02/09/2013
Samuel Beckett, Le dépeupleur
Séjour où des corps vont cherchant chacun son dépeupleur. Assez vaste pour permettre de chercher en vain. Assez restreint pour que toute fuite soit vaine. C'est l'intérieur d'un cylindre surbaissé ayant cinquante mètres de pourtour et seize de haut pour l'harmonie. Lumière. Sa faiblesse. Son jaune. Son omniprésence comme si les quatre-vingt mille centimètres carrés de surface totale émettaient chacun sa lueur. Le halètement qui l'agite. Il s'arrête de loin en loin tel un souffle sur sa fin. Tous se figent alors. Leur séjour va peut-être finir. Au bout de quelques secondes tout reprend. Conséquences de cette lumière pour l'œil qui cherche. Conséquences pour l'œil qui ne cherchant plus fixe le sol ou se lève vers le lointain plafond où il ne peut y avoir personne. Température. Une respiration plus lente la fait osciller entre chaud et froid. Elle passe de l'un à l'autre extrême en quatre secondes environ. Elle a des moments de calme plus ou moins chaud ou froid. Ils coïncident avec ceux où la lumière se calme. Tous se figent alors. Tout va peut-être finir. Au bout de quelques secondes tout reprend. Conséquences pour les peaux de ce climat. Elles se parcheminent. Les corps se frôlent avec un bruit de feuilles sèches. Les muqueuses elles-mêmes s'en ressentent. Un baiser rend un son indescriptible. Ceux qui se mêlent encore de copuler n'y arrivent pas. Mais ils ne veulent pas l'admettre. Sol et mur sont en caoutchouc dur ou similaire. Heurtés avec violence du pied ou du poing ou de la tête ils sonnent à peine. C'est dire le silence des pas.
Samuel Beckett, Le dépeupleur, éditions de Minuit, 1970, p. 7-8.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Beckett Samuel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : samuel beckett, le dépeupleur, corps, lumière | Facebook |
01/09/2013
Samuel Beckett, mirlitonnades (1976-1978)
mirlitonnades (1976-1978)
silence tel que ce qui fut
avant jamais ne sera plus
par le murmure déchiré
d'une parole sans passé
d'avoir trop dit n'en pouvant plus
jurant de ne se taire plus
*
écoute-les
ajouter
les mots
aux mots
sans mot
les pas
aux pas
un à
un
*
imagine si ceci
un jour ceci
un beau jour
imagine
si un jour
un beau jour ceci
cessait
imagine
*
ce qu'ont les yeux
mal vu de bien
les doigts laissé
de bien filer
serre-les bien
les doigts les yeux
le bien revient
en mieux
Samuel Beckett, Poèmes, suivi de mirlitonnades,
éditions de Minuit, 1978, p. 34, 34, 35, 39.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Beckett Samuel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : samuel beckett, mirlitonnades, passé, disparition, bavardage, le bien | Facebook |
31/08/2013
Samuel Beckett, Nouvelles et textes pour rien
Où irais-je, si je pouvais aller, que serais-je, si je pouvais être, que dirais-je, si j'avais une voix, qui parle ainsi, se disant moi ? Répondez simplement, que quelqu'un réponde simplement. C'est le même inconnu que toujours, le seul pour qui j'existe, au creux de mon inexistence, de la sienne, de la nôtre, voilà une simple réponse. Ce n'est pas en pensant qu'il me trouvera, mais que peut-il faire, vivant et perplexe, oui, vivant, quoi qu'il dise. M'oublier, m'ignorer, oui, ce serait le plus sage, il s'y connaît. Pourquoi cette soudaine amabilité après tant d'abandon, c'est facile à comprendre, c'est ce qu'il se dit, mais il ne comprend pas. Je ne suis pas dans sa tête, nulle part dans son vieux corps, d'où tant de confusion. Cela devrait lui suffire, m'avoir retrouvé absent, mais non, il me veut là, avec une forme et un monde, comme lui, malgré lui, moi qui suis tout, comme lui qui n'est rien. Et quand il me sent sans existence, c'est de la sienne qu'il me veut privé, et inversement, fou, fou, il est fou. En vérité il me cherche pour me tuer, pour que je sois mort comme lui, mort comme les vivants. Tout cela il le sait, mais cela ne sert à rien, de le savoir, moi je ne le sais pas, moi je ne sais rien.
