05/07/2023
James Sacré, Une fin d'après-midi continuée
Le mot rien dans le mot vivant
Quand je serai presque plus rien (déjà
Me voilà pas grand chose),
Quand le corps ni l’esprit n’auront plus désir
De porter (de brandir) en de grands gestes insensés,
Je connaîtrai quelque chose de plus intensément nu :
Le rien de l’amitié. Drôle de pensée.
Évidemment le mot rien dès qu’on le dit
Se heurte à tout ce qui reste vivant,
Ce par quoi justement je touche (avec et sans précaution)
À ta parole à ta main, autant
Qu’à ton silence ou ton retrait.
Le mot rien dans le mot vivant ?
James Sacré, Une fin d’après-midi continuée,
Tarabuste, 2023, p. 237.
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15/03/2023
Oswald Egger, Rien qui soit
Jour et nuit font deux ans
Je ne suis pas un vagabond, n’ai dieu merci rien d’autre
à faire. Maintenant j’ai avancé me suis assis sur l’heure
héliocentré, comme fonte des prés des taches claires, debout (à
ce moment), écoutai épiant des clins d’instants (éventails
de champs). Je veux teindre des tons (ils appellent). Alors j’ai vu
plus belles larves de plis (fleurs de gorges, avec textures
d’incises fusionnaires) émaillées sur quenouilles.
Leur jeu aussi est mimant (remarquable), au jour elles s’ef
feuillent, se scindent roulent leurs roues solaires, et finalement
ne reste qu’une glume membraneuse, une translucide
robe de points (fleurs ?) sur rosettes pressées en nid velu
et les jeunes pousses y folâtrant dominos (calendage avec
aigrettes. Maintenant se tiennent en lignes (inclinent têtes
et commencent un ton plaintif loquetant en lilas trilles leur
pariade chantée. (…)
Oswald Egger, Rien, qui soit, traduction René-René Lassalle, éditions Grèges, 2016, p. 16.
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14/03/2023
Oswald Egger, Rien, qui soit
Au milieu de la vie je me retrouvai comme dans une forêt (sans chemin). Je marchais entre les ronces qui à gauche, à droite, à gauche rougeoyaient. Les arbres gris cendre se dressaient, lisses et droits, flamboyant comme des colonnes écorcées ou des fumées s’élevant sans vent, leurs pousses distantes entre eux de trois quatre pas formaient rempart de bois, aux surfaces bombées ou planes, rocs et sapins, ondulations sans tige ni hampe, pendulations dans une forêt de paille, coupé du sentier, ou étais-je ? étais-je ? encore piétinai monte-pente, ne sachant si le chemin ressurgirait, en raidillon qui toujours s’engendre lui-même, arbre après arbre, quand la forêt elle-aussi se rangea et agrandit le champ de la vision devant elle, vers l’ouvert.
Oswald Egger, Rien, qui soit, traduction Jean René Lassalle, éditions Grèges, 2016, p. 89.
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21/12/2022
Jean Tardieu, Une Voix sans personne
Le monde immobile
Poètes de ténèbres
fontaine sourde
lac sans éclat
présence épaisse
battement faible
l’instant est là
rien ni personne
une ombre lourde
et qui se tait
j’attends des siècles
rien ne résonne
rien n’apparaît
sur ce tombeau
l’espace bouge
c’est ma pensée
pour nul regard
pour nulle oreille
la vérité.
Jean Tardieu, Une Voix sans personne,
Gallimard, 1954, p. 38-39.
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20/06/2022
Pierre Reverdy, Pierres blanches
Mais rien
Un même pan ferme le coin
Où l’ai libre s’étend
Autour la corde glisse
Et l’eau monte
La pluie descend
Un homme tombe de fatigue
C’est le même qui tend la main
On saute le mur du jardin
Le ciel est plus bas
Le jour baisse
La route court
Et le vent cesse
On pourrait croire qu’il est arrivé quelque chose
Mais rien
Pierre Reverdy, Pierres blanches, dans
Œuvres complètes, 2, Flammarion, 2010, p. 255.
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19/07/2021
Samuel Beckett, mirlitonnades
samedi répit
plus rire
depuis minuit
jusqu’à minuit
pas pleurer
*
chaque jour envie
d’être un jour en vie
non certes sans regret
un jour d’être né
*
rien nul
n’aura été
pour rien
tant été
rien
nul
Samuel Beckett, (Poèmes suivi de)
mirlitonnades, éditions de Minuit
1978, p.37, 37, 38.
