19/03/2023
Jean Tardieu, Margeries
Insomnie
Tard, très tard, je veille les yeux fermés,
je vais dans ma nuit, je vais, je rame
entouré de formes invisibles
douces ou terribles, que je tiens
comme un enchanteur mille démons
et parfois je fais surgir de l’ombre
un visage, un feu ou une fleur
nés pour un instant, nés pour mourir,
car j’ai toujours mon fidèle abîme
où replongeront toutes figures.
La fleur tourne au vent, me dit adieu,
un pâle rayon sur sa corolle,-
et le précipice l’engloutit.
Jean Tardieu, Margeries,
Gallimard, 1986, p. 222.
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30/05/2022
Pierre Chappuis, La nuit moins profonde
Que ne nous sépare pas
Que ne nous sépare pas, insensible abîme, le moindre écart.
Ce que nous étions, ce que nous sommes. N’ayant point souvenir des massifs d’ombre côtoyés, mouvants, dont les senteurs montaient à la tête.
Un courant de transparence, insensiblement, nous porte ; aurore, démarcation nulle.
Pierre Chappuis, La nuit moins profonde, éditions Empreintes, 2021, p.65.
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13/11/2020
Bohdan Chlibec, Le sang de la bourse
Le conciliateur
La vie ne sera pas leur œuvre,
et même s’ils venaient peupler l’abîme
et que leurs descendants s’entassaient jusqu’aux sommets,
ils resteraient des multiplicateurs du vide,
des reproducteurs du désastre.
Divers peuples vivent encore et toujours
innombrables, mais sans un seul homme.
Des portes barricadées, voilà
ce qu’ils poussent devant eux.
Bohdan Chlibec, Le sang de la bourse, traduction du tchèque
Petr Zavadil et Cédric Demangeot, éditions Fissile,
2020, p. 15.
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25/06/2020
Bernard Vargaftig, Le monde le monde
Feuillage et craie étonnés
Un abîme m’envahissait
La grève sans cacher près de l’éboulis
Ce qui est incomparable
La durée avec le gué
Et les oiseaux là-bas là-bas
Et comme éperdument chancelle en criant
La profondeur des contrées
Vent où la clarté traverse
À nouveau oubli et poursuite
Lilas dont la vivacité se répète
Ombre et première épouvante
Quand tout à coup rien ne manque
Les rochers le pli et ta robe
À l’écart dans l’ensoleillement désert
Emmurée par ton langage
Bernard Vargaftig, Le monde le monde, André Dimanche,
1994, p. 17
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26/12/2013
Jean Tardieu, Comme ceci comme cela
Aventure
Était-ce hier ou dans un temps lointain ?
La vibration de l'air à peine on l'entendait
(C'était le cri de l'alouette invisible)
J'étais seul, habité par une multitude muette
où grondait la colère des mauvais jours.
Dans cette large plaine coulait sans doute un fleuve
et au-delà pâlissaient les montagnes mais on ne les
[voyait pas
Le reflet de ma peine, identique à ma joie
plongeait dans les ténèbres
vides.
Quelqu'un passa, ou quelque chose
« Qui est là ? » — demandai-je
Nul ne répondit
Mais une feuille tomba
et le rideau s'entrouvrit
sur le paisible abîme de mes jours.
Jean Tardieu, Comme ceci comme cela, Gallimard,
1979, p. 27-28.
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