Samuel Beckett, Nouvelles et textes pour rien, avec 6 illustrations d'Avigdor Arikha, éditions de Minuit, 1958, p. 153.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Beckett Samuel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : samuel beckett, nouvelles et textes pour rien, voix, oubli, confusion | Facebook |
30/08/2013
Samuel Beckett, Peste soit de l'horoscope et autres poèmes
Précepte
Passe les années d'études à gaspiller
Le courage qu'il faut pour les années d'errance
Dans un monde qui se détourne poliment
Des incongruités de l'érudition
Là-bas
là-bas
surprenant
pour un être
si petit
jolis narcisses
armée de mars
alors en marche
puis là
puis là
puis de là
narcisses
encore
mars alors
en marche encore
surprenant encore
pour un être
si petit
Samuel Beckett, Peste soit de l'horoscope et autres poèmes, traduit de l'anglais et présenté par Édith Fournier, éditions de Minuit,
2012, p. 27 et 37.
Gnome
Spend the years of learning quandering
Courage of the years of wandering
Through a world politely turning
From the loutishness of learning
1934
Thither
thither
a far cry
for one
so little
fair daffodils
arch then
then there
then there
then thence
daffodils
again
march then
again
a far cry
again
for one
so little
1976
Samuel Beckett, Collected Poems, 1930-1978,
John Calder, London, 1986, p. 7 et 33.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Beckett Samuel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : samuel beckett, peste soit de l'horoscope, gnome, narcisse, érudes | Facebook |
29/08/2013
Samuel Beckett, Comment c'est
ma journée ma journée ma vie comme ça toujours les vieux mots qui reviennent plus grand'chose seulement que je me réacclimate puis dure jusqu'au sommeil ne pas s'endormir ou alors ce n'est pas la peine
fou ou pis transformé à la Haeckel né à Potsdam où vécut également Klopstock entre autres et œuvres quoique enterré à Altona l'ombre qu'il jette
le soir face au grand soleil ou adossé je ne sais plus on ne dit pas la grande ombre qu'il jette vers l'est natal les humanités que j'avais mon Dieu avec ça un peu de géographie
plus grand'chose mais dans la queue le venin j'ai perdu mon latin il faut être vigilant donc un bon moment sonné sur le ventre puis soudain me mets je ne peux pas le croire à écouter
à écouter comme si parti la veille au soir de la Nouvelle-Zemble la géographie que j'avais je venais de revenir à moi dans une sous-préfecture sub-tropicale voilà comme j'étais comme j'étais devenu ou avais toujours été c'est l'un ou l'autre
question si toujours bonne vieille question toujours comme ça depuis que le monde monde pour moi des murmures de ma mère chié dans l'incroyable tohu-bohu
comme ça à ne pouvoir faire un pas surtout la nuit sans m'immobiliser sur un pied yeux clos souffle coupé à l'affût des poursuiveurs et secours
Samuel Beckett, Comment c'est, éditions de Minuit, 1961, p. 51-52.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Beckett Samuel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : samuel beckett, comment c'est, humanités, latin, géographie | Facebook |
28/08/2013
Samuel Beckett, L'innommable
Les vieux n'étaient pas tous d'accord à mon sujet, mais ils étaient d'accord que j'avais été un beau bébé, tout à fait au début, pendant quinze jours trois semaines. Pourtant ç'avait été un beau bébé, ainsi invariablement se terminaient leurs relations. Souvent c'était l'un des enfants qui, profitant d'une pause dans le récit pendant laquelle mes parents s'abîmaient dans leurs souvenirs, lançait en guise de clôture la phrase consacrée, Pourtant ç'avait été un beau bébé. Des rires clairs et innocents, jetés par ceux que le sommeil n'avait pas encore terrassés, saluaient la mise en place prématurée de cet envoi. Et les narrateurs eux-mêmes, arrachés brusquement à leurs tristes pensées, ne pouvaient s'empêcher de sourire. Puis tous, à l'exception de ma mère que la station debout fatiguait, de se lever en entonnant, Doux Jésus, paisible et suave, par exemple, ou bien, Jésus, mon seul, mon tout, entends-moi quand j't'appelle, par exemple. Lui aussi avait dû être un beau bébé. Alors ma femme communiquait les dernières nouvelles, pour qu'on les emportât au lit. Le voilà à nouveau à reculons, ou, Il s'est mis à se gratter, ou, Il a fait le crabe pendant dix bonnes minutes, ou, Venez vite, il est à genoux, ça valait le coup d'œil évidemment.
