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26/12/2013

Jean Tardieu, Comme ceci comme cela

 

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                             Aventure

 

Était-ce hier ou dans un temps lointain ?

 

La vibration de l'air à peine on l'entendait

(C'était le cri de l'alouette invisible)

 

J'étais seul, habité par une multitude muette

où grondait la colère des mauvais jours.

 

Dans cette large plaine coulait sans doute un fleuve

et au-delà pâlissaient les montagnes mais on ne les

                                               [voyait pas

 

Le reflet de ma peine, identique à ma joie

plongeait dans les ténèbres

vides.

 

Quelqu'un passa, ou quelque chose

« Qui est là ? » — demandai-je

 

Nul ne répondit

Mais une feuille tomba

 

et le rideau s'entrouvrit

sur le paisible abîme de mes jours.

 

Jean Tardieu,  Comme ceci comme cela, Gallimard,

 

1979, p. 27-28.

14/08/2013

Jacques Réda, La Tourne

Jacques Réda, La Tourne, solitude

Pauvreté. L'homme assiste sa solitude.

Elle le lui rend bien. Ils partagent les œufs du soir,

Le litre jamais suffisant, un peu de fromage,

Et la femme paraît avec ses beaux yeux de divorce.

Alors l'autre que cherche-t-elle encore dans les placards,

N'ayant pas même une valise ni contre un mur

La jeune amitié des larmes ? — Te voilà vieille,

Inutile avec tes mains qui ne troublent pas la poussière.

Laisse. Renonce à la surface. Espère

En la profondeur toujours indécise, dans le malheur

Coupable contre un mur et qui te parle, un soir,

Croyant parler à soi comme quand vous étiez ensemble.

 

 

Jacques Réda, La Tourne, "Le Chemin", Gallimard, 1975, p. 59.

10/08/2013

André Frénaud, La Sainte Face

André Frénaud, La Sainte Face, solitude, vers court

Bon an, mal an

 

Bon an mal an,

bon gré mal gré,

bon pied bon œil,

toujours pareil,

toujours tout neuf,

c'est toujours vrai,

c'est toujours vain,

ça persévère,

ça s'exaspère,

ça prend son temps,

ça va briller,

ça s'inscrira,

indescriptible,

perdu ravi,

malheur gaieté,

le pour le contre,

la fin la suite,

commencement,

flamme épineuse,

contour changeant,

la mort qui tousse,

qui se ravive

au goût du vif,

la mort, la joie,

m'épuisant à rire

dans cet hôtel jaune,

dans ce lit de fer,

éclairé jusqu'où,

feuille tombée vivante

d'un sommeil sans rêve

au milieu de toi,

promesse souterraine,

pousse nourricière,

douce comme le bleu.

 

                  Marseille-Lyon, 14 mars 1949

 

André Frénaud, La Sainte Face, Poésie /

Gallimard, 1985 [1968], p. 165-166.

 

 

 

 

 

 

 

29/07/2013

Lord Byron, Épître à Augusta

 

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                Épître à Augusta

 

                          IX

 

   Que n'es-tu qu'avec moi ! mais je cultive

   De mes désirs que la folie, et j'oublie

   Que la solitude, si fort louée,

   Perdit son prix en cela — un regret ;

   Il en peut être d'autres, que moins je montre ;

   Mon humeur n'est plaintive, quoique je sente

   La mer descendre en ma philosophie,

Et s'élever le flot à mon œil altéré.

 

                  Espitle to Augusta

 

                            IX

 

   Oh that thou wert but with me ! — but I grow

   The fool of my own wishes, and forget

   The solitude, which I have vaunted so,

   Has lost its praise n this but one regret;

   There may be others which I less may show,

   I am not of the plaintive mood, and yet

   I fell an ebb in my philosophy,

And the tide rising in my alter'd eye.

