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18/08/2013

Jacques Réda, Hors les murs

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                                Terminus

 

Sournoisement quelqu'un se lève dans la lumière

Soudain plus foncée, et les feuilles ne bougent pas.

Mais l'espace ouvre d'un coup ses invisibles portes

Et dans chacune on voit frémir la face du vent

Qui remue à son front désolé de lourdes roses

D'octobre s'illuminant dans l'ombre des jardins.

 

Car dans les sentiers en dédale tous les jardins

Ont à la longue dérouté si bien la lumière

Aveugle trébuchant parmi les lampes des roses

Qu'on pourrait la toucher qui respire et ne fuit pas

Mais se tient sans bouger sous le lierre, entre le vent

Et les voix prises du côté paisible des portes.

 

Elle n'ose pas comme le vent heurter aux portes

Ni s'ouvrir de force un passage dans les jardins :

Bientôt l'obscurité l'aura saisie. Et le vent

Commence à flairer les épaules de la lumière

Qui voudrait de nouveau s'échapper et ne peut pas

Sortir de ce halo dont l'enveloppent les roses.

 

De proche en proche on aperçoit encore ces roses

Penchant vers la chaleur qui chaque fois sourd des portes

Et des fenêtres dont les lampes ne craignent pas

D'affronter dans l'ombre où s'épaississent les jardins

Les derniers soubresauts indécis de la lumière

Seule devant la face indifférente du vent.

 

Et sur les maisons qui vont disparaître, le vent

Bâtit une maison noire où s'éteignent les roses

Et, secouant à son front leurs gouttes de lumière

Déclinante, il se rue à travers le flot des portes

Qu'on devine qui battent sans bruit. Et les jardins

Ne font plus qu'un seul remous de feuillages, et pas

 

La moindre lueur maintenant sous les roses, pas

De lampe sous la houleuse toiture du vent.

On se perdra peut-être à jamais dans ces jardins,

Sans fin leurré par la flamme équivoque des roses

Et toujours enfonçant tel le vent de fausses portes

Pour retrouver la trace ultime de la lumière.

 

N'abandonnez pas le passant au dédale, roses

D'octobre, au vent qui vous effeuille devant les portes

Et répand votre semence aux jardins sans lumières.

 

 

Jacques Réda, Hors les murs, "Le Chemin", Gallimard, 1982, p. 74-75.

17/08/2013

Jacques Réda, Châteaux des courants d'air

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                     Vers l'automne

 

     La lumière en septembre est elle-même un fruit :

     Mûre, elle se détache et, dans l'herbe, sans bruit,

     Tombe, emplissant les bois de juteuses corbeilles

     Où s'empressent les papillons et les abeilles, etc.

 

   Rien, ce soir, ne me paraît plus juste que ces vers d'un poète un peu oublié, et qui me reviennent subitement en mémoire rue Hippolyte-Maindron. On chercherait sans doute ici bien vainement des papillons et des abeilles, mais on y trouverait de l'herbe et l'équivalence d'un bois. Moins à cause des arbres, isolés mais assez nombreux (une cour de la rue du Moulin-Vert abrite même un figuier de belle venue) que de la configuration d'ensemble du quartier. Avec tous les renfoncements qu'on devine derrière l'alignement des façades, avec les passages tortueux par où ils doivent communiquer, elle évoque en effet une forêt impénétrable et ses clairières, gardées par des sentiers secrets. On n'en peut suivre que les lisières, qui donnent cependant quelque idée de ses enchantements, surtout sous le poids lumineux d'un soir de septembre ardent comme l'érable et croulant comme du raisin. Cette forêt minérale est comprise dans un grand triangle isocèle, presque équilatéral, que délimitent l'avenue du Maine, la rue Raymond-Losserand et la rue d'Alésia. On n'en saurait faire l'inventaire, sous peine d'effrayer le merveilleux de certaines  de ses apparitions. Elles ôtent toute certitude quant à la ville où l'on se promène, et qui ne se manifeste elle-même, en cet endroit, que par de rares rappels de ses principaux caractères, tels ces bons immeubles 1900, que leur isolement change à leur tout en figures insolites.

