Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/05/2022

Michel Lzeiris, Langage tangage ou Ce que les mots me disent,

                        838_img_20210125_121216.jpg

âge — agite puis assagit ?

baroque — braqué, arqué, cabossé de beaux raccrocs cabrés

chaussures — assurent chaude et sèche la marche

démon — mon dé

étang — hanté

femme — affame, puis se fane

gloire — gel glauque des rois

hasard — vaste bazar !

individu — nid divin de l’unique

jazz — jase en zigzag

luxure — exalte  les corps et fait que, nus, ils exultent

maladie — la dîme

norme — morne

œuvre = verrou ?

penseur — sans peur

 

Michel Leiris, Langage tangage ou Ce que les mots me disent, Gallimard, 1985.

09/07/2021

Christian Prigent, Chino au jardin

Christian_Prigent_200x240.jpg

Mais pressons pressons. Déjà cent étoiles au ciel. Prends ton chapeau, mets tes bretelles : si tu rates la messe, la soupe après c’est pas l’oignon, c’est la grimace. On se précipite, pite, patte, deux pattes quatre à quatre au trot toutes jambes caro cari cara caracole hop là au galop. Qui botte en tra tra versant cataclop le carré tchouc tchouc aux choux tagada le cul de qui qui encombre ? GM, de Ki, le chien qu’a un œil qui dit kaoc’h à l’autre. S’il en avait deux qui diraient merde, ce serait Kiki. Avait qu’à pas japper beurton en large sur le seuil en plus d’aboyer chinot en long dans l’allée : va voir si y a pas du lapin ailleurs dans les Pointus d’Hiver.

 

Christian Prigent, Chino au jardin, P.O.L, 2021, p. 175.

06/06/2019

Ghérasim Luca, La paupière philosophale

97775049.gif

             L’émeraude

 

Elle est comme la mère d’une robe

 

Elle a l’air de rogner ses coudes amers

comme une rondelle

mais elle n’aime pas son rôle de laine

 

Elle est roche des odes

et rotules des ondes

Émergée de la mer de tulle

d’un thème rose

elle rode dans le lemme d’air

d’un ver

comme l’arôme ronde de l’aronde

qui ronge une rondelle d’hirondelles

à l’aube sur la roche de l’arroche

 

Lorsque d’un gant extrêmement arrogant

la rose arrose l’arobe des robes

de l’autre côté du tréma de son unité

elle gêne tout autrement

la gerbe à traîne ardente

de ses trente dents à la ronde

 

Ghérasim Luca, La paupière philosophale, Corti,

2016, p. 71-74.

25/12/2018

Jacques Prévert, Aphorismes, épigrammes et graffiti

                 livre.jpg

L’opinion publique

 

« Je suis heureux ! 

— De quel droit ? »

Et on le fusille du regard

en attendant mieux.

 

Et la Vierge Marie vendit Joseph à madame « Putiphar » pour un plat de lentilles.

Il fallait bien nourrir le Petit.

 

Jésus-Christ était

   cruciverbiste.

 

Si on avait compté les siècles après Eros ou Vénus au lieu d’après Jésus-Christ, on n’en serait pas là.

 

 Jacques Prévert, Textes divers, dans Œuvres complètes, II,

Pléiade / Gallimard, 1996, p. 931, 936, 936, 936.

23/11/2018

Jacques Moulin, Sauvagines

                            moulin-jacques_0.jpg

Regard de clairière

Paupières feuillues

Œil de lynx

Oreilles sylvestres

Nez en l’air jusqu’à terre

Nez en flair avec

L’humus l’humeur des vents

L’ardeur des fumées

L’honneur du poil ou de la plume

Mains moussues

Corps tendu vers l’attente l’accueil

Il avance sans appareil photo

— l’appareil ne l’appareille jamais

Il avance toutes antennes offertes

Live sauvagement live

Il ne vient pas faire photo

Gonfler l’album thésauriser le cliché

Jouer la montre la démonstration

Il vient comprendre attendre entendre

Goûter à l’espace apprécier les lieux

Se dissoudre en eux

Garantir sa communion avec le vivant

Il est vivant au sein du vivant

Comme la pierre il est posé là

Dans le mitan du monde

Un coup de sécateur — sa dentition sauvage

Et il attend il observe il écoute il respecte

Il est à l’affût il s’affûte corps et esprit

[…]

 

Jacques Moulin, Sauvagines, éditions la clé à molette, 2018, p. 27-28.