 

Lord Byron, Poèmes, choisis et traduits de l'anglais par

 

Florence Guilhot et  Jean-Louis Paul, Allia, 2012, p. 77 et 76.

01/07/2013

François de Malherbe, Poésies

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                            Chanson :

        Sur le départ de la vicomtesse d'Auchy

  

Ils s'en vont ces rois de ma vie,  

     Ces yeux, ces beaux yeux,

Dont l'éclat fait pâlir d'envie

     Ceux mêmes des cieux.

Dieux, amis de l'innocence,

Qu'ai-je fait pour mériter

Les ennuis où cette absence

     Me va précipiter ?

 

Elle s'en va cette merveille

     Pour qui nuit et jour

Quoi que la raison me conseille,

     Je brûle d'amour.

Dieux, amis de l'innocence,

Qu'ai-je fait pour mériter

Les ennuis où cette absence

     Me va précipiter ?

 

En quel effroi de solitude

     Assez écarté

Mettrai-je mon inquiétude

     En sa liberté ?

Dieux, amis de l'innocence,

Qu'ai-je fait pour mériter

Les ennuis où cette absence

     Me va précipiter ?

 

Les affligés ont eu leur peine

     Recours à pleurer ;

Mais quand mes yeux seraient fontaines,

     Que puis-je espérer ?

Dieux, amis de l'innocence,

Qu'ai-je fait pour mériter

Les ennuis où cette absence

     Me va précipiter ?

 

 

François de Malherbe, Poésie, Librairie de la

Bibliothèque nationale, 1884, p.154-155.

26/06/2013

Gaston Chaissac, Hippobosque au bocage

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                J'en reste sardine

 

C'est la magie des mots d'amour

D'une turbine regret d'un jour,

J'en reste sardine.

 

Mon estomac est en lambeaux et mon frère

Dagobert m'a dit : restaure-toi d'amour, de mors,

d'une sardine. Et ma petite turbine

quelle piètre petite combine,

je l'offre au vent pour un mégot.

 

Je n'ai à paître qu'un escargot

Mon estomac grimace dans ma bedasse

et ma denture s'escrime en vain à mordre dans la faim.

 

Qu'elle est coriace, et au monde un refrain

qui fait serin s'évanouir derrière

les fagots dans une nuit illusoire.

 

Comme la sardine sous un ciel de lit

pour se protéger de l'orage, un sondeur

de temps, tout magicien qu'il est ne sait qu'en dire

et se tait longtemps.

 

Gaston Chaissac, Hippobosque au bocage, L'Imaginaire /

 

Gallimard, 1995 [1951], p. 13-14.

18/05/2013

Antoine Emaz, Cambouis

Antoine Emaz, Cambouis, poésie, écrire, lecture, fêlure

   On écrit sans doute parce qu'on n'a rien d'autre pour tenir droit dans un monde de travers.

 

   Je crois n'avoir jamais connu que des poètes fêlés. Qu'ils soient bons ou mauvais est une autre affaire, mais ce lien entre écriture et fêlure, oui. Et une fêlure d'être, profonde, pas l'égratignure sociale ou l'écorchure de vanité. Pas non plus des êtres cassés, sinon l'écriture cesserait. Des bancals, des boiteux d'être. Et chez les vrais lecteurs, de même, car il faut pouvoir l'entendre, ce son de cloche fêlée ou d'enfant qui pleure presque en silence.

 

   Toujours se méfier du brio, du brillant. La poésie, vue de ma fenêtre, comme un art du peu, du pauvre.

 

Rien de magique en poésie : un peu de chance et beaucoup de travail.