Samuel Beckett, L'innommable, éditons de Minuit, 1953, p. 64-65.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Beckett Samuel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : samuel beckett, l'innommable, bébé, enfant | Facebook |
27/08/2013
Samuel Beckett, Malone meurt
Je serai quand même bientôt tout à fait mort enfin. Peut-être le mois prochain. Ce serait alors le mois d'avril ou de mai. Car l'année est peu avancée, mille petits indices me le disent. Il se peut que je me trompe et que je dépasse la Saint-Jean et même le Quatorze Juillet, fête de la liberté. Que dis-je, je suis capable d'aller jusqu'à la Transfiguration, tel que je me connais, ou l'Assomption. Mais je ne crois pas, je ne crois pas me tromper en disant que ces réjouissances auront lieu sans moi, cette année. J'ai un sentiment, je l'ai depuis quelques jours, et je lui fais confiance. Mais en quoi diffère-t-il de ceux qui m'abusent depuis que j'existe ? Non, c'est là un genre de question qui ne prend plus, avec moi je n'ai plus besoin de pittoresque. Je mourrais aujourd'hui même, si je voulais, rien qu'en poussant un peu, si je pouvais vouloir, si je pouvais pousser. Mais autant me laisser mourir, sans brusquer les choses. Il doit y avoir quelque chose de changé. Je ne veux plus peser sur la balance, ni d'un côté ni de l'autre. Je serai neutre et inerte. Cela me sera facile. Il importe seulement de faire attention aux sursauts. Du reste je sursaute moins depuis que je suis ici. J'ai évidemment encore des mouvements d'impatience de temps en temps. C'est d'eux que je dois me défendre à présent, pendant quinze jours trois semaines. Sans rien exagérer bien sûr, en pleurant et en riant tranquillement, sans m'exalter. Oui, je vais enfin être naturel, je souffrirai davantage, puis moins, sans en tirer de conclusions, je m'écouterai moins, je ne serai plus ni froid ni chaud, je serai tiède, je mourrai tiède, sans enthousiasme. Je ne me regarderai pas mourir, ça fausserait tout. Me suis-je regardé vivre ?
Samuel Beckett, Malone meurt, éditions de Minuit, 1951, p. 7-8.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Beckett Samuel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : samuel beckett, malone meurt, vivre, mourir, attente | Facebook |
26/08/2013
Samuel Beckett, Molloy
Maintenant je vais pouvoir conclure.