28/10/2018

Michel Leiris, Mots sans mémoire

 

michel leiris,mots sans mémoire,anagramme,jeu de mots

              Bagatelles végétales

 

Absolu. Absalon.

 

Adages de jade :

Apprendre à parier pour la pure apparence.

Idées, édits. Édifier, déifier.

La manne des mânes tombe des tombes.

L’âtre est un être, les chaises sont des choses.

Le sang est la sente du temps. L’ivresse est le rêve et l’ivraie des viscères.

Ne rien renier. Deviner le devenir.

Pense au temps, aux taupes et à ton impotence, pantin !

 

Affirmer, affermir, affermer.

Afrique qui fit — refit — et qui fera.

Aimer le mets des mots, méli-mélo de miel et de moelle.

 

Michel Leiris, Mots sans mémoire, Gallimard, 1969, p. 119.

05/04/2018

Jean-Pierre Verheggen, Ni Nietzsche, Peau d'Chien

 

Le cas Cosima (Mystère ?) Le cas Vaginer ?

 

                                     Turin, 3 octobre 1888

 

Lorsqu’il le veut diminué, réduit, c’est : Wagner est un bébé 8 Un bébé mongol et incontinent qui fait du pisse-copiemusical dans ses Pampersifal !

 

Lorsqu’il le voir trop encombrant, c’est : Wagner est un Persifalstaf de Mes Deux qui fait couac sur couac comme un violoneux.

 

C’est évidemment excessif. Discourtois. Voire bêtasse et injurieux !

De plus, c’est injuste pour l’opéra de son exami.

Mais c’est ainsi !

Nietzsche fait de tout un cas

Un cas Pohl !

Un cas Nohl !

Un pot d’Kohl !

Un cas Fritzsh !

Des caprices !

 

Tout sauf un cas cliNietzsche !

 

Le cas des cas !

Celui pour lequel il fait le grand Caruso béat !

Son aria !

Son Ariane !

 

Sa Wagner’s Madame

 

Son.

Sa.

(C’est cosiment ça !)

 

Cosima !

 

Jean-Pierre Verheggen, Ni Nietzsche, Peau d’Chien !,

TXT, 1983, p. 34.

 

09/10/2016

Ana Tot, Méca

SCAN1258.jpg

 

   Méca : ce titre pourrait être une abréviation de mécano et, alors, évoquer un jeu de construction ; ici, une grande partie des 69 textes se construit à partir d’un procédé simple : mots de sens opposés (vide / plein, accepter / refuser, différent / pareil, etc.), expressions courantes qui ouvrent un texte (il faut tenir le coup, ça va aller, ça n’a aucune importance, etc.), exploration de ce qui peut être dit d’une ‘’entrée’’ comme « si j’étais », « je suis bien épaisse », répétitions, énumération de ce qui peut suivre un pronom : « elle est bonne. Elle voit. [etc.] », passage d’un mot (matière) à un autre (histoires), etc. On aurait donc de cette manière des jeux avec les ressources de la langue, des exercices de style qui aboutissent d’ailleurs parfois à des énoncés cocasses : la proposition d’ouverture « tout a une fin », après des considérations sur le rapport entre la fin et le commencement, entraîne : « Tout a une fin, sauf le saucisson ». Mais ce n’est pas si simple.