[...]

 

 

Jacques Réda, Châteaux des courants d'air, Gallimard, 1987, p. 53-54.

16/08/2013

Jacques Réda, Amen

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                                Soir

 

 

Comme nous voici loin du clapotis bleu des collines

Qui bat contre les murs que va démanteler le soir ;

Ici ; ne bougeons pas ; le souvenir de cet instant

qui vient se penche sur nos fronts et nous sommes perdus,

Bien qu'une branche rame encore et cherche à nous sortir

Du remous désormais figé qui nous retient.

                                                                      Si près

Qu'on y pourrait tremper la main, la source s'abandonne

Au bonheur précaire du temps qui coule, mais nos voix

Semblent demander l'heure, encore incrédules : déjà

Leur écho s'est éteint parmi les arbres immobiles.

Nous voici là, debout dans la lumière de l'exil,

Interrogeant en vain notre ombre au soleil qui décroît.

 

Jacques Réda, Amen, "Le Chemin", Gallimard, 1968, p. 46.

 

 

 

15/08/2013

Jacques Réda, Retour au calme

Jacques Réda, Retour au calme, oiseaux, poésie, rime

                       La poésie

 

 

Est-il un seul endroit de l'espace ou du temps

Où l'un des mille oiseaux qui sont les habitants

De ce poème (ou, lui, consentant, leur orage),

Entendrait quelque chose enfin de son langage

          Un peu comme je les entends.

 

Si peu distincts du pépiement de la pensée

Indolente, prodigue et souvent dispersée

Au fond de je ne sais quel feuillage de mots,

Que mes rimes, pour y saisir une pincée

          De sens, miment ces animaux ?

 

J'ai supposé parfois une suprême oreille

À qui cette volière apparaîtrait pareille,

Dans l'intelligible émeute de ses cris,

À celle dont je crois être, lorsque j'écris,

          Un représentant qui s'effraye

 

Et s'enchante à la fois de tant d'inanité.

Il se peut en effet que l'on soit écouté,

Et qu'en un certain point le latin du poète,

Mêlé de rossignol, hulotte ou gypaète,

          Les égale en limpidité.

 

Jacques Réda, Retour au calme, Gallimard, 1989, p. 139.

 

 

 

 

 

 

14/08/2013

Jacques Réda, La Tourne

Jacques Réda, La Tourne, solitude

Pauvreté. L'homme assiste sa solitude.

Elle le lui rend bien. Ils partagent les œufs du soir,

Le litre jamais suffisant, un peu de fromage,

Et la femme paraît avec ses beaux yeux de divorce.

Alors l'autre que cherche-t-elle encore dans les placards,

N'ayant pas même une valise ni contre un mur

La jeune amitié des larmes ? — Te voilà vieille,

Inutile avec tes mains qui ne troublent pas la poussière.

Laisse. Renonce à la surface. Espère

En la profondeur toujours indécise, dans le malheur

Coupable contre un mur et qui te parle, un soir,

Croyant parler à soi comme quand vous étiez ensemble.

 

 

Jacques Réda, La Tourne, "Le Chemin", Gallimard, 1975, p. 59.

13/08/2013

Jacques Réda, L'incorrigible

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               Oiseaux automatiques

 

La tourterelle, on dirait qu'elle est mécanique.

Toute la matinée, elle a volé d'un toit

À l'autre avec un grincement mélancolique

De vieux jouet en fer qu'on remonte d'un doigt

 

Prudent pour ménager le ressort en spirale

Qui sans doute a rouillé depuis vingt ou trente ans.

Mais non, ça marche encore, et l'on entend ce râle

S'efforcer entre des rouages grelottants.