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17/02/2017
Oswald Egger, Rien, qui soit
Tout le temps
[…]
Je me croyais debout au fond d’un lac, en branche de corail difforme à palpes et yeux-ventouses. En plus j’arrive encore à respirer, alors qu’en haut par-dessus les arbres des aiguilles d’os qui se remembrent dans huilerées fente d’amande, s’elles-mêmes dédoublèrent en formes figées : variétés de gras haricots qui poussent en cosses sur roues étoilées jusqu’à ce que les lunes regorgent vermoulues et s’échevèlent sur le sol concassées, dépecées, (mais pas aujourd’hui) ébouriffées ; crèvebasse dégingandée. Nénuphars qui à pluches pêchées du flot surgeonnaient leur calice sans bourgeon en miroir désassombri, ainsi se recueille une membraneuse rêverie solaire dans des rosées à foison avec — le regard qui vacille.
Oswald Egger, Rien, qui soit, traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle, Grèges, 2016, p. 109.
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12/10/2016
Jacques Roubaud, Quelque chose noir
Mort réelle et constante
À la lumière, je constatai ton irréalité. elle émettait des monstres et de l’absence.
L’aiguille de ta montre continuait à bouger. dans ta perte du temps je me trouvais tout entier inclus.
C’était le dernier moment où nous serions seuls.
C’était le dernier moment où nous serions.
Le morceau de ciel. désormais m’était dévolu. d’où tu tirais les nuages. et y croire.
Ta chevelure s’était noircie absolument.
Ta bouche s’était fermée absolument.
Tes yeux avaient buté sur la vue.
J’étais entré dans une nuit qui avait un bord. au-delà de laquelle il n’y aurait rien.
Jacques Roubaud, Quelque chose noir, Gallimard, 1986, p. 118.
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11/11/2015
Ludovic Degroote, Llanover-Blaenavon
Llanover-Blaenavon
Aucun hasard ne conduit de Llanover à Blaenavon, même si la route n’est large que d’une voiture : j’ai de quoi m’y tenir. Les taillis laissent voir, par-dessus eux, la colline qu’il faudra franchir, alors que rien ne le donne à prévoir, sinon ce que j’en sais, parce que nulle route n’est visible d’ici, mais des fermes, des maisons, que je suppose être des fermes pour exister, dans cette espèce de réclusion ou de confinement, c’est difficile à dire lorsqu’on
n’est pas habitué à cette vie-là, c’est-à-dire quand on est habitué à une autre vie, si c’était possible de dire qu’il y a des vies différentes, ou qui devient possible à ce moment que j’en prends conscience, le désir profond de m’enterrer là comme si cela pouvait servir d’éternité dont la vision, pourtant menée même par les landes les plus décharnées et les plus abouties, ne peut être soupçonnée, tant il n’est rien qui ne puisse dire rien. [...]
Ludovic Degroote, Llanover-Blaenavon, le phare du cousseix, décembre 2014, p. 3-4.
Cet appel s’adresse aux membres de RESF mais aussi aux sympathisant-es ainsi qu’aux citoyen-nes soucieux de justice et de démocratie.
Nous attendons aussi des réactions des élu-es et responsables politiques.
Merci de diffuser.
Réservons en priorité absolue la date du
vendredi 18 décembre, à 13h30, au tribunal de Grasse.
Dans le département des Alpes-Maritimes, il est interdit de manifester sa solidarité avec les réfugiés ??!!
En juillet dernier, l’une de nous, Claire Marsol, a accompagné à la gare d’Antibes, 2 jeunes réfugiés (parmi tous ceux que nous essayons d’aider à la frontière italienne).
Elle a été arrêtée, mise en GAV, perquisition de son domicile, menottée, « conseils » biaisés de la police.
Elle passe au tribunal de Grasse le 18 dec à 13h30.
C'est quand même beaucoup pour une simple retraitée de l’Éducation Nationale qui, comme nous toutes et tous, a agi dans le cadre des activités de nos associations :
manifester sa solidarité envers des réfugiés victimes des guerres, de persécutions et de dictateurs sanguinaires.
La manœuvre d'intimidation est évidente.
Que cherche ce gouvernement ? Tenter, en vain, de museler la solidarité exprimée par de nombreuses associations, citoyens et citoyennes, envers les réfugiés ?
Avec un collectif d’organisations de défense des droits humains,
nous sommes en train d’organiser une grande mobilisation locale mais aussi nationale
en plusieurs temps et lieux.
