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23/09/2020

Jacques Réda, Retour au calme

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                    La boulangerie

 

Souvent assez tard en hiver cette boulangerie

En face reste ouverte, et l’on peut voir le pain

Nimber d’or les cheveux frisés de la boulangère

Qui, bien qu’à tant d’égards ordinaire, nourrit

Des desseins obliques de femme et s’ennuie. Et parfois

La boutique à cette heure est vide ; elle ne brille

Qu’à la gloire exclusive du pain.

Il suffit bien je crois de sa lumière au coin

De la rue assez tard en hiver pour que l’on remercie.

 

Jacques Réda, Retour au calme, Gallimard, 1989, p. 92.

04/09/2019

Sylvie Durbec, Autobiographies de la faim

                Sylvie Durbec, autobiographie de la faim, pain, enfance

          Le pain de la faim, le pain des fous

 

Enfance sans pain,

Pain sans enfance ?

Impossible alliance.

Nous sommes toujours les premiers à réclamer du pain. On nous donne du sucre. En morceaux. Petits quadrilatères de sucre blanc à manger avec la tranche épaisse de pain. Quelquefois le sucre est remplacé par des pâtes de fruits. Le dimanche. C’est une colonie d’enfants déshérités. Sans parents pour certains, ou pour d’autres dont je fais partie, sans héritage. Le pain est notre aliment. C’est le pain des enfants, nous répète-t-on. Celui du goûter mais aussi du matin. Il fait grandir.

Enfance sans fin.

 

Sylvie Durbec, Autobiographies de la faim, éditions Rhubarbe, 2019, p. 40.


  

 

 

 

22/05/2014

Octavio Paz, Liberté sur parole

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La vie tout simplement

 

Appeler le pain par son nom  et que se pose

sur la nappe le pain de chaque jour ;

faire la part du feu, donner à nos rêves,

au bref paradis, à l'enfer,

au corps et à la minute ce qu'ils réclament ;

rire comme rit la mer, comme le vent rit,

sans que le rire sonne comme des bris de verre ;

boire et dans l'ivresse posséder la vie ;

danser sans perdre le tempo ;

toucher la main d'un inconnu

par un jour de pierre et d'agonie

et que cette main ait la fermeté

que n'eut pas la main de l'ami ;

passer par la solitude sans que le vinaigre

torde ma bouche, ni que le miroir

repère mes grimaces, ni que le silence

se hérisse dans un grincement de dents :

ces quatre murs — papier, plâtre,

tapis chiche, foyer jaunâtre —

ne sont pas encore l'enfer promis ;

que ne me blesse plus ce désir,

gelé par la peur, plaie froide,

brûlure de lèvres non embrassées :

l'eau claire jamais ne suspend son cours

et certains fruits tombent mûrs ;

savoir partager le pain — et le partage,

le pain d'une vérité commune à tous,

vérité de pain qui nourrit notre faim

(si je suis homme, c'est par son levain,

un semblable parmi mes semblables) ;

lutter pour que vivent les vivants,

donner vie aux vivants, à la vie,

et enterrer les morts et les oublier

comme la terre les oublie : comme des fruits...

et qu'à l'heure de ma mort j'arrive

à mourir comme les hommes et que me soit donné

le pardon, et la vie perdurable

de la poussière, des fruits, de la poussière.

 

Octavio Paz, Liberté sur parole, traduction Jean-Claude Masson,

Pléiade, Gallimard, 2008, p. 28-29.