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27/09/2024

Erwann Rougé, Asile

erwann rougé, asile, miroir, rire

douche savon

gant de toilette

 

Elle       devant le miroir

             le miroir grimace

efface les peaux sèches

 

à quoi bon prononcer son nom

le temps se vide

             de sa propre chaleur

 

se tord la bouche

laisse échapper l’éclat d’un rire

 

Erwann Rougé, Asile, éditions

Unes, 2024, p. 33 .

08/01/2022

Hélène Sanguinetti, Et voici la chanson

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(...)

Il reste des images, où passe toute la vie la cire démenée tous les temps roses et noirs s’égrènent, chiffons, tentures, étendards qu’on a collés, Fleuve passe avec, faire un tour de ville, une descente, pousser un cri pour rire, voir après

 

« Ah respirer l’air d’en haut des lacs mousses gonflées jeunes, la,

bonne, odeur, de, la, nature et des bêtes »

 

 

C’était l’automne, platanes dorés,

adorées feuilles dorées, couleurs versées,

Souliers héritent, nuit veut, Supporter la foule

des Ombres c’est encore possible c’est

une pie + une autre, un gars sur un banc

du boulevard, il a mangé dans sa boite en plastique

blanc, s'est endormi, nu, soleil, petit soleil folâtrant

du boulevard

 

Hélène Sanguinetti, Et voici la chanson, Lurlure, 2021, p. 76.

19/07/2021

Samuel Beckett, mirlitonnades

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samedi répit

plus rire

depuis minuit

jusqu’à minuit

pas pleurer

 

        *

 

chaque jour envie

d’être un jour en vie

non certes sans regret

un jour d’être né

 

         *

 

rien nul

n’aura été

pour rien

tant été

rien

nul

 

Samuel Beckett, (Poèmes suivi de)

mirlitonnades, éditions de Minuit

1978, p.37, 37, 38.

09/03/2018

Christophe Manon, Au nord du futur

 

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Nous n’étions rien qui

pourrait dire le sol fumant les neiges écarlates l’air

ocreux ni tout à fait serein l’odeur

noire des rêves éparpillés doucement nos mains

doucement frôlaient les hémisphères et aucun temps aucun

nom volontaires aux silences si étroits comme si

les murs les muscles les

syllabes comme si nous avions soudain choisi

quel froid circule dans les vertèbres quelle

lumière soudain branlante où nous marchions plus vieux et pourtant et de vies

si nombreuses éphémères et pourtant pourtant si bien dressés les uns

contre les autres reste

que nous prenions nos rires pour de l’acide de minces filets

d’orgueil à nos squelettes

pendus.

 

Christophe Manon, Au nord du futur, NOUS, 2016, p. 11.

30/06/2017

Chamfort, Maximes et pensées

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La plupart des nobles rappellent leurs ancêtres, à peu près comme un Cicerone d’Italie rappelle Cicéron.

 

J’ai vu, dans le monde, qu’on sacrifiait sans cesse l’estime des honnêtes gens à la considération, et le repos à la célébrité.

 

Ne tenir dans la main de personne, être l’homme de son cœur, de ses principes, de ses sentiments, c’est ce que j’ai vu de plus rare.

 

Il y a des hommes qui ont besoin de primer, de s’élever au-dessus des autres, à quelque prix que ce puisse être. Tout leur est égal, pourvu qu’ils soient en évidence sur des tréteaux de Charlatan ; sur un théâtre, un trône, un échafaud, ils seront toujours bien, s’ils attirent les yeux.

 

La plus perdue de toutes les journées est celle où l’on n’a pas ri.

 

Chamfort, Maximes et pensées, éditions jean Dagen, Garnier-Flammarion, 1968.

 

26/05/2017

Louis-René des Forêts, Ostinato

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Souffrance, détresse, fureur dont il se délivre par le rire, et c’est ainsi qu’on le tient pour un garçon joyeux.

 

Un mot de trop met tout en péril.

 

Deux décennies pèsent moins que le trait fulgurant venu en une seconde frapper, déraciner, trancher au plus vif, mettre en pièces.

 

Louis-René des Forêts, Ostinato, Mercure de France, 1997, p. 27, 93, 147.

11/04/2017

Georges Bataille, L'expérience intérieure

 

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(…)

Il y a quinze ans de cela (peut-être un peu plus), je revenais je ne sais d’où, tard dans la nuit. La rue de Rennes était déserte. Venant de Saint-Germain, je traverserai la rue du Four (côté poste). Je tenais à la main un parapluie ouvert et je crois qu’il ne pleuvait pas. (Mais je n’avais pas bu : je le dis, j’en suis sûr.) J’avais ce parapluie ouvert sans besoin (sinon celui dont je parle plus loin). J’étais fort jeune alors, chaotique et plein d’ivresses vides : une ronde d’idées malséantes, vertigineuses, mais pleine déjà de soucis, de rigueur, et crucifiantes, se donnaient cours… Dans ce naufrage de la raison, l’angoisse, la déchéance solitaire, la lâcheté, le mauvais aloi trouvaient leur compte : la fête un peu plus loin recommençait. Le certain est que cette aisance, en même temps l’ « impossible » on heurté éclatèrent dans ma tête. Un espace constellé de rires ouvrit son abîme obscur devant moi. À la traversée de la rue du Four, je devins dans ce « néant » inconnu, tout à coup… je niais ces murs gris qui m’enfermaient, je me ruai dans une sorte de ravissement. Je riais divinement : le parapluie descendu sur ma tête me couvrait (je me couvris exprès de ce suaire noir). Je riais comme peut-être on n’avait jamais ri, le fin fond de chaque chose s’ouvrait, comme si j’étais mort.