   Dans la page titre, différente de ce qu’on lit sur la couverture, sous méca vient camées ; ce renvoi à un travail minutieux de mise en relief ne contredit pas le sentiment premier de jeu. L’anagramme phonique [mé-ca /ca-mé] oriente cependant dans une autre direction : la lecture ne peut s’arrêter à une signification, ce qui est explicite dans un texte où l’on passe d’un sens à l’autre du mot « langue » ; si « je te mets ma langue dans la bouche. Ce n’est pas la langue du plaisir, ce n’est pas une présence. C’est mécanique. C’est la langue. », d’où : « Alors tu sors de toi. C’est désagréable. Ce n’est pas mécanique. C’est enfin la création de ta langue grâce à la langue mécanique. » Ce qui permet de conclure : « C’est enfin la réaction qui te fait réagir. Tu dis, tu réagis, tu jouis, non [dans la bouche] ». Le jeu existe, certes, mais pour dire une expérience.

   Les mots en gras (qui s’accordent ici avec le double sens de « langue »), sont séparés de l’ensemble ; simples ou multiples, ils forment une sorte de synthèse à l’issue de chaque texte : à partir de leur réunion dans une table des matières, on esquisse sans trop de peine une vision peu avenante des choses du monde. Sont en effet récurrents des mots reçus avec un sens négatif à des degrés variables : « tout allait rien, rumination, ça-n’a-aucune-importance est, n’arrive pas, rien, basta, choquer, lasse, tout ce sang », le beckettien « pour en finir avec » et le dernier mot du livre, l’impératif « crève ».

   Cette invitation à crever dans le texte final est faite non seulement à tous ceux qui, socialement, ont un rôle particulier (les artistes, les poètes), mais à l’humanité bien portante dans son ensemble et aux animaux qui l’accompagnent (chiens, chats) ; toujours dans le jeu des oppositions, à « crever  » répond « vivre », qui inclut les rejetés de notre société où tout doit être propre, transparent, sans aspérités : « les vieillards inutiles, les hommes sans génie, les beautés sans Beauté, les choses sans Vérité, les vérités sans Machin-Chose, les fourmis, les microbes, les imbéciles et les incultes. [etc.] ». Opposition exprimée avec humour — il faudrait tout citer —, mais facile, qu’on peut estimer simpliste, et Ana Tot ne l’ignore pas : si la double proposition (crever /vivre) apparaît être un programme, somme toute assez commun, que ce programme lui-même disparaisse ! Que reste-t-il ? « [crève] ». Et peut-être que ce dernier mot du livre sur l’inanité des choses de la vie, renvoie au premier texte.

   La phrase d’ouverture, « les choses ne sont pas comme elles sont », prend à rebours la proposition d’Aristote, si souvent commentée : « Le commencement de toutes les sciences, c’est l’étonnement de ce que les choses sont comme elles sont. ». Ana Tot laisse de côté le premier membre de la phrase et, de manière virtuose, semble démonter la proposition en jouant sur « comme elles sont » et en introduisant deux termes (cravates, chaussettes) et non un (choses), ce qui donne à l’issue du raisonnement : « si je te dis justement que tes cravates sont comme des chaussettes c’est que tes cravates sont [comme elles ne sont pas]. Ce n’est pas tant la réflexion philosophique qui est mise à l’épreuve que la lecture sans réflexion.

   Par ailleurs, Ana Tot avance à différents endroits de Méca des propositions qui, réunies, interrogent une vision du monde. Ainsi, du statut du ‘’je’’, donc de l’humaine condition : partant de « nous ne créons rien », elle aboutit à « Nous sommes le poids d’un passé qui contient présent et avenir. […] Tout est passé, joué, donné, produit. » S’interrogeant sur ce qui peut être cherché par chacun de nous, qui manquerait, la narratrice affirme « personne, moi pas davantage qu’un autre, ne manque à quoi que ce soit » — ce qui ne peut en effet être discuté et conduit à conclure que « c’est rien qui manque », donc on ne peut que chercher rien… Etc.