 

   Écrivant, on ne s'adresse pas à tout le monde mais à chacun. Cela passe ou pas, selon le lecteur, en fonction de sa culture, ses goûts, son histoire particulière... Ce qu'on nomme le « public » n'existe pas. Les lecteurs viennent un à un, pour des raisons très différentes, voire opposées. Ce qu'on nomme « public » est une somme d'individus qui, pris isolément, ont tous de solides raisons pour aimer ou détester tel ou tel travail. Je ne crois pas qu'il y ait un mouvement de mode, même s'il y a de l'air du temps. C'est bien plus complexe, le poète est seul parmi d'autres poètes, tout comme le lecteur est seul parmi d'autres lecteurs. On ne peut créer un mouvement de foule en poésie. D'où l'illusion des « écoles » « mouvements littéraires ». C'est bien plus émietté : on peut gommer les écarts en soulignant les points communs, mais pas longtemps. Rien que de bien naturel puisque les principes édictés par l'un ne peuvent être suivis par les autres, sauf à à considérer comme valorisante la piètre condition de disciple, émule, remorqué...

 

Antoine Emaz, Cambouis, Seuil, "Déplacements", 2009, p. 155, 171, 177, 179, 180.

07/05/2013

Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer

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     Personne ne te connaît

 

                         Du festin de joie ne resta que la cruche du tourment

                                                Chidiock Tichborne

 

Personne ne te connaît

et quand tu meurs,

ils se glissent dans les manteaux,

pour t'ensevelir.

 

N'oublie jamais ça !

 

Personne n'a besoin de toi

et quand tu meurs,

ils battent le tambour

et tiennent leur langue.

 

N'oublie jamais ça !

 

Personne ne t'aime

et quand tu meurs,

ils enfoncent ton mal du pays

et le rentrent dans la terre.

 

N'oublie jamais ça !

 

Personne ne te tue

et quand tu meurs,

ils te crachent dans ta chope de bière

et tu dois payer.

 

 

Dich  kennt keiner

 

                         Von Freudenmahl blieb mir der Knug der Pein

                                                  Chidiock Tichborne

 

Dich  kennt keiner

und wenn du stirbst,

schlüpfen sie in die Mäntel,

um dich zu verscharren.

 

Vergiß das nie !

 

Dich braucht keiner

und wenn du stirbst,

schlagen sie auf die Trommel

und halten den Mund.

 

Vergiß das nie !

 

Dich mag keiner

und wenn du stirbst,

treten sie dein Heimweh

zurück in die Erde.

 

Vergiß das nie !

 

Dich tötet keiner,

doch wenn du stirbst,

spucken sie dir in den Bierkrug

und du mußt zahlen.

 

Thomas Bernhard, Sur la terre comme en enfer [édition bilingue],

traduit de l'allemand et présenté par Susanne Hommel, Orphée / La Différence, 2012, p. 105 et 104.

 

 

24/01/2013

Valérie Rouzeau, Quand je me deux

Valérie Rouzeau, Quand je me deux, Répétition, solitude

             Répétition

 

On ne connaît pas le cœur des gens

Il est tant mal visible que parfois

On cogne dedans

Quelle misère de prendre le train

Quand au bout il n'y a personne rien

On ne sait pas l'avis des anges

Non plus que des moulins à eau

On se sert un grand verre de vent

De source de pluie des yeux

On ignore comment vivre comme eux

On se sert un grand verre de vin

Dans une maison avec enfants avenir chien

Le quai fait des bruits de chaussures

Le quai fait des bruits de valises à roulettes et des

      bruits d'avant

Le quai est vide vide vide on bute dans l'air

Pardon messieurs dames j'ai cru à un nuage

Vous êtes innombrables qui ne m'êtes personne

Je suis innombrable et comme vous presque rien

Prenons donc un pot amical au lieu d'un pot au noir

       d'un mauvais coup

On ne connaît pas d'autre cœur dans le noir que le

        nôtre et encore

Ni dans le jour non plus alors à la bonne vôtre

Et nous débarquerons sous le soleil battant.

 

Valérie Rouzeau, Quand je me deux, Le temps qu'il fait,

2009, p. 45-46.

