30/11/2024
Zoé Karèlli, Solitude
Solitude
Où irons-nus, mon âme, avec
tout cet exil que nous traînons ?
Avec nous personne et la solitude
est devenue si étrange, qu’elle se confond
avec la compagnie de tous ces gens.
Tu parles et tu te tais et les choses
demeurent intraitables, comme si
nulle volonté ne venait les gouverner.
Plus comiques, les tristes efforts,
pourquoi tant de pessimisme ?... Comme si
le néant avait grandi, gonflé bizarrement,
il montre un visage furieux, informe,
près d’éclater, d’extraire de l’esprit
les foules qui le gardent et à présent
se contractent comme si le néant
se mettait à fourmiller.
Ah quelle misère ils contiennent,
les yeux de la solitude !
Fuyez très loin afin
de ne plus jamais rencontrer
notre image solitaire,
telle qu’aujoure’hui, entière, elle apparaît.
Zoé Karèlli, dans Poètes de Thessalonique (1930-1970),
traduit du grec par Michel Volkovitch,
Le miel des anges, 2024, p. 53.
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27/10/2024
Jean Tardieu, Le témoin invisible
Ombre
Frange d’invisible,
tremblant de secrets,
l’absent qui te prie
et qui t’a porté
baigné dans son ombre
à travers le jour
lié au silence
à toutes les feuilles,
à toutes les pierres
et à tous les temps,
n’est-ce pas toujours
ce vaste Toi-même
où tu t’es perdu ?
Jean Tardieu, Le témoin invisible,
dans Œuvres, Gallimard /
Quarto, 2005, p. 143.
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14/09/2024
David Bosc, L'incendie de l'Alcazar
que c’est en somme depuis le salariat
que peu à peu il s’est perdu de vue
et que pour finir il ne sait plus
qui prend le train quand il prend le train
et regarde filer le paysage
inchangée
en revanche
la terreur placide qui le laisse à la porte
des autres gens
impatient toujours de prendre congé
en gardant, cela va sans dire
sa propre porte verrouillée
(mais c’est
une maison de poupées
il y manque le toit
et l’un des quatre murs)
David Bosc, L’incendie de l’Alcazar,
Héros-Limite, 2024, p. 95.
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12/09/2024
David Bosc, L'incendie de l'Alcazar
lieux imprimés
par les yeux-gouges de l’enfant
où l’on revient en visiteur
en voleur
En propriétaire
(quand ça n’est pas à son esprit défendant
qu’on s’y trouve transporté
enfermé, baladé
ramené, ramené, ramené)
précipités de nature sauvage
derrière la palissade
le mont pelé d’une solitude
dans un angle inondé de soleil
où l’on se tenait accroupi, oublié, stylite
la forêt de quatre arbres modus
la terre grattée par les joueurs de billes
la ave noir et chaude
au parfum d’encaustique et de pétrole lampant
David Bosc, L’incendie de l’Alcazar,
Héros-Limite, 2024, p. 71.
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09/09/2024
Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses
— oublie le doute ! oublie
le destin gris !
ceux qui vous tirent à eux sont nombreux
les sûrs les aveugles les yeux de lynx
les granitiques graticulant
qui ne voient pas de failles dans leurs propos
mais seulement, coûte que coûte, le maintien
dans le contingent servile…
pourtant cette vie limitrophe n’est pas
recherche de la carte perdue
mais une brèche solitaire
un autre remède à la blessure
Eugenio de Signoribus, Isthmes & écluses,
traduction Thierry Gillybœuf, Rehauts,
2024, p. 135.
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09/04/2024
Georges Perros, Papiers collés
Ce qui m’intéresse, c’est ce qui m’échappe. Et ce qui m’échappe me donne la mesure de ce que je suis.
La discipline, c’est d’aimer ce qu’on aime.
Il faisait d’elle ce qu’elle voulait.
Aimer, c’est donner le droit à quelqu’un — sinon le devoir — de nous faire souffrir.
Les femmes sont ainsi faites qu’elles sont plus flattées de nous séparer d’une femme que de nous retirer de la solitude.
Georges Perros, Papiers Collés, Gallimard, 1960, p. 63, 65, 67, 72, 73.
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17/12/2023
Roger Giroux, L'arbre le temps
Que bâtirais-je avec ma langue ?
Quel palais fou de désespoir
Hanté d’absences immobiles ?
Quelle ville, vouée, dès jadis
Aux purs silences de l’oubli ?
Arbre, amour, solitude, poussière…
Et c’est comme si je n’existais pas
Dans cette immensité qui me sépare de moi-même,
Dans l’intouchable de ce lieu
Frémissant, monstrueux…
Roger Giroux, L’arbre le temps, Éric Pesty éditeur,
2014, p. 41.
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10/11/2023
Jules Supervielle, Le Forçat innocent
Solitude au grand cœur encombré par les glaces,
Comment me pourrais-tu donner cette chaleur
Qui te manque et dont le regret nous embarrasse
Et vient nous faire peur ?
Va-t’en, nous ne saurions rien faire l’un de l’autre,
Nous pourrions tout au plus échanger nos glaçons
Et rester un moment les regarder fondre
Sous la sombre chaleur qui consume nos fronts.
Jules Supervielle, Œuvres poétiques complètes,
Pléiade/Gallimard, 1999, p. 241.