Tenez-vous prêt-es à réagir rapidement aux appels qui vont vous parvenir.
Et faites le maximum pour diffuser autour de vous et vous libérer pour être à Grasse le 18 décembre.
Toutes et tous avec Claire !
Il n'y a pas que Claire !
Nous aussi, nous avons aidé des réfugié-es : nous les avons renseignés ou nourris ou accompagnés ou soignés ou hébergés…
Evidemment, comme elle, sans contrepartie aucune !!! sinon le respect mutuel et le bonheur de voir le sourire retrouvé des enfants.
Tout cela au nom, selon les cas,
- De la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme,
- De la Convention Internationale des Droits de l'Enfant,
- Du respect de traditions familiales d'hospitalité,
- De la mise en pratique des valeurs de l'Evangile,
- De la conscience de l'égale dignité des êtres humains peuplant cette minuscule planète sans frontières visibles des confins de la galaxie...
Devons-nous nous dénoncer nous-mêmes au Procureur de la République ?
Sinon, il pourrait nous inculper de non assistance à personne en danger !!!
http://www.educationsansfrontieres.org/
Pour vous joindre à nous : Resf06@gmail.com
https://www.facebook.com/groups/239092159470486/
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15/10/2015
Thomas Bernhard, Je te salue Virgile
Octobre
Sur ces amas de décombres, ne riment à rien
les lamentations de la mère,
à rien l'intercession du père ivrogne,
à rien le récit mortuaire du lieutenant,
la rébellion des cardinaux à rien,
à rien la projection de l'avenir,
les pleurs de tous les peuples à rien,
à rien l'éther mortifié,
la fin des océans...
Les mâchoires enfouies je les déterre,
ces avilissements,
ma décrépitude, je les fais comparaître
devant ma bouche dépravée,
devant mon crâne desséché
jusque dans ma piteuse fin de matinée...
Dans la nuit
tu compenses les incendies de ce monde
par mon imbécillité fraternelle...
Thomas Bernhard, Je te salue Virgile, traduit de
l'allemand par Kza Han et Herbert Holl,
Gallimard, 1988, p. 49.
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29/09/2014
Emily Jane Brontë, Poèmes, traduits par Pierre Leyris
Mon plus grand bonheur, c'est qu'au loin...
Mon plus grand bonheur, c'est qu'au loin
Mon âme fuie sa demeure d'argile,
Par une nuit qu'il vente, que la lune est claire,
Que l'œil peut parcourir des mondes de lumières —
Que je ne suis plus, qu'il n'est rien —
Terre ni mer ni ciel sans nuages —
Hormis un esprit en voyage
Dans l'immensité infinie.
[Février ou mars 1838]
I'm happiest when most away...
I'm happiest when most away...
I can bear my soul from its home of clay
On a windy night when the moon is bright
And the eye can wander through wrld of light —
When I am not and not beside —
Nor earth nor sea nor cloudless sky —
But only spirit wandering wide
Through infinite immensity
[February or March 1838]
Emily Jane Brontë, Poèmes, choisis et traduits par Pierre Leyris, Poésie / Gallimard, 2003 [1963], p. 49 et 48.
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29/08/2014
Franco Loi, Cinq poèmes
Moi j'embrasse le temps, et lui il m'emmène,
c'est comme ça que fait le vent quand il te respire
et on croit respirer de son souffle à lui.
Maudite conscience de l'histoire,
air des gens morts dans le rêve,
mensonge qui te fait croire que ce serait la vie
et c'est ce rien là qui passe dans la mémoire,
patience ennemie du temps,
buée sans regarder du souffle sur le miroir.
Oh lumière déjà ombre quand nous la voyons,
douleur de l'être pareille à l'air qui se connaît.
Moi je regarde et ne regarde pas, je tâte le silence,
reflet du rien qui depuis le rien fait écouter.
Franco Loi, Cinq poèmes, traduit du milanais avec l'aide de l'auteur par Bruna Zanchi et Bernard Vargaftig, dans Europe, janvier-février 2002, n° 873-874, p. 281.
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18/07/2014
Fernando Pessoa, Bureau de tabac
Tabacaria
Não sou nada.
Nunca serei nada.
Não posso querer ser nada.
A parte isso, tenho em mim todos os sonhos do mundo.
Janelas do meu quarto,
Do meu quarto de um dos milhões do mundo que ninguém sabe quem é
(E se soubessem quem é, o que saberiam ?)