16/01/2013

Georges Perec, Un homme qui dort

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   Tu es seul, et parce que tu es seul, il faut que tu ne regardes jamais l'heure, il faut que tu ne comptes jamais les minutes. Tu ne dois plus ouvrir ton courrier avec fébrilité, tu ne dois plus être déçu si tu n'y trouves qu'un prospectus t'invitant à acquérir pour la modique somme de soixante-sept francs un service à gâteaux gravé à ton chiffre ou les trésors de l'art occidental.

   Tu dois oublier d'espérer, d'entreprendre, de réussir, de persévérer.

   Tu te laisses aller, et cela t'est presque facile. Tu évites les chemins que tu as trop longtemps empruntés. Tu laisses le temps qui passe effacer la mémoire des visages, des numéros de téléphone, des adresses, des sourires, des voix.

   Tu oublies que tu as appris à oublier, que tu t'es, un jour, forcé à l'oubli. Tu traînes sur le boulevard Saint-Michel sans plus rien reconnaître, ignorant des vitrines, ignoré du flot montant et descendant des étudiants. Tu n'entres plus dans les cafés, tu n'en fais plus le tour d'un air soucieux, allant jusque dans les arrière salles à la recherche de tu ne sais plus qui. Tu ne cherches plus personne dans les queues qui se forment toutes les deux heures devant les sept cinémas de la rue Champollion. Tu n'erres plus comme une âme en peine dans la grande cour de la Sorbonne, tu n'arpentes plus les longs couloirs pour atteindre la sortie des salles, tu ne vas plus quêter des saluts, des sourires, des signes de reconnaissance dans la bibliothèque.

 

   Tu es seul. Tu apprends à marcher comme un homme seul, à flâner, à traîner, à voir sans regarder, à regarder sans voir. Tu apprends la transparence, l'immobilité, l'inexistence. Tu apprends à être une ombre et à regarder les hommes comme s'ils étaient des pierres. Tu apprends à rester assis, à rester couché, à rester debout. Tu apprends à mastiquer chaque bouchée, à trouver le même goût atone à chaque parcelle de nourriture que tu portes à ta bouche. Tu apprends à regarder les tableaux exposés dans les galeries de peinture comme s'ils étaient des bouts de murs, de plafonds, et les murs, les plafonds, comme s'ils étaient des toiles dont tu suis sans fatigue les les dizaines, les milliers de chemins toujours recommencés, labyrinthes inexorables, texte que nul ne saurait déchiffrer, visages en décomposition.

 

Georges Perec, Un homme qui dort, 10/18, 1976 [Denoël, 1967], p. 68-71.

11/01/2013

Giorgio Caproni, Le Mur de la terre

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          Condition

 

 

Un homme seul,

enfermé dans sa chambre.

Avec toutes ses raisons.

Tous ses torts.

Seul dans une chambre vide,

à parler. Aux morts.

 

           Condizione

 

Uno uomo solo,

chiuso nella sua stanza.

Con tutte le sue ragioni.

Tutti i suoi torti.

Solo in una stanza vuota,

e parlare. Ai morti.

 

                                  *

 

              L'emmuré

 

« Vous m'avez fusillé

la bouche », dit-il. « J'ai tant

aimé (id est cherché

l'amour que je me retrouve

maintenant emmuré

dans cette tour. Au-dehors

est le désert du soleil,

des orties — le gel

ébloui du jour

est le glacier. À l'intérieur,

sur mon égoïsme

tout entier rimé, le four

aveugle de mon altruisme

effaré et non regretté. »

 

                 Il murato

 

« M'avete fucilato

la bocca, » disse « Ho tanto

amato (idest cercato

amore) ch'ora

io mi trovo murato

in questa torre. Fuori,

è il deserto del sole

e delle ortiche — il gelo

abbagliato del giorno

sul ghiacciaciaio. Dentro,

rimato tutt'intero

col mi egoismo, il forno

cieco del mio sgomentato

illacrimato altruismo. »

 

Giorgio Caproni, Le Mur de la terre, traduit de l'italien

par Philippe Di Meo, Atelier La Feugraie, 2002, p. 25

et 24, 113 et 112.

