17/10/2022
Julia Lepère, Par elle se blesse
Elle dit
J’ai connu des hommes pour diviser les heures
J’ai connu des hommes jouissant sans demander en laissant le soleil m’aveugler j’ai connu des hommes qui s’étranglaient pour jouer qui me giflaient pour jouer j’ai connu des hommes qui n’aimaient pas me faire l’amour des hommes ensommeillés avec l’ambition des choses à faire et des pulsions de mort dans leurs masques de perles les défauts de leurs veines les faisaient se gonfler qui chantaient fort leur crime et appelaient leur mère des hommes emprisonnés et ils traçaient chaque jour de leur bâton un trait après la femme tuée j’ai connu des hommes alcooliques et drogués des hommes partant dans le désert d’Espagne pour y halluciner pour composer des vers des symphonies cherchant tous les dérèglements [...]
Julia Lepère, Par elle se blesse, Poésie/Flammarion, 2022, p. 107.
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20/04/2022
Michel Deguy, Poèmes de la Presqu'île
Ici
Ici les maisons cessent comme au bord de l’eau
La rue arpente les labours
Le flux de blé monte jusqu’au trottoir
Les femmes sont chez elles
Usant le jour et la lessive
Les pierres leur sont familières
Elles choisissent un vent propice
Les hommes à droite partent en terre
Ils retournent au champ lointain
Jeter leur filet de fer dans la glaise
Je suis venu pour rassembler
Le port où meurt la houle des sillons
La jetée des rives de Loire
Et la lisière humaine de la mer
Michel Deguy, Poèmes de la Presqu’île,
Le Chemin, Gallimard, 1961, p. 37.
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23/09/2019
Georges Perros, Papiers collés
L’homme s’appartient quand il ne se compare plus à aucun homme.
La discipline, c’est d’aimer ce qu’on aime.
Écrire c’est renoncer au monde en implorant le monde de ne pas renoncer à nous.
L’amythié.
Le drame de la vie c’est qu’il peut ne rien s’y passer.
Georges Perros, Papiers collés, Gallimard, 1960, p. 63, 65, 67, 100, 104.
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12/09/2019
Novarina, Le Théâtre des paroles
Tout acteur qui entre en scène, c’est un qui veut quitter l’homme, un qui passe devant tous pour y détruire ses chairs, ses verbes, ses corps et ses esprits. L’homme avance sur le théâtre pour ne plus s’y reconnaître. L’acteur émet des figures négatives, détruit les gestes qu’on nous prête et les mots qu’on prétend.
Valère Novarina, Le Théâtre des paroles, P. O. L, 2017, p. 173.
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04/01/2018
Arthur Adamov, L'aveu
« Sois un homme ! » Le seul rappel de ces mots rallume en moi la vieille haine pour tous mes ennemis de race, tous ceux que je méprise et qui me méprisent, les mâles satisfaits à l’air vainqueur. Je les entends se prévaloir de leurs propriétés, de l’argent qu’ils ont, des femmes qu’ils possèdent. Maintenant, je crois deviner l’origine de cette mutuelle répulsion : je me suis mis au ban de la société, du corps social, comme dans l’amour je me suis exilé du corps de la femme.
Je sais trop bien ce qui me faisait dire que je ne serai jamais un homme. Et je tiens en profond mépris tout adolescent qui n’a pas proféré un tel serment.
Arthur Adamov, L’aveu, éditions du Sagittaire, 1948, p. 68.
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13/09/2016
Malcolm Lowry, Réveil
Réveil
L’homme ressemble à un homme qui se lève tard
Contemple l’assiette sale de son dîner
Aussi les bouteilles vides
Toutes lampées dans les larges comment vas-tu d’une nuit
Un verre pourtant contenant encore
Un fond comme sinistre appât
Combien l’Homme ressemble à celui-là
Titubant parmi les arbres rouillés
Allant chercher un déjeuner de pois de sardines
Et de rhum éventé.
Malcolm Lowry, traduction Jean Follain, dans Les Lettres
Nouvelles, ‘’Malcolm Lowry’’, 2ème trimestre 1960, p. 90.