   Ces considérations importent, mais ne sont pas ce qui retient d’abord. Le lecteur est plus immédiatement sensible au fait d’être emporté dans un labyrinthe de mots et d’être contraint de relire pour saisir le fonctionnement d’une rhétorique souvent subtile. Emporté aussi dans la jubilation d’une écriture qui joue sans cesse avec la syntaxe ou, parfois, avec des consonances en série : « Breloques, bibelots, babioles ! mes bibles, mes bribes, mes billes ! Mes mots, mes mottes, mes montres… » Et séduit par un lyrisme discret, quand la narratrice, à plusieurs endroits, se dédouble, alors « L’une repose sur le lit de mes jours. L’autre s’enflamme / [sur le bord de mes nuits] ».On relit plusieurs fois ce petit livre foisonnant de vie et l’on remercie Le Cadran ligné de l’avoir publié. 

Ana Tot, Méca, Le Cadran ligné, 2016, 72 p., 13 €. 

Cette recension a été publiée sur Sitaudis le 21 septembre 2016.

06/06/2016

Ghérasim Luca La Paupière philosophale : recension

                                  SCAN1224.jpg

     Un numéro de la revue Europe consacré en grande partie à Ghérasim Luca paraît en même temps que La paupière philosophale : c’est une somme sur ce poète trop méconnu et nous y reviendrons. La prière d’insérer précise que le recueil de courts poèmes publié par les éditions Corti a été écrit en 1947, la même année que Passionnément, qu’il faut relire — mais peut-on se passer de relire Le chant de la carpe, La proie s’ombre, ou d’écouter Ghérasim Luca dire Comment s’en sortir sans sortir ? Pour l’instant, nous découvrons comment l’on peut écrire à propos de pierres précieuses.

     Le livre est partagé en 10 courts ensembles, le premier non pas sur une paupière — il n’y a que des yeux ouverts sur le monde des mots —, mais amorçant la suite consacrée aux pierres, l’opale, l’onyx, le lapis-lazuli, etc. Ghérasim Luca les décrit à sa façon, en considérant que ce sont des mots : il s’agit de décomposer chaque nom et de composer d’autres mots à partir de là. ‘’Opale’’ contient le son ‘’o’’, qui peut donc prendre la forme écrite ‘’eau’’, ‘‘au’’ ; ‘’pale’’ se décompose en ‘’pal’’, ‘’al(e)’’, ‘’pa’’, ‘’p’’, et l’on peut encore ajouter ‘’op’’. Tous ces éléments phoniques ou graphiques, fragments de ‘’opale’’, sont assemblés de diverses manières de sorte que le lecteur puisse reconnaître (entendre ou lire) ‘’opale’’, ou un des éléments du nom. Ainsi dans le second poème pour cette pierre :

          L’eau palpe le poulpe
         

          Mais le hâle le pèle

     Après la reprise du mot (« L’eau pal[pe] »), Ghérasim Luca introduit une variation de la suite ‘’al’’, et ‘’pal’’ devient ‘’poul’’, puis ‘’pèl’’ — ‘’poulpe’’ apparu dan le premier poème formé d’une série avec des mots de construction ‘’p + voyelle’’. Ces manipulations aboutissent à de mini récits souvent pleins d’humour et toujours évoquant un univers étrange ; la syntaxe étant respectée, on cherche assez spontanément à savoir « ce que ça veut dire ». Ça veut dire que défaire les mots (prononcés, écrits) et en agencer les éléments dans un autre ordre, aboutit à proposer des associations insoupçonnées.

     Prenons la turquoise. Avec un principe de décomposition analogue, le mot offre ‘’tu’’, ‘’tur’’, ‘quoi’’, ‘’qu + voyelle’’, ‘’q’’, ‘’oi’’, donc ‘’oua’’, ‘’oa’’. Tous éléments à partir desquels se bâtit un poème nonsensique :

          Sur