05/08/2012

Antoine Emaz, Peau

Antoine Emaz, Peau, solitude

               Seul, 6 (18. 11. 06)

 

Il n'y a pas de bout de la nuit

seulement une maison vide

et silencieuse de tous ses murs

 

on est dedans

 

pas en prison

 

mais dedans

 

et la nuit comme aveugle

tourne en rond

 

les mots piochent piquent

des étoiles

on dira ça comme ça

 

des lumières fermées

 

tension

 

ce silence qui vient de biais si l'on n'agit pas c'est lui qui va emporter la mise la main les mots dans l'ardoise et plus rien

 

pas facile d'aller contre l'aigu du silence dans la maison vide il siffle comme chez lui il sape il pèse ensuite habitué qu'il est du lieu

 

une lame de nuit

 

tension sans l'avoir vue venir — vite glisser — tension — nerfs cordes mais quelle musique grommellement de mots pour rien ce bruit de chien grondant comme pour intimider le silence dessous qui passe

 

continuer à parler — rester dans le blanc de la lampe plutôt que la nuit qui tait la maison tait tout

 

un bruit d'eau presque rassure dans la gouttière

 

on tient à peu

 

[...]

 

Antoine Emaz, Peau, Tarabuste, 2008, p. 113-114.

© Photo Tristan Hordé.

03/08/2012

Paul Louis Rossi, Visage des nuits

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               Gens de peu

 

Gens de peu et gens de rien

Quel est le bras qui vous retient

 

Lorsque vous passez la Seine

Sans amours qui vous soutiennent

 

Vous pensez je le sais bien

Sans veine que tout est vain

 

Sans amis qui se souviennent

À vous jeter dans la Seine

 

Sachez que ce n'est pas la peine

De troubler l'eau avec des larmes

 

Essayez de donner l'alarme

Si le courant vous entraîne

 

Le Fleuve est moins bon que vous-même

Pourquoi voulez-vous qu'il vous aime

 

Paul Louis Rossi, Visage des nuits, Poésie / Flammarion,

2005, p. 97.

© photo Chantal Tanet

09/12/2011

Cesare Pavese, Travailler fatigue / Lavorare stanca

 

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            Travailler fatigue

 

Traverser une rue pour s'enfuir de chez soi

seul un enfant le fait, mais cet homme qui erre,

tout le jour, par les rues, ce n'est plus un enfant

et il ne s'enfuit pas de chez lui.

 

En été, il y a certains après-midi

où les places elles-mêmes sont vides, offertes

au soleil qui est près du déclin, et cet homme qui vient

le long d'une avenue aux arbres inutiles, s'arrêt.

Est-ce la peine d'être seul pour être toujours plus seul ?

On a beau y errer, les places et les rues

sont désertes. Il faudrait arrêter une femme,

lui parler, la convaincre de vivre tous les deux.

Autrement, on se parle tout seul. C'est pour ça que parfois

Il y a des ivrognes nocturnes qui viennent vous aborder

et vous racontent les projets de toute une existence.

 

Ce n'est sans doute pas en attendant sur la place déserte

qu'on rencontre quelqu'un, mais si on erre dans les rues,

on s'arrête parfois. S'ils étaient deux,

et même pour marcher dans les rues, le foyer serait là

où serait cette femme et ça vaudrait la peine.

La place dans la nuit redevient déserte

et cet homme qui passe ne voit pas les maisons

entre les lumières inutiles, il ne lève pas les yeux :

il sent seulement le pavé qu'ont posé d'autres hommes

aux mains dures et calleuses comme les siennes.

Ce n'est pas juste de rester sur la place déserte.

Il y a certainement dans la rue une femme

Qui, si on l'en priait, donnerait volontiers un foyer.