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17/08/2015
Cummings, No Thanks
10
petit homme
(à tout allure
pris d’une énorme
inquiétude)
halte arrête oublie du calme
attends
(petit enfant
qui as tenté
qui as échoué
qui a pleuré)
couche-toi bravement
et dors
grande pluie
grande neige
grande lune
grand soleil
(pénètrent
en nous)
Cummings, No Thanks, NOUS,
traduit et présenté par Jacques
Demarcq, 2011, np.
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13/10/2014
Édith Azam, À propos de la poésie féminine
À propos de la poésie féminine
À côté de chez moi, il y a une forêt, et dans cette forêt, il y a des limaces. Elles sont jaunes fluo. Je ne les aime pas. Aussi chaque matin, après avoir avalé mes tartines, je prends mon fusil tire-bouchons, mes deux molosses grandes babines, et nous partons leur faire la chasse. La chasse aux limaces est un jeu de fille. C’est un jeu de fille car aucun garçon sérieux ne jouerait à la chasse aux limaces. Mes chiens ne sont pas des garçons sérieux, si molosses soient-ils, et babines comprises ; mes chiens n’ont rien de très viril, preuve en est, ils arpentent la forêt avec moi pour jouer à la chasse au limaces. S’ils ne le faisaient pas, un tas de questions me viendraient à l’esprit. Mes chiens sont-ils virils ? Mes chiens sont-ils des garçons ? Les garçons sont-ils des chiens ? Tous les garçons sont-ils des chiens ? Les garçons-chiens sont-ils des hommes ? Comment devenir un homme? Là, vous comprendrez sans difficulté, que tout cela, la question de la virilité ou d’être un homme n’a rien à voir avec la chasse aux limaces. Pour ce qui est de la poésie et de la féminité, cela n’étonnera personne : il en va de même. Il n’est pas plus d’écriture féminine, que de chasse masculine, etc…, à la limite oui, il est quelque part sur terre, une limace poétique. Et quelque part aussi, des poèmes sur les limaces, mais pas beaucoup si mes informations sont bonnes. Bref, certes, je concède volontiers, qu’il m’est impossible d’écrire en me grattant les couilles. Cela dit, pas certain que je l’eusse fait si Jean Nussu. (Suivez suivez ! Je vous en prie, en plus c’est drôle ! ) Du reste, se gratter les parties, est-ce la seule manière d’écrire un poème ? Car s’il est une chose qui reste, et une seule à sauver, sûr, ce ne sont pas les êtres et leurs noms de papier, mais bien les textes. Or, lorsqu’il s’agit d’écriture, de quoi parle-t-on ? Sans doute pas du taux de testostérone ou progestérone dans le sang. Le texte à lui tout seul fait sexe, au sens où le lecteur le pénètre autant qu’il le reçoit, et ce, indépendamment de son auteur, n’en déplaisent aux narcissiques patenté(e)s, baiseurzébaiseuses chroniques, incorrigibles libidineux-zéneuses, qu’ils soient auteurs, lecteurs, critiques ou autres. Et pour finir et pour faire simple, les mythes, comme les anges, n'ont pas de sexe. Homme ? Femme ? Mais de quoi on se mêle ? Ou, pour dire autrement : coupons-leur noms et tête : mélangeons tout !
Édith Azam, À propos de la poésie féminine (inédit)
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25/06/2014
Muriel Rukeyser (1923-1980), dans Olivier Apert, Une anthologie bilingue
Mythe
Longtemps après, Œdipe, âgé et aveugle, cheminait.
Il flaira une odeur familière. C'était
la Sphinx. Œdipe dit, « Je voulais te poser une question.
Pourquoi n'ai-je pas reconnu ma mère ? » « Tu as donné la
mauvaise réponse », dit la Sphinx. « Mais cela rendait
pourtant
toute chose possible », dit Œdipe. « Non », dit-elle.