Dais para o mistério de uma rua cruzada constantemente por gente,
Para uma rua inacessível a todos os pensamentos,
Real, impossívelmente real, certa, deconhecidamente certa,
Com o mistério das coisas por baixo das pedras e dos seres,
Com a morte a pôr humidade nas paredes e cabelos brancos nos homens,
Com o Destino a conduzir a carroça de tudo pela estrada de nada.
Estou hoje vencido, como se soubesse a verdade.
Estou hoje lúcido, come se estívesse para morrer,
E não tivesse mais irmandade com as coisas
Senão uma despedida, tornando-se esta casa e este lado da rua
A fileira de carruagens de um comboio, e uma partida apitada
De dentro da minha cabeça,
E uma sacudidela dos meus nervos e um ranger de ossos na ida.
[…]
Bureau de tabac
Je ne suis rien.
Je ne serai jamais rien.
Je ne peux vouloir être rien.
À part ça, je porte en moi tous les rêves du monde.
Fenêtres de ma chambre,
Ma chambre où vit l’un des millions d’êtres au monde, dont personne ne sait
qui il est
(Et si on le savait, que saurait-on ?),
Vous donnez sur le mystère d’une rue au va-et-vient continuel,
Une rue inaccessible à toutes pensées,
Réelle au-delà du possible, certaine au-delà du secret,
Avec le mystère des choses par-dessous les pierres et les êtres,
Avec la mort qui moisit les murs et blanchit les cheveux des hommes,
Avec le destin qui mène la carriole de tout par la route de rien.
Aujourd’hui je suis vaincu comme si je savais la vérité.
Aujourd’hui je suis lucide comme si j’allais mourir
Et n’avais d’autre intimité avec les choses
Que celle d’un adieu, cette maison et ce côté de la rue devenant
Un convoi de chemin de fer, un coup de sifflet
À l’intérieur de ma tête,
Une secousse de mes nerfs, un grincement de mes os à l’instant du départ.
[…]
Fernando Pessoa, Bureau de tabac, [édition bilingue] traduit par Rémy Hourcade, préface de A. Casais Monteiro, postface de Pierre Hourcade, illustré par Fernando de Azevedo, Le Muy, éditions Unes, 1993, p. 37-38 et 15-16.
Bureau de tabac
Je ne suis rien.
Je ne serai jamais rien.
Je ne peux vouloir être rien.
À part ça j’ai en moi tous les rêves du monde.
Fenêtres de ma chambre,
De ma chambre abritant un de ces millions au monde dont nul ne sait qui il est
(Et si on le savait, que saurait-on ?)
Vous donnez sur le mystère d’une rue constamment remplie de gens qui se croisent,
Sur une rue inaccessible à la moindre pensée,
Réelle, impossiblement réelle, exacte, inconnaissablement exacte,
Avec le mystère des choses par-dessous les pierres et les êtres,
Avec la mort qui met du moisi sur les murs et des cheveux blancs sur les hommes,
Avec le Destin conduisant la charrette de tout sur la route de rien.
Aujourd’hui je suis vaincu comme si je savais la vérité.
Aujourd’hui je suis lucide, comme si j’allais mourir,
Et sans avoir d’autre fraternité avec les choses
Qu’un adieu, cette maison et ce côté de la rue devenant
Un convoi de chemin de fer et un sifflet de départ
Retentissant dans ma tête,
Et une secousse de mes nerfs et un crissement d’os au moment de partir.
Fernando Pessoa, Bureau de tabac, dans Œuvres poétiques, traduction par Patrick Quillier en collaboration avec Maria Antónia Cãmara Manuel, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2001, p. 362-363.
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11/06/2014
Aurélie Foglia, Gens de peine
Vies de
I
Souvent on entend froisser
les forêts de Gens
le grand vent
les forêts profondes de Gens
ce sont les Chevrotants les Désolés
aux troncs tordus les Abonnés aux branches
basses qui brament au fond des fossés
« nous ne sommes pas doués
pour la divinitude
apprends-nous comment
nous soustraire arrache-nous
d'entre nos frères la mort »
tordant leurs bras griffus
s'adressant à qui ? au vent absent
ce sont les Bafoués les Enterrés du pied
faune en costume de lichen à cornes
de brume les Passés sous silence
qui végètent sous
des loups de velours dévoré
II
quelques-uns nus d'autres non
Gens derniers
ainsi furent ainsi d'en furent
long loin
leurs notes mal tenues
pas un ne les rappelé
Gens de rien
perdus entre tous
les sons qui les émurent
dont nos noms ne sont pas
parvenus
eurent si peu de fourrure
par si grand froid
qu'ils en moururent
pas un ne les réchauffa
[...]