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22/10/2023
Étienne Faure, La vie bon train.
La nuit quand le train va si vite
qu’on ne voit rien
rouler perd tout son sens
— il n’est plus sûr alors qu’une gare attende,
à l’autre bout fasse un trajet qui relie les deux lieux
ordonnancés un départ une arrivée,
car nul retour, aucun aller n’est visible,
à regarder par la vitre envahie de noir :
miroir vide où suis-je ?
Voici l’hiver aux jours réduits, qui emporte le corps
engendré vite autrefois, le moral au noir fixe,
dans un état pour une éternité transitoire
d’aucune utilité car jamais abouti
(et donc de ton sperme personne ne sera né)
maillon sans chaîne, wagon désormais sans attache
ni ascendance, ni hoirs, ni rien d’approchant.
voici l’hiver
Étienne Faure, La vie bon train (proses de gare),
Champ Vallon, 2013, p. 119.
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04/10/2023
Jean-Luc Sarré, Apostumes
La préparatrice, en m’injectant un produit à base d’iode avant de me conduire au scanner, s’est excusée d’avoir les mains froides. Était-ce pour que je les regarde ? En tout cas je n’y ai pas manqué et, de fait, elles étaient fort belles.
Jamais (à ma connaissance) une robe de deuil n’a clôturé un défilé de mode. Quel manque d’humour mais de réalisme surtout !
La solitude ? Un mot, une chimère, la plupart du temps. Ma seule compagnie m’est une agression. Pourtant il m’arrive de me complaire avec plus encombrante compagnie encore.
Jean-Luc Sarré, Apostumes, Le Bruit du temps, 2017, p. 40-41, 49, 50.
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21/09/2023
Jean Follain, Appareil de la terre
Solitaires
Toujours leur porte s’ouvre mal
derrière eux s’endort la bête
couleur de feu
au seul pas d’homme ou de femme
ils reconnaissent qui passe
sur a route tournante
regardent un instant
pendant du plafond noir
la lampe ornée
une plante verte ocellée meurt
pleure un enfant perdu
sous le vaste ciel bas
puis il neige enfin.
Jean Follain, Appareil de la terre,
Gallimard , 1964, p. 79.
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15/04/2023
Benoît Casas, Combine
571
Nous
partageons
le monde
à nous deux
d’une manière
bizarre
peut-être est-ce
nous-mêmes
que nous
partageons
en deux.
580
Seuls
nous ne
sommes pas
nous ne sommes
jamais
sinon
vertige
et vide.
598
Alors
nous en
étions là
et que fallait-il
faire
continuer
bien sûr
continuer
alors j’ai
continué.
604
Maintenant
il faut
ne plus
être seuls
ne plus
attendre
ne plus
avoir peur.
Benoît Casas, Combine,
NOUS, 2023, np.
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09/02/2023
Armand Robin, Le monde d'une voix
Solitaire
Je n’ai pas de jour selon vos bonjours ;
Mais jours se veulent bonjours
Que dans l’aube authentique du règne du travail.
Mes bonjours ne salueront
Que l’aube authentique du monde du travail.
Armand Robin, Le monde d’une voix, Gallimard,
1958, p. 163.
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24/10/2022
Gustave Roud, Journal 1916-1976
Je pense parfois : c’est ma solitude qui a altéré si profondément ma joie au spectacle du monde. Si jadis (sans que je voulusse l’analyser) elle naissait d’une correspondance que j’établissais entre une passion dominante, un sentiment que l’heure exaltait et tout ce qui entourait ma présence centrale, de plus en plus maintenant elle nécessite pour s’épanouir un calme désespéré, une tristesse sans sursauts où je me sens peu à peu descendre. C’est alors que naît pour ainsi parler mon regard véritable. Posé sur chaque chose, il l’épuise lentement, et je savoure tout objet pour lui-même et pour l’accord qu’il forme avec d’autres sans rien sentir d’autre en moi lui répondre et lui donner un sens ; c’est dire que je ne peux plus traduire, et moins encore interpréter le monde visible, mais seulement transcrire ce qui transparaît sous l’incessante variation de l’heure, de ses éléments éternels, par le sens des mots, leur musique, et le rythme de la phrase, l’âme aussi dépouillée qu’un peintre.
Gustave Roud, Journal, 1916-1976, Zoé, 2022, p. 91-92.
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25/09/2022
Umberto Saba, Il Canzoniere
La solitude
Saison changeante, ombre et soleil
font le monde varié, qui dans son aspect riant
nous console, et de ses nuages nous peine.
Et moi, qui à tant de nos apparences et à mes
yeux portait une infinie gratitude
je ne sais aujourd’hui si je dois m’affliger
ou m’en aller joyeux comme quand on sort d’une épreuve :
je suis triste et pourtant la journée est si belle ;
dans mon cœur seulement il fait pluie et soleil.
D’un long hiver je sais faire un printemps ;
quand la route au soleil est une traînée d’or,
le bonsoir, je le dis à moi-même.
J’ai mes brouillards et mes beaux temps en moi tout seul
comme en moi seul est ce parfait amour
pour que l’on souffre tant, moi je ne pleure plus :
en mes yeux en mon cœur je trouve suffisance.
Umberto Saba, Il Canzoniere, L’âge d’homme, 1988, p. 146.
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