardar troppo lontano
una bonarietà qualche volta sonnolenta
Mi scopro talvolta del tutto solo
pensando a tali cose, sento di
omettere molto, di non poter
né saper dire di più,
ma poi mi libero,
con un po'di sgomento un po'di gioia
che //e mi adagio nel giusto
essere uno coi tanti di qui.
Mi libero : e vedo une carta che va
verso nord, nel vento, verso la notte.
E talvolta mi abbacina un prato
dimenticato dietro una casa antica,
solitario, che finge indifferenza o
lieve o smunta distrazione
ma forse soffre, forse è soltanto
un paradiso
Andrea Zanzotto, Idiome, traduit de l'italien, du dialecte
haut-trévisan (Vénétie) et présenté par Philippe Di Meo,
José Corti, 2006, p. 33 et 35, 32 et 34.
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11/06/2014
Aurélie Foglia, Gens de peine
Vies de
I
Souvent on entend froisser
les forêts de Gens
le grand vent
les forêts profondes de Gens
ce sont les Chevrotants les Désolés
aux troncs tordus les Abonnés aux branches
basses qui brament au fond des fossés
« nous ne sommes pas doués
pour la divinitude
apprends-nous comment
nous soustraire arrache-nous
d'entre nos frères la mort »
tordant leurs bras griffus
s'adressant à qui ? au vent absent
ce sont les Bafoués les Enterrés du pied
faune en costume de lichen à cornes
de brume les Passés sous silence
qui végètent sous
des loups de velours dévoré
II
quelques-uns nus d'autres non
Gens derniers
ainsi furent ainsi d'en furent
long loin
leurs notes mal tenues
pas un ne les rappelé
Gens de rien
perdus entre tous
les sons qui les émurent
dont nos noms ne sont pas
parvenus
eurent si peu de fourrure
par si grand froid
qu'ils en moururent
pas un ne les réchauffa
[...]
Aurélie Foglia, Gens de peine, NOUS, 2014, p. 11-14.
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26/05/2014
Jean-Claude Pirotte (1939-24 mai 2014), Revermont
sans nouvelles d'ailleurs
et n'étant pas d'ici
ma présence m'écœure
et mon absence aussi
*
ce n'est pas assez dire
que je suis seul et nu
en vérité c'est le bonheur
fredonnant les trilles du diable
de cette vie je peux maudire
seul et nu devant ma table
aux horizons imaginaires
et quel instrument que mes nerfs
un violoneux fantôme joue
mes mêmes airs jour après jour
et cela me tue à ravir
Jean-Claude Pirotte, Revermont,
Le temps qu'il fait, 2008, p. 65, 82.
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22/05/2014
Octavio Paz, Liberté sur parole
La vie tout simplement
Appeler le pain par son nom et que se pose
sur la nappe le pain de chaque jour ;
faire la part du feu, donner à nos rêves,
au bref paradis, à l'enfer,
au corps et à la minute ce qu'ils réclament ;
rire comme rit la mer, comme le vent rit,
sans que le rire sonne comme des bris de verre ;
boire et dans l'ivresse posséder la vie ;
danser sans perdre le tempo ;
toucher la main d'un inconnu
par un jour de pierre et d'agonie
et que cette main ait la fermeté
que n'eut pas la main de l'ami ;
passer par la solitude sans que le vinaigre
torde ma bouche, ni que le miroir
repère mes grimaces, ni que le silence
se hérisse dans un grincement de dents :
ces quatre murs — papier, plâtre,
tapis chiche, foyer jaunâtre —
ne sont pas encore l'enfer promis ;
que ne me blesse plus ce désir,
gelé par la peur, plaie froide,
brûlure de lèvres non embrassées :
l'eau claire jamais ne suspend son cours
et certains fruits tombent mûrs ;
savoir partager le pain — et le partage,
le pain d'une vérité commune à tous,
vérité de pain qui nourrit notre faim
(si je suis homme, c'est par son levain,
un semblable parmi mes semblables) ;
lutter pour que vivent les vivants,
donner vie aux vivants, à la vie,
et enterrer les morts et les oublier
comme la terre les oublie : comme des fruits...
et qu'à l'heure de ma mort j'arrive
à mourir comme les hommes et que me soit donné
le pardon, et la vie perdurable
de la poussière, des fruits, de la poussière.