Aurélie Foglia, Gens de peine, NOUS, 2014, p. 11-14.
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22/05/2011
Fernando Pessoa, Bureau de tabac
Tabacaria
Não sou nada.
Nunca serei nada.
Não posso querer ser nada.
A parte isso, tenho em mim todos os sonhos do mundo.
Janelas do meu quarto,
Do meu quarto de um dos milhões do mundo que ninguém sabe quem é
(E se soubessem quem é, o que saberiam ?)
Dais para o mistério de uma rua cruzada constantemente por gente,
Para uma rua inacessível a todos os pensamentos,
Real, impossívelmente real, certa, deconhecidamente certa,
Com o mistério das coisas por baixo das pedras e dos seres,
Com a morte a pôr humidade nas paredes e cabelos brancos nos homens,
Com o Destino a conduzir a carroça de tudo pela estrada de nada.
Estou hoje vencido, como se soubesse a verdade.
Estou hoje lúcido, come se estívesse para morrer,
E não tivesse mais irmandade com as coisas
Senão uma despedida, tornando-se esta casa e este lado da rua
A fileira de carruagens de um comboio, e uma partida apitada
De dentro da minha cabeça,
E uma sacudidela dos meus nervos e um ranger de ossos na ida.
[…]
Bureau de tabac
Je ne suis rien.
Je ne serai jamais rien.
Je ne peux vouloir être rien.
À part ça, je porte en moi tous les rêves du monde.
Fenêtres de ma chambre,
Ma chambre où vit l’un des millions d’êtres au monde, dont personne ne sait
qui il est
(Et si on le savait, que saurait-on ?),
Vous donnez sur le mystère d’une rue au va-et-vient continuel,
Une rue inaccessible à toutes pensées,
Réelle au-delà du possible, certaine au-delà du secret,
Avec le mystère des choses par-dessous les pierres et les êtres,
Avec la mort qui moisit les murs et blanchit les cheveux des hommes,
Avec le destin qui mène la carriole de tout par la route de rien.
Aujourd’hui je suis vaincu comme si je savais la vérité.
Aujourd’hui je suis lucide comme si j’allais mourir
Et n’avais d’autre intimité avec les choses
Que celle d’un adieu, cette maison et ce côté de la rue devenant
Un convoi de chemin de fer, un coup de sifflet
À l’intérieur de ma tête,
Une secousse de mes nerfs, un grincement de mes os à l’instant du départ.
[…]
Fernando Pessoa, Bureau de tabac, [édition bilingue] traduit par Rémy Hourcade, préface de A. Casais Monteiro, postface de Pierre Hourcade, illustré par Fernando de Azevedo, Le Muy, éditions Unes, 1993, p. 37-38 et 15-16.
Bureau de tabac
Je ne suis rien.
Je ne serai jamais rien.
Je ne peux vouloir être rien.
À part ça j’ai en moi tous les rêves du monde.
Fenêtres de ma chambre,
De ma chambre abritant un de ces millions au monde dont nul ne sait qui il est
(Et si on le savait, que saurait-on ?)
Vous donnez sur le mystère d’une rue constamment remplie de gens qui se croisent,
Sur une rue inaccessible à la moindre pensée,
Réelle, impossiblement réelle, exacte, inconnaissablement exacte,
Avec le mystère des choses par-dessous les pierres et les êtres,
Avec la mort qui met du moisi sur les murs et des cheveux blancs sur les hommes,
Avec le Destin conduisant la charrette de tout sur la route de rien.
Aujourd’hui je suis vaincu comme si je savais la vérité.
Aujourd’hui je suis lucide, comme si j’allais mourir,
Et sans avoir d’autre fraternité avec les choses
Qu’un adieu, cette maison et ce côté de la rue devenant
Un convoi de chemin de fer et un sifflet de départ
Retentissant dans ma tête,
Et une secousse de mes nerfs et un crissement d’os au moment de partir.
Fernando Pessoa, Œuvres poétiques, traduction par Patrick Quillier en collaboration avec Maria Antónia Cãmara Manuel, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2001, p. 362-363 [traduction parue d’abord chez Christian Bourgois, 2001].
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