 

Puis un pinson réglé comme une horloge vrille

Et vrille de nouveau, tout au fond du jardin.

L'air presque froid sous un ciel gris où rien ne brille :

Quelle cloison veut-il crever ? Ce qu'il atteint.

 

En fin de compte, c'est l'écœurante purée

Qu'on voudrait garder sous la paroi

La plus dure. Mais quand ce fer de la durée

La perfore, une paix se mêle au désarroi.

 

Car ce chant qui revient sans arrêt, identique,

Dit que le temps existe et qu'il ne compte pas.

Que l'heure sonne en vain puisqu'elle communique

Avec un vide où les attentes, les combats,

 

Les abandons, l'espoir et l'oubli s'équilibrent

Comme le ciel et son reflet dans les canaux.

Tout est joué d'avance. Il ne reste de libre

Que la querelle vaine et sans fin des oiseaux.

 

Jacques Réda, L'incorrigible, Gallimard, 1995, p. 30-31.

 

 

 

12/08/2013

Jacques Réda, Récitatif

 

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                          Transfert


Maintenant je sors à nouveau d'une maison du temps.

Faire autrement, non, je ne peux pas, il faut que je sorte.

À peine avait-il refermé tout doucement la porte

(Il y avait des fleurs, il y avait du feu pourtant)

Je l'ai vu qui me souriait derrière la fenêtre.

J'ai tiré les petits rideaux sensibles — rouge et blanc.

Dehors aussi des fleurs et du feu : neige et ciel. Peut-être

Que nous aurions pu vivre là quelques heures, le temps

Et moi, sans rien dire, pour mieux apprendre à nous connaître.

Mais il n'entre jamais. Il bâtit sans cesse en avant.

Je l'entends de l'autre côté des collines qui frappe,

Qui m'appelle, et je ne dois pas le laisser un instant,

Mais le suivre, le consoler d'étape en étape.

Et tantôt je ne touche rien dans les maisons du temps,

Ou juste un pli qui se reforme au milieu de la nappe,

Tantôt vous comprenez c'est plus fort que moi, je descends

Tout à grands coups de pied dans cette saloperie,

Et si quelqu'un se lève alors des décombres et crie

(Parfois on dirait une femme, et parfois un enfant)

Je m'en vais sans tourner la tête, car on m'attend.

 

Jacques Réda, Récitatif, "Le Chemin", Gallimard, 1970, p. 69.

 

 

11/08/2013

André Frénaud, Les Rois Mages

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                      La création de soi

 

Mes bêtes de la nuit qui venaient boire à la surface,

j'en ai harponné qui fuyaient,

je les ai conduites à la maison.

Vous êtes ma chair et mon sang.

Je vous appelle par votre nom, le mien.

Je mange le miel qui fut venin.

J'en ferai commerce et discours, si je veux.

Et je sais que je n'épuiserai pas vos dons,

vermine habile à me cribler de flèches.

 

André Frénaud,  Les Rois Mages, Poésie / Gallimard,

1987 [1977], p. 67.

 

 

10/08/2013

André Frénaud, La Sainte Face

André Frénaud, La Sainte Face, solitude, vers court

Bon an, mal an

 

Bon an mal an,

bon gré mal gré,

bon pied bon œil,

toujours pareil,

toujours tout neuf,

c'est toujours vrai,

c'est toujours vain,

ça persévère,

ça s'exaspère,

ça prend son temps,

ça va briller,

ça s'inscrira,

indescriptible,

perdu ravi,

malheur gaieté,

le pour le contre,

la fin la suite,

commencement,

flamme épineuse,

contour changeant,

la mort qui tousse,

qui se ravive

au goût du vif,

la mort, la joie,

m'épuisant à rire

dans cet hôtel jaune,

dans ce lit de fer,

éclairé jusqu'où,

feuille tombée vivante

d'un sommeil sans rêve

au milieu de toi,

promesse souterraine,

pousse nourricière,

douce comme le bleu.