 

 

            Lavorare stanca

 

 

Traversare una strada per scappare di casa

Io fa solo un ragazzo, ma quest'uomo che gira

tutto il giorno le strade, non è piú ragazzo

e non scappa di casa.

 

                            Ci sono d'estate

pomeriggi che fino le piazze son vuote, distese

sotto il sole che sta per calare, e quest'uomo, che giunge

per un viale d'inutili piante, si ferma.

Val la pena esser solo, per essere sempre piú solo ?

Solamente girarle, le piazze e le strade

sono vuote. Bisogna fermare une donna

e parlarle e deciderla a vivere insieme.

Altrimenti, uno parla da solo. È per questo che a volte

c'è lo sbronzo notturno che attacca discorsi

e racconta i progetti di tutta la vita.

 

Non è certo attendendo nella piazza deserta

che s'incontra qualcuno, ma chi gira le strade

si sofferma ogni tanto. Se fossero in due,

anche andando per strada, la casa sarebbe

dove c'è quella donna e varrebbe la pena.

Nella notte la piazza ritorna deserta

e quest'uomo, che passa, non vede le case

tra le inutili luci, non leva piú gli occhi :

sente solo il selciato, che han fatto altri uomini

dalle mani indurite, come sono le sue.

Non è giusto restare sulla piazza deserta,

Ci sarà certamente quella donna per strada

che, pregata, vorrebbe dar mano alla casa.

 

 

Cesare Pavese, Poésies I, Lavorare stanca / Travailler fatigue, traduit de l'italien et préfacé par Gilles de Van, "Poésie du monde entier", Gallimard, 1969, p. 193 et 195, 192 et 194.

29/06/2011

John Clare, Poèmes et prose traduits par Pierre Leyris

 

                        Bruits de la campagneJohn_Clare.jpeg

 

   Le froissement des feuilles sous les pas dans les bois et sous les haies.

   Le craquement de la neige et de la glace pourrie dans les allées cavalières du bois et les sentiers étroits et sur chaque chaussée de rue

   Le bruissement ou plutôt le bruit de ruée au bois lorsque le vent mugit à la cime des chênes comme un tonnerre

Le froufrou d’ailes des oiseaux chassés de leur nid ou volant sans qu’on les voie dans les buissons

Le sifflement que font en volant dans les bois de plus grands oiseaux tels que corneilles faucons buses etc

Le trottinement des rouges-gorges et des alouettes des bois sur les feuilles brunes et le tapotement des écureuils sur la mousse verte

La chute d’un gland sur le sol le crépitement des noisettes sur les branches des noisetiers quand elles tombent mûres

Le frrrout de l’alouette des champs qui se lève du chaume — Quelles scènes exquises les matins de rosée quand la rosée jaillit en éclair de ses plumes brunes

 

 

                Solitude

 

There is a charm in solitude that cheers

A feeling that the world knows nothing of

A green delight the wounded mind endears

After the hustling world is broken off

Whose whole delight was crime —at good to scoff

Green solitude his prison pleasure yields

The bitch fox heeds him not birds seem to laugh

He lives the Crusoe of his lovely field

Whose dark green oaks his noontide leisure shield

  

                   Solitude

 

Il y a dans la solitude un charme heureux

Un sentiment dont le monde ne connaît rien

Un vert délice que chérit l’esprit blessé

Une fois retranché de ce monde brutal

Dont la joie criminelle est de railler le bien

Sa verte geôle lui procure du plaisir

La renarde ne le fuit pas les oiseaux rient

Il vit en Crusoë de son champ dont les chênes

Abritent vert foncé son méridien loisir 

 

John Clare (1793-1863) : portrait par William Hilton en 1820. 

 

John Clare, Poèmes et proses de la folie de John Clare, présentés et traduits par Pierre Leyris,, suivis de La psychose de John Clare par Jean Fanchette, Mercure de France, 1969, p. 47-48 et 90-91.