20/10/2019
Octavio Paz, Arbres au-dedans
Dix lignes pour Antonio Tàpies
Sur les surfaces urbaines,
les feuilles effeuillées des jours,
sur les murs écorchés, tu traces
des signes charbons, nombres en flammes.
Écriture indélébile de l'incendie,
ses testaments et ses prophéties
désormais devenus splendeurs taciturnes.
Incarnations, désincarnations :
ta peinture est le suaire de Véronique
de ce Christ sans visage qu'est le Temps.
Octavio Paz, Arbre au-dedans, traduction F. Magne
et J-C. Masson, revue par J.-C. Masson, dans
Œuvres, Pléiade, Gallimard, 208, p. 558-559.
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13/09/2018
Octavio Paz, Le singe grammairien
Les choses reposent sur elles-mêmes, prennent assise sur leur réalité, sont injustifiables. Ainsi s’offrent-elles aux yeux, au toucher, à l’ouïe, à l’odorat — non à la pensée. Ne pas penser : voir. Faire du langage une transparence. Je vois, j’entends les pas de la lumière dans la cour : peu à peu elle se retire du mur d’en face, se projette sur le mur de gauche et le recouvre tel un manteau translucide de vibrations presque imperceptibles transsubstantiation des carreaux de brique, combustion de la pierre, instant d’incandescence de la matière avant qu’elle ne s’abîme en son aveuglement — en sa réalité. Je vois, j’entends, je touche la progressive pétrification du langage qui ne signifie déjà plus, qui dit seulement : table, poubelle, sans les dire vraiment, tandis que la table et la poubelle s’effacent dans la cour totalement obscure… La nuit me sauve.
Octavio Paz, Le singe grammairien, Les sentiers de la création, Skira, 1972, p. 116-117.
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03/06/2014
Octavio Paz, Arbre au-dedans
Dix lignes pour Antonio Tàpies
Sur les surfaces urbaines,
les feuilles effeuillées des jours,
sur les murs écorchés, tu traces
des signes charbons, nombres en flammes.
Écriture indélébile de l'incendie,
ses testaments et ses prophéties
désormais devenus splendeurs taciturnes.
Incarnations, désincarnations :
ta peinture est le suaire de Véronique
de ce Christ sans visage qu'est le Temps.
Octavio Paz, Arbre au-dedans, traduction F. Magne
et J-C. Masson, revue par J.-C. Masson, dans
Œuvres, Pléiade, Gallimard, 208, p. 558-559.
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22/05/2014
Octavio Paz, Liberté sur parole
La vie tout simplement
Appeler le pain par son nom et que se pose
sur la nappe le pain de chaque jour ;
faire la part du feu, donner à nos rêves,
au bref paradis, à l'enfer,
au corps et à la minute ce qu'ils réclament ;
rire comme rit la mer, comme le vent rit,
sans que le rire sonne comme des bris de verre ;
boire et dans l'ivresse posséder la vie ;
danser sans perdre le tempo ;
toucher la main d'un inconnu
par un jour de pierre et d'agonie
et que cette main ait la fermeté
que n'eut pas la main de l'ami ;
passer par la solitude sans que le vinaigre
torde ma bouche, ni que le miroir
repère mes grimaces, ni que le silence
se hérisse dans un grincement de dents :
ces quatre murs — papier, plâtre,
tapis chiche, foyer jaunâtre —
ne sont pas encore l'enfer promis ;
que ne me blesse plus ce désir,
gelé par la peur, plaie froide,
brûlure de lèvres non embrassées :
l'eau claire jamais ne suspend son cours
et certains fruits tombent mûrs ;
savoir partager le pain — et le partage,
le pain d'une vérité commune à tous,
vérité de pain qui nourrit notre faim
(si je suis homme, c'est par son levain,
un semblable parmi mes semblables) ;
lutter pour que vivent les vivants,
donner vie aux vivants, à la vie,
et enterrer les morts et les oublier
comme la terre les oublie : comme des fruits...
et qu'à l'heure de ma mort j'arrive
à mourir comme les hommes et que me soit donné
le pardon, et la vie perdurable
de la poussière, des fruits, de la poussière.
Octavio Paz, Liberté sur parole, traduction Jean-Claude Masson,
Pléiade, Gallimard, 2008, p. 28-29.
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