Je longeai le cimetière. C'était la nuit. Minuit peut-être. La ruelle monte, je peinais. Un petit vent chassait les nuages à travers le ciel faiblement éclairé. C'est beau d'avoir une concession à perpétuité. C'est une bien belle chose. S'il n'y avait que cete perpétuité-là. J'arrivai devant le guichet. Il était fermé à clef. Très juste. Mais je ne pus l'ouvrir. La clef entrait dans le trou, mais ne tournait pas. La longue désaffection ? Une nouvelle serrure ? Je l'enfonçai. Je reculai jusqu'à l'autre côté de la ruelle et me ruai dessus. J'étais rentré chez moi, comme Youdi me l'avait commandé. Je me relevai enfin. Qu'est-ce qui sentait si bon ? Le lilas ? Les primevères peut-être. J'allai vers mes ruches. Elles étaient là, comme je le craignais. J'enlevai le couvercle de l'une d'elles et le posai par terre. C'était un petit toit, au faîte aigu, aux brusques pentes débordantes. Je mis la main dans la ruche, la passai à travers les hausses vides, la promenai sur le fond. Elle rencontra, dans un coin, une boule sèche et poreuse. Elle s'effrita au contact de mes doigts. Elles s'étaient mises en grappe pour avoir un peu plus chaud, pour essayer de dormir. J'en sortis une poignée. Il faisait trop sombre pour voir, je la mis dans ma poche. Ça ne pesait rien. On les avait laissées dehors tout l'hiver, on avait enlevé leur miel, on ne leur avait pas donné de sucre. Oui, maintenant je peux conclure. Je n'allai pas au poulailler? Mes poules étaient mortes aussi, je le savais. Seulement elles, on les avait tuées autrement, sauf la grise peut-être. Mes abeilles, mes poules, je les avais abandonnées. J'allai vers la maison. Elle était dans l'obscurité. La porte était fermée à clef. Je l'enfonçai. J'aurais pu l'ouvrit peut-être, avec une de mes clefs. Je tournai le commutateur. Pas de lumière. J'allai dans a cuisine, dans la chambre de Marthe. Personne. Mais assez d'histoires. La maison était abandonnée.
Samuel Beckett, Molloy, éditions de minuit, 1951, p. 270-271.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Beckett Samuel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : samuel beckett, molloy, la fin, retour, abeille, poule | Facebook |
25/08/2013
Jacques Roubaud, Ciel et terre et ciel et terre, et ciel, John Constable
Ciel, Terre, février 1944
Au deuxième étage de la maison, de la chambre, une fenêtre regardait vers l'extérieur. Une fenêtre et lui regardaient, de l'autre côté de la rue en pente vers la droite un espace descendant, non pavé, non goudronné, plus large que la rue, descendant vers la rue qui courait, elle, parallèlement à la fenêtre. Il regardait, et les maisons les plus proches, et l'église, tout en haut de cet Enclos, étaient loin, leurs fenêtres rares, closes : personne ne pourrait le voir regarder. Il était seul. Il pleuvait. Il regardait, et voyait l'eau ruisseler sur le sol, s'en aller dans la pente, suivre sa pente, comme toutes les eaux, comme toutes les pluies. Il voyait devant lui, sous la fenêtre une large flaque, presque une mare, entre le macadam et le trottoir.
Et dans cette flaque d'eau de pluie, que la pluie pointillait, criblait, crevait de son petit plomb de gouttes, les nuages. À genoux sur le parquet à l'odeur de cire propre, le front contre la vitre, il regardait, pendant les heures de l'après-midi oisive, dans l'eau de pluie, les nuages. Ce n'étaient plus les nuages heureux de septembre, mais des nuées rapides, fuyantes, pressées, inquiètes, que le vent poussait l'une après l'autre dans le ciel, des nuages de pluie grise d'hiver, gris. Reflétés dans la vitre de l'eau grise derrière la vitre au verre embué de la fenêtre, ils coulaient en silence dans cette eau triste, comme un torrent.
Jacques Roubaud, Ciel et terre et ciel et terre, et ciel, John Constable, Flohic éditions, 1997, p. 23 et 25.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Roubaud Jacques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques roubaud, ciel et terre et ciel et terre, et ciel, john constable, vitre, nuage, pluie | Facebook |
24/08/2013
Jacques Roubaud, Quelque chose noir
Mort
Ta mort parle vrai ta mort parlera toujours vrai. ce que parle ta mort est vrai parcequ'elle parle. certains ont pensé que la mort parlait vrai parceque la mort est vraie. d'autres que la mort ne pouvait parler vrai parceque le vrai n'a pas affaire avec la mort. mais en réalité la mort parle vrai dès qu'elle parle.