Octavio Paz, Liberté sur parole, traduction Jean-Claude Masson,
Pléiade, Gallimard, 2008, p. 28-29.
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29/03/2014
Albert Camus, Carnets II, janvier 1942-mars 1951
1947
Misère de ce siècle. Il n'y a pas si longtemps, c'étaient les mauvaises actions qui demandaient à être justifiées, aujourd'hui ce sont les bonnes.
La solitude parfaite. Dans l'urinoir d'une grande gare à 1 heure du matin.
Comment faire comprendre qu'un enfant pauvre peut avoir honte sans avoir d'envie.
Forme et révolte. Donner une forme à ce qui n'en a pas, c'est le but de toute œuvre. Il n'y a donc pas seulement création, mais correction. D'où importance de la forme. D'où nécessité d'un style pour chaque sujet non tout à fait différent parce que la langue de l'auteur est à lui. Mais justement elle fera éclater non pas l'unité de tel ou tel livre mais celle d e l'œuvre tout entière.
La paix serait d'aimer en silence. Mais il y a la conscience et la personne : il faut parler. Aimer devient l'enfer.
Albert Camus, Carnets II, janvier 1942-mars 1951, éditions établie et annotée par Raymond Gay-Crosier, Folio- Gallimard, 2013, p. 214, 216, 222, 241, 243.
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15/02/2014
Malcom Lowry, Poèmes, traduction Jean Follain
Dans la prison d'Oaxaca
J'ai connu la cité d'atroce nuit
bien plus atroce que celle que connurent
Kipling ou Thomson...
une nuit où la dernière graine d'espérance s'est envolée
de l'esprit évanescent d'un petit-fils de l'hiver.
Dans le cachot cet enfant alcoolique frissonne
réconforté par l'assassin car la compassion ici aussi se montre ;
les bruits nocturnes y sont appels au secours
provenant de la ville, du jardin d'où l'on expulse les destructeurs ?
L'ombre du policier se balance sur le mur
l'ombre de la lanterne forme tache noire sur le mur
et sur un pan de la cathédrale oscille lentement ma croix
— les fils et le grand poteau télégraphique remuant au vent —
Et moi je suis crucifié entre deux continents.
Aucun message n'arrive du dehors en pleurnichant
pour moi qui demeure ici
mais que de messages pour moi venant d'ici
où l'on signe syphilis et chaude pisse avec du Sloane liniment
mais selon l'un ou l'autre on varie la dose
Malcom Lowry, Poèmes, traduction Jean Follain, dans Les Lettres Nouvelles, "Malcom Lowry", mai-juin 1974, p. 225.
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26/12/2013
Jean Tardieu, Comme ceci comme cela
Aventure
Était-ce hier ou dans un temps lointain ?
La vibration de l'air à peine on l'entendait
(C'était le cri de l'alouette invisible)
J'étais seul, habité par une multitude muette
où grondait la colère des mauvais jours.
Dans cette large plaine coulait sans doute un fleuve
et au-delà pâlissaient les montagnes mais on ne les
[voyait pas
Le reflet de ma peine, identique à ma joie
plongeait dans les ténèbres
vides.
Quelqu'un passa, ou quelque chose
« Qui est là ? » — demandai-je
Nul ne répondit
Mais une feuille tomba
et le rideau s'entrouvrit
sur le paisible abîme de mes jours.
Jean Tardieu, Comme ceci comme cela, Gallimard,
1979, p. 27-28.
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14/08/2013
Jacques Réda, La Tourne
Pauvreté. L'homme assiste sa solitude.
Elle le lui rend bien. Ils partagent les œufs du soir,
Le litre jamais suffisant, un peu de fromage,
Et la femme paraît avec ses beaux yeux de divorce.
Alors l'autre que cherche-t-elle encore dans les placards,
N'ayant pas même une valise ni contre un mur
La jeune amitié des larmes ? — Te voilà vieille,
Inutile avec tes mains qui ne troublent pas la poussière.