« Quand je demandai, Qu'est-ce qui marche à quatre pattes le matin,
à deux le midi, à trois le soir, tu répondis
l'Homme. Tu n'as rien dit à propos de la femme. »
« Lorsque tu dis l'Homme », dit Œdipe, « tu entends aussi femme.
Chacun sait cela. » Elle dit, « c'est ce que
tu crois. »
Myth
Long afterward, Œdipus, old and blinded, walk the
roads. He smells a familiard smell. It was
the Sphinx. Œdipus said, "I want to ask one question.
Why didn't I recghnize my mother?" "You gave the
wrong answer" said the Sphnx. "But tat was what
made everything possible." said Œdipus. "No," she said.
"When I asked, What walks on four legs in the morning,
two at noon, and then three in the evening, you answered
Man. You din't say anything about woman."
"When you say Man" said dipus, ' you include women
too. Everyoneknow that. She said, 'That's what
you think."
Muriel Rukeyser, dans Olivier Apert, Une anthologie bilingue de la
poésie féminine américaine du XXe siècle, Le Temps des cerises, 2014,
p. 83 et 82.
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22/05/2014
Octavio Paz, Liberté sur parole
La vie tout simplement
Appeler le pain par son nom et que se pose
sur la nappe le pain de chaque jour ;
faire la part du feu, donner à nos rêves,
au bref paradis, à l'enfer,
au corps et à la minute ce qu'ils réclament ;
rire comme rit la mer, comme le vent rit,
sans que le rire sonne comme des bris de verre ;
boire et dans l'ivresse posséder la vie ;
danser sans perdre le tempo ;
toucher la main d'un inconnu
par un jour de pierre et d'agonie
et que cette main ait la fermeté
que n'eut pas la main de l'ami ;
passer par la solitude sans que le vinaigre
torde ma bouche, ni que le miroir
repère mes grimaces, ni que le silence
se hérisse dans un grincement de dents :
ces quatre murs — papier, plâtre,
tapis chiche, foyer jaunâtre —
ne sont pas encore l'enfer promis ;
que ne me blesse plus ce désir,
gelé par la peur, plaie froide,
brûlure de lèvres non embrassées :
l'eau claire jamais ne suspend son cours
et certains fruits tombent mûrs ;
savoir partager le pain — et le partage,
le pain d'une vérité commune à tous,
vérité de pain qui nourrit notre faim
(si je suis homme, c'est par son levain,
un semblable parmi mes semblables) ;
lutter pour que vivent les vivants,
donner vie aux vivants, à la vie,
et enterrer les morts et les oublier
comme la terre les oublie : comme des fruits...
et qu'à l'heure de ma mort j'arrive
à mourir comme les hommes et que me soit donné
le pardon, et la vie perdurable
de la poussière, des fruits, de la poussière.
Octavio Paz, Liberté sur parole, traduction Jean-Claude Masson,
Pléiade, Gallimard, 2008, p. 28-29.
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15/11/2013
Philippe Beck, Chants populaires
Chaque poème ou chant populaire s'inspire ici d'un conte "noté" par les Grimm. (Avertissement, p. 7)
27. Technique
La force de l'homme est le point.
Celui-là sur le banc
fut un homme.
Celui-ci sur le banc continue.
Il devient ce qu'il est.
Qui est un homme ?
Bête se demande. Elle dit parfois : « Voilà un homme ».
Ou : « Voici »
Elle va sur lui. Droit devant.
Il prend un bâton et souffle dans le dur.
Il souffle autour.
Les braises sont
au visage de la bête.
Des pierres qui brillent.
Des pierres combatives.
Comme foudre mariée à grêle.
Bête sent qu'il y a une idée
dans le souffle. L cause
étonnement.
Et l'arrêt en plein vol.
En plein air.
Bête allée à Technicité.
En passant.
Elle vient bouche ouverte et tombée
(coquillage)
pays de violence et d'invention.
Silence et inauguration
dans la bête.
Avant les jeux.
Elle commence la vertu commune.
Et les tissus de vertu.
D'après « Le Loup et l'Homme »
Philippe Beck, Chants populaires, Flammarion,
2007, p. 85-86.
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