 

                  Marseille-Lyon, 14 mars 1949

 

André Frénaud, La Sainte Face, Poésie /

Gallimard, 1985 [1968], p. 165-166.

 

 

 

 

 

 

 

09/08/2013

André Frénaud, Depuis toujours déjà

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               Ecco me

 

À force de l'aimer saurai-je la contraindre ?

A-t-il brillé pour moi le vrai regard ?

Qui voulais-je prouver ? Où me perdre ? Où me prendre ?

Mais à qui fut jamais promise, quelle ?

Ô ci-devant vainqueur, contre toi le temps gagne.

Aurai-je assez menti !

 

J'ai retrouvé la déchirure inoubliable.

L'enfance qui m'accompagnait, les yeux perdus,

s'est redressée avec son vrai visage : c'est moi.

J'ai bouclé ma vie, j'ai achevé le tour, découvrant

la pesante encolure de ma mort.

 

André Frénaud, Depuis toujours déjà [1970], dans La Sorcière de

 

Rome, Depuis toujours déjà, Poésie / Gallimard, 1984, p. 136.

08/08/2013

André Frénaud, Il n'y a pas de paradis

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Note sur l'expérience poétique

 

   Le poème dépasse celui qui le forme, mais enfin il l'exprime ! En construisant cet objet-microcosme, l'auteur se construit et se découvre différent — et uni au monde par des liens différents — mais il se connaît encore tel qu'il est, avec ses ressources qui sont ses limites, sa profondeur légère.

   Ces petits monuments verbaux imprévus, la conscience qui les a portés c'est celle de tel homme unique avec son expérience et ses désirs, ses monstres et ses valeurs, tout ce qui dans la vie l'a marqué et ce qui demeure irréductible, avec ses goûts, son intelligence, ses traditions, ses partis-pris et ses mots, avec son courage et sa misère propre. De là que chaque créateur a ses thèmes et son style. Et, bien sûr, le poème se fait dans la durée changeante d'une vie. S'il opère toujours une transfiguration (jusque par la raillerie même), l'œuvre prend une tonalité différente selon la part de la sensibilité qui s'y trouve actualisée dans le dépassement. Ainsi la plus haute joie et le simple plaisir, l'émerveillement, la nostalgie, l'amertume ou le désespoir, la révolte et la rage, la bonté, tous les sentiments éprouvables peuvent-ils tour à tour y prédominer.

 

 

André Frénaud, Il n'y a pas de paradis, Poésie / Gallimard, 1967 [1962], p. 241-242.

07/08/2013

André Frénaud, Hæres, poèmes 1968-1981

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                       Feu originel

  

                                      I

 

L'amour brûle, il n'est personne.

                                         *

Le centre est partout, il est interdit.

                                         *

Ce qui s'était allumé à jamais

                       de toujours s'obscurcissait.

                                          *

Montaient l'arbre et l'aubier pour le fourmillement.

                                          *

Le bruissement de l'origine,

l'incessant, l'incertain.

et qui ne se distinguerait pas de la finalité

inconnaissable.

                                          *

Ne discontinuait pas de se faire imminent

ce qui encore se différait.

                                           *

Si lui ne la voit pas et ne l'a jamais

                              dans sa vie, reconnue

                                                    la Joie

tout à coup s'éleva de son œuvre

                                               et le marque.

 

 

André Frénaud,  Hæres, poèmes 1968-1981, Gallimard,

1982, p. 221-222.

06/08/2013

André Frénaud, Hæres, poèmes 1968-1981

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              Rumination du paysan

 

Je veux grossir pour défendre ma vie.

Contre la mort il faut prendre du poids,

il me faut boire des six litres   

                                               et pisser,

pour ma santé,

pour honorer ma santé et ma vie.