Laisse. Renonce à la surface. Espère
En la profondeur toujours indécise, dans le malheur
Coupable contre un mur et qui te parle, un soir,
Croyant parler à soi comme quand vous étiez ensemble.
Jacques Réda, La Tourne, "Le Chemin", Gallimard, 1975, p. 59.
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10/08/2013
André Frénaud, La Sainte Face
Bon an, mal an
Bon an mal an,
bon gré mal gré,
bon pied bon œil,
toujours pareil,
toujours tout neuf,
c'est toujours vrai,
c'est toujours vain,
ça persévère,
ça s'exaspère,
ça prend son temps,
ça va briller,
ça s'inscrira,
indescriptible,
perdu ravi,
malheur gaieté,
le pour le contre,
la fin la suite,
commencement,
flamme épineuse,
contour changeant,
la mort qui tousse,
qui se ravive
au goût du vif,
la mort, la joie,
m'épuisant à rire
dans cet hôtel jaune,
dans ce lit de fer,
éclairé jusqu'où,
feuille tombée vivante
d'un sommeil sans rêve
au milieu de toi,
promesse souterraine,
pousse nourricière,
douce comme le bleu.
Marseille-Lyon, 14 mars 1949
André Frénaud, La Sainte Face, Poésie /
Gallimard, 1985 [1968], p. 165-166.
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29/07/2013
Lord Byron, Épître à Augusta
Épître à Augusta
IX
Que n'es-tu qu'avec moi ! mais je cultive
De mes désirs que la folie, et j'oublie
Que la solitude, si fort louée,
Perdit son prix en cela — un regret ;
Il en peut être d'autres, que moins je montre ;
Mon humeur n'est plaintive, quoique je sente
La mer descendre en ma philosophie,
Et s'élever le flot à mon œil altéré.
Espitle to Augusta
IX
Oh that thou wert but with me ! — but I grow
The fool of my own wishes, and forget
The solitude, which I have vaunted so,
Has lost its praise n this but one regret;
There may be others which I less may show,
I am not of the plaintive mood, and yet
I fell an ebb in my philosophy,
And the tide rising in my alter'd eye.
Lord Byron, Poèmes, choisis et traduits de l'anglais par
Florence Guilhot et Jean-Louis Paul, Allia, 2012, p. 77 et 76.
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01/07/2013
François de Malherbe, Poésies
Chanson :
Sur le départ de la vicomtesse d'Auchy
Ils s'en vont ces rois de ma vie,
Ces yeux, ces beaux yeux,
Dont l'éclat fait pâlir d'envie
Ceux mêmes des cieux.
Dieux, amis de l'innocence,
Qu'ai-je fait pour mériter
Les ennuis où cette absence
Me va précipiter ?
Elle s'en va cette merveille
Pour qui nuit et jour
Quoi que la raison me conseille,
Je brûle d'amour.
Dieux, amis de l'innocence,
Qu'ai-je fait pour mériter
Les ennuis où cette absence
Me va précipiter ?
En quel effroi de solitude
Assez écarté
Mettrai-je mon inquiétude
En sa liberté ?
Dieux, amis de l'innocence,
Qu'ai-je fait pour mériter
Les ennuis où cette absence
Me va précipiter ?
Les affligés ont eu leur peine
Recours à pleurer ;
Mais quand mes yeux seraient fontaines,
Que puis-je espérer ?
Dieux, amis de l'innocence,
Qu'ai-je fait pour mériter
Les ennuis où cette absence
Me va précipiter ?
François de Malherbe, Poésie, Librairie de la
Bibliothèque nationale, 1884, p.154-155.
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26/06/2013
Gaston Chaissac, Hippobosque au bocage
J'en reste sardine
C'est la magie des mots d'amour
D'une turbine regret d'un jour,
J'en reste sardine.
Mon estomac est en lambeaux et mon frère
Dagobert m'a dit : restaure-toi d'amour, de mors,
d'une sardine. Et ma petite turbine
quelle piètre petite combine,
je l'offre au vent pour un mégot.