 

Georges Bataille, L’expérience intérieure, dans Œuvres complètes, V, 1, Gallimard, 1973, p. 46.

27/06/2014

Paul-Jean Toulet, Les contrerimes

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            Contrerimes

 

LXX

 

La vie est plus vaine une image

     Que l'ombre sur le mur

Pourtant l'hiéroglyphe obscur

     Qu'y trace ton passage

 

M'enchante, et ton rire pareil

     Au vif éclat des armes ;

Et jusqu'à ces menteuses larmes

     Qui miraient le soleil.

 

Mourir non plus n'est ombre vaine

     La nuit, quand tu as peur,

N'écoute pas battre ton cœur :

     C'est une étrange peine.

 

Paul-Jean Toulet,  Les contrerimes, dans Œuvres

complètes, édition présentée et annotée par

Bernard Delvaille, "Bouquins", Robert Laffont,

1986, p. 27.

 

22/05/2014

Octavio Paz, Liberté sur parole

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La vie tout simplement

 

Appeler le pain par son nom  et que se pose

sur la nappe le pain de chaque jour ;

faire la part du feu, donner à nos rêves,

au bref paradis, à l'enfer,

au corps et à la minute ce qu'ils réclament ;

rire comme rit la mer, comme le vent rit,

sans que le rire sonne comme des bris de verre ;

boire et dans l'ivresse posséder la vie ;

danser sans perdre le tempo ;

toucher la main d'un inconnu

par un jour de pierre et d'agonie

et que cette main ait la fermeté

que n'eut pas la main de l'ami ;

passer par la solitude sans que le vinaigre

torde ma bouche, ni que le miroir

repère mes grimaces, ni que le silence

se hérisse dans un grincement de dents :

ces quatre murs — papier, plâtre,

tapis chiche, foyer jaunâtre —

ne sont pas encore l'enfer promis ;

que ne me blesse plus ce désir,

gelé par la peur, plaie froide,

brûlure de lèvres non embrassées :

l'eau claire jamais ne suspend son cours

et certains fruits tombent mûrs ;

savoir partager le pain — et le partage,

le pain d'une vérité commune à tous,

vérité de pain qui nourrit notre faim

(si je suis homme, c'est par son levain,

un semblable parmi mes semblables) ;

lutter pour que vivent les vivants,

donner vie aux vivants, à la vie,

et enterrer les morts et les oublier

comme la terre les oublie : comme des fruits...

et qu'à l'heure de ma mort j'arrive

à mourir comme les hommes et que me soit donné

le pardon, et la vie perdurable

de la poussière, des fruits, de la poussière.

 

Octavio Paz, Liberté sur parole, traduction Jean-Claude Masson,

Pléiade, Gallimard, 2008, p. 28-29.

23/11/2012

Henri-Pierre Roché, Don Juan et...

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                                                                 Don Juan et Denise


   Don Juan est assis à côté de Denise dans le grand salon. Auprès d'eux, le Prélat somnole, bien que, là-bas, devant le clavecin, la Duchesse chante un air de bravoure. Denise, ses cheveux sont bien plantés sur sa nuque.

   Ils sont assis, sages, face à la musique. Pourtant leurs épaules convergent un peu. Ils sont enfermés dans une boule de cristal qui les isole — une boule pure, fraîche, sonore, où retentissent les battements de leurs cœurs.

   La Duchesse chante une romance maintenant.

   C'est le vieux duc branlant qui l'a commise. Il y a semé des grandes vagues en carton, et des vertiges en plaine.

   Denise écoute — son oreille est mignonne — écoute, ravie. Son nez gracieux palpite un peu. Son œil candide monte et baisse avec les vagues — et il donne un clin d'œil vers Don Juan, pour voir où il en est.

   Don Juan l'intercepte et retient un fou rire.

   Denise hésite, se penche, elle va parler. Pourvu que non ! car le rire s'échappera hors de Don Juan à travers le salon, et il ne pourra plus le rattraper.

   « Qu'avez-vous ? » dit-elle.

   Il fait à Denise un petit geste de ne pas parler.

   Est-ce douleur du rire supprimé ? Il a fait un petit geste de commandement, au lieu du geste tendre qu'il voulait.

   Denise n'en revient pas. Elle est de profil, piquée. La boule de cristal est fêlée. Au premier regard les morceaux tomberont.

   Qu'elle est longue la romance ! Don Juan sent Denise, le vieux duc, la chanson, la Duchesse, le Prélat, les fauteuils, comme une bande d'ennemis démasqués.

   La romance finit. Il file aux écuries.

   « Je te retrouve, mon cheval ! Que j'ai bien fait de me tromper, dis ? Sans quoi, vois-tu, il m'aurait fallu même danser tout à l'heure. »

   En selle.

 

Henri-Pierre Roché,  Don Juan et..., André Dimanche, 1994 [1920], p. 117-118.