 

Il me faut vivre pour accroître mon bien,

peser les bêtes, arroser les clôtures,

renforcer les semences, affûter les outils,

bourrer le temps.

 

Mais le dimanche, on peut fanfaronner

avec l'alouette et la violette.

                                                                        1959

  

               Marmonnement du petit vieux

 

Cache-toi

Couve tes maladies.

Le soleil ne te veut pas de bien.

Descends dans la cave.

On pourrait te les prendre.

Profites-en tout seul...

Tu risquerais d'y voir clair.

 

N'aie pas peur... Un jour

Tout ça finira bien par éclater.

 

 

              Bouche innocente

 

Au bon petit cheval, ainsi se glorifiait

la boucherie hippophagique... Et aussi bien,

ne pouvait-il manquer d'être satisfait, l'innocent,

d'être mort et mangé, et dans le poids d'un homme.

 

                                                            Rue Vieille-du-Temple

 

 

André Frénaud, Hæres poèmes 1968-1981, Gallimard, 1982, p. 105, 106, 111.

05/08/2013

André Frénaud, La Sainte Face

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          La secrète machine

 

C'est la secrète machine.

C'est un piège inspiré.

C'était une échauffourée.

Ce n'est qu'un miroir au rats.

 

C'était une provocation.

C'est le coursier effréné.

C'était une médecine.

Mais c'est un cheval de Troie !

 

C'était pour capter l'eau vive.

C'était la fabuleuse prairie.

C'est l'élection de la mort.

Ce n'est qu'un étranglement.

 

C'était le captif enragé.

C'était en gésine un bon ange.

Ou serait-ce l'arbre attentif

et le vent du Levant ?

 

Tel est perdu qui croyait prendre.

L'autre ou toi, lequel est-ce ?

 

 

Ce n'était qu'une parure.

C'était peut-être une prière.

C'était une rédemption.

Un ensevelissement.

                                                   1er novembre 1965

 

 

 

André Frénaud, La Sainte Face, Poésie / Gallimard,

1985 [1968], p. 201-202.

04/08/2013

André Frénaud, Il n'y a pas de paradis

André Frénaud, Il n'y a pas de paradis, amour perdu, mélancolie, lyrisme

          Si l'amour fut

 

Mon amour, était-ce toi ou mon seul élan,

le nom que ma parole a donné à son désir.

As-tu existé, toi l'autre ? Était-il véritable,

sous de larges pommiers entre les pignons,

ce long corps étendu tant d'années ?

 

L'amour a-t-il été un vrai morceau du temps ?

N'ai-je pas imaginé une vacance dans l'opaque ?

Étais-tu venue, toi qui t'en es allée ?

Ai-je été ce feu qui s'avive, disparut ?

 

Tout est si loin. L'absence brûle encore la glace.

Les ramures de mémoire ont charbonné.

Je suis arrêté pour jusqu'à la fin ici,

avec un souvenir qui n'a plus de figure.

 

Si c'est un rêve qu'éternel amour,

qu'importe j'y tiens.

J'y suis tenu ou je m'y trouve abandonné.

Désert irrémédiable et la creuse fierté.

Quand tu reviendras avec un autre visage,

je ne te reconnais pas, je ne sais plus voir, tout n'est rien.

 

Hier fut. Il était mêlé de bleu et frémissait,

ordonnancé par un regard qui change.

Une chevelure brillait, violemment dénouée,

recomposée autour de moi, je le croyais.

Le temps remuait parmi l'herbe souterraine.

Éclairés de colère et de rire, les jours battaient.

Hier fut.

Avant que tout ne s'ébranlât un amour a duré,

verbe qui fut vivant, humain amour mortel.

 

Mon amour qui tremblait par la nuit incertaine.

Mon amour cautionné dans l'œil de la tempête

et qui s'est renversé.

 

André Frénaud, Il n'y a pas de paradis, Poésie / Gallimard,

 

1967, p. 174-175.