Je n'ai à paître qu'un escargot
Mon estomac grimace dans ma bedasse
et ma denture s'escrime en vain à mordre dans la faim.
Qu'elle est coriace, et au monde un refrain
qui fait serin s'évanouir derrière
les fagots dans une nuit illusoire.
Comme la sardine sous un ciel de lit
pour se protéger de l'orage, un sondeur
de temps, tout magicien qu'il est ne sait qu'en dire
et se tait longtemps.
Gaston Chaissac, Hippobosque au bocage, L'Imaginaire /
Gallimard, 1995 [1951], p. 13-14.
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18/05/2013
Antoine Emaz, Cambouis
On écrit sans doute parce qu'on n'a rien d'autre pour tenir droit dans un monde de travers.
Je crois n'avoir jamais connu que des poètes fêlés. Qu'ils soient bons ou mauvais est une autre affaire, mais ce lien entre écriture et fêlure, oui. Et une fêlure d'être, profonde, pas l'égratignure sociale ou l'écorchure de vanité. Pas non plus des êtres cassés, sinon l'écriture cesserait. Des bancals, des boiteux d'être. Et chez les vrais lecteurs, de même, car il faut pouvoir l'entendre, ce son de cloche fêlée ou d'enfant qui pleure presque en silence.
Toujours se méfier du brio, du brillant. La poésie, vue de ma fenêtre, comme un art du peu, du pauvre.
Rien de magique en poésie : un peu de chance et beaucoup de travail.
Écrivant, on ne s'adresse pas à tout le monde mais à chacun. Cela passe ou pas, selon le lecteur, en fonction de sa culture, ses goûts, son histoire particulière... Ce qu'on nomme le « public » n'existe pas. Les lecteurs viennent un à un, pour des raisons très différentes, voire opposées. Ce qu'on nomme « public » est une somme d'individus qui, pris isolément, ont tous de solides raisons pour aimer ou détester tel ou tel travail. Je ne crois pas qu'il y ait un mouvement de mode, même s'il y a de l'air du temps. C'est bien plus complexe, le poète est seul parmi d'autres poètes, tout comme le lecteur est seul parmi d'autres lecteurs. On ne peut créer un mouvement de foule en poésie. D'où l'illusion des « écoles » « mouvements littéraires ». C'est bien plus émietté : on peut gommer les écarts en soulignant les points communs, mais pas longtemps. Rien que de bien naturel puisque les principes édictés par l'un ne peuvent être suivis par les autres, sauf à à considérer comme valorisante la piètre condition de disciple, émule, remorqué...
Antoine Emaz, Cambouis, Seuil, "Déplacements", 2009, p. 155, 171, 177, 179, 180.
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07/05/2013
Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer
Personne ne te connaît
Du festin de joie ne resta que la cruche du tourment
Chidiock Tichborne
Personne ne te connaît
et quand tu meurs,
ils se glissent dans les manteaux,
pour t'ensevelir.
N'oublie jamais ça !
Personne n'a besoin de toi
et quand tu meurs,
ils battent le tambour
et tiennent leur langue.
N'oublie jamais ça !
Personne ne t'aime
et quand tu meurs,
ils enfoncent ton mal du pays
et le rentrent dans la terre.
N'oublie jamais ça !
Personne ne te tue
et quand tu meurs,
ils te crachent dans ta chope de bière
et tu dois payer.
Dich kennt keiner
Von Freudenmahl blieb mir der Knug der Pein
Chidiock Tichborne
Dich kennt keiner
und wenn du stirbst,
schlüpfen sie in die Mäntel,
um dich zu verscharren.
Vergiß das nie !
Dich braucht keiner
und wenn du stirbst,
schlagen sie auf die Trommel
und halten den Mund.
Vergiß das nie !
Dich mag keiner
und wenn du stirbst,
treten sie dein Heimweh
zurück in die Erde.
Vergiß das nie !
Dich tötet keiner,
doch wenn du stirbst,
spucken sie dir in den Bierkrug
und du mußt zahlen.
Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer [édition bilingue],
traduit de l'allemand et présenté par Susanne Hommel, Orphée / La Différence, 2012, p. 105 et 104.
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