Et on en vient à découvrir que la mort ne parle pas virtuellement, étant ce qui arrive, effective au regard de l'être. ce qui est le cas.
Ni une limite ni l'impossible, dérobée dans le geste de l'appropriation répétitive, puisque je ne peux aucunement dire : c'est là.
Ta mort, de ton propre aveu, ne dit rien ? elle montre. quoi ? qu'elle ne dit rien. mais aussi qu'en montrant elle ne peut pas non plus, du même coup, s'abolir.
« Ma mort te servira d'élucidation de la manière suivante : tu pourras la reconnaître comme dépourvue de sens, quand tu l'auras gravie, telel une marche, pour atteindre au-delà d'elle (jetant , pour ainsi dire, l'échelle). » je ne crois pas comprendre cela.
Ta mort m'a été montrée. Voici : rien et son envers : rien.
Dans ce miroir, circulaire, virtuel et fermé. le langage n'a pas de pouvoir.
Quand ta mort sera finie. et elle finira parcequ'elle parle. quand ta mort sera finie. et elle finira. comme toute mort. comme tout.
Quand ta mort sera finie. je serai mort.
Jacques Roubaud, Quelque chose noir, Gallimard, 1986, p. 66-67.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Roubaud Jacques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques roubaud, quelque chose noir, mort, vrai, langage | Facebook |
23/08/2013
Jacques Roubaud, Les animaux de tout le monde
Les pigeons de Paris
« Les petits pigeons pleins de fientaisie »
Raymond Queneau
Les pigeons qui chient sur Paris
ses arbres ses bans ses automobiles
attendent que l'Hôtel de ville
soit propre pour le couvrir de pipi
Les pigeons pollués et gris
polluent de leurs acides chiures
façades vitrines et toitures
les parcs les balcons les mairies
Les pigeons à l'œil archibête
choisissent principalement ma tête
pour y projeter leurs immondices
à la consistance de petits suisses
Ils ne trouvent rien de mieux à faire
dans Paris la Ville Lumière
Jacques Roubaud, Les animaux de tout le monde, Seghers, 1990, p. 51.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Roubaud Jacques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques roubaud, les animaux de tout le monde, pigeon, paris, pollution | Facebook |
22/08/2013
Jacques Roubaud, Dors, précédé de Dire la poésie
dormir
dormir
sans que rien
compte
rien vaille
veille
———————————————
nuit
nuit
tu viendrais
les lumières
pousseraient
sur les pentes
vidées de jour
les feuilles en
seraient sombres
———————————————
œil,
dans ton
œil
bleu
devient
gris
devient
bleu
dans l'œil
de ton œil
———————————————
un silence
rien
d'autre
pas
de branche
parlant
à la fenêtre
pas d'œil
à ton ventre
gouttes égales.
Jacques Roubaud, Dors, précédé de
Dire la poésie, Gallimard, 1981, p. 54-55.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Roubaud Jacques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques roubaud, dors, précédé de dire la poésie, nuit, silence, œil, ventre | Facebook |
21/08/2013
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, 1987-1990
Fleurs, Fleur
La graine jetée dans le ventre de la terre, pourrie dessus-dessous le fumier, battue d’hiver, sur les premières douceurs du printemps, rallie ses petites pièces, ressuscite de petites racines, investissant la motte tendre pour en sucer la moelle, perçant la terre jette un petit filet blanc, une pointe verte, se nourrit à vue d’œil, par laps de temps s’engraisse, gagne le haut,
roidit une tige verte, à la faveur du Soleil boutonne, à couvert digère ses couleurs, le bouton enfle, éclate doucement, montrant en sa fente l’essai de son apprentissage et un rayon de ses beautés, mûries de temps.
La Nature soigneuse de son trésor odoriférant les contregarde curieusement, armant les unes de pointes aiguës, hérissant les autres de piquerons, couvrant celles-ci de feuilles raboteuses, jetant les autres à l’abri des feuilles larges, fait jouer de secrets ressorts, afin que les déboutonnant aux influences de l’Aurore, sur le soir elles se reboutonnent d’elles-mêmes devant les horreurs de la nuit.
Jacques Roubaud, La pluralité des mondes de Lewis, 1987-1990, Gallimard, 1991, p. 75.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Roubaud Jacques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques roubaud, la pluralité des mondes de lewis, fleur, vie des plantes | Facebook |
20/08/2013
Jacques Roubaud, Mono no aware, Le Sentiment des choses
Élégie sur l'impermanence de la vie humaine
nous sommes sans force
contre l'écoulement des années
les douleurs qui nous poursuivent
centuple douleur sur nous
les jeunes filles en jeunes filles
bijoux chinois à leurs poignets
se saluent manches de soie blanche
trainant le rouge de leurs jupons
main dans la main avec leurs amies
mais comme floraison de l'an
que l'on ne peut freiner jamais
avant même de voir le temps
la gelée blanche sera tombée
sur les chevelures noires
comme les entrailles de l'escargot
et les rides (d'où venues ?)
creusent le rose des joues
les jeunes hommes en guerriers
l'épée courte à la taille
l'arc ferme dans les mains
sautent sur leurs chevaux bais
aux selles parées d'étoffes
et vont partout triomphant
mais ce monde de la joie
sera-t-il le leur toujours ?
les jeunes femmes ferment leur porte
qui glissent plus tard doucement et dans le noir
ils retrouvent leur bien aimée
les bras durs serrent les beaux bras
hélas que ce sont peu de nuits
pour eux dormir emmêlés
avant que bâton au flanc
ils vacillent sur les routes
moqués ici haïs là
et ce sera pour nous ainsi
on peut pleurer sur sa vie
rien n'y fait
(envoi)
souvent je pense
ah si je pouvais toujours
être le roc éternel
hélas chose de ce monde
je ne peux éloigner l'âge
Jacques Roubaud, Mono no aware, Le Sentiment des choses cent quarante trois poèmes empruntés au japonais, Gallimard, 1970, p. 29-30.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Roubaud Jacques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques roubaud, mono no aware, le sentiment des choses, Élégie, impermanence de la vie humaine | Facebook |
19/08/2013
Jacques Roubaud, Autobiographie chapitre dix
48
ET MAINTENANT, PROSE
je partais pour l'Amérique
c'était le temps des linoléums,
des bocks,
de la margarine,
Il y avait encore, en haut des escaliers, des fenêtres aux carreaux voilés de peinture bleue rayée d'ongles
c'était le temps où les lames gilette uniques, petites brochures d'acier inoxydable d'une seule feuille, s'offraient dans leur emballage bleu
je partais
49
GO WEST, WE
près des grands docks
où les policemen géants sont
piqués comme des points d'interrogation
les marchands d'allumettes
criaient penny penny penny
je me suis promené près de la Tamise
dans cette ville où
toutes les boutiques ont les yeux très jaunes les meilleurs sont les épiceries
on est jeune pour la vie, Nick
Carter les menottes
jetons brillants
tu es le frère de Bayard et de la reine
d'Angleterre. Il n'y a pas de cafés
seulement les trottoirs longs comme les
années ma mémoire me suit
chien plus bête que ses brebis
je vais à Barbizon relire
les voyages du capitaine Cook
Jacques Roubaud, Autobiographie chapitre dix, poèmes avec des moments de repos en prose, Gallimard, 1977, p. 30-31.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Roubaud Jacques | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jacques roubaud, autobiographie chapitre dix, poésie et prose, l'amérique, la tamise, nick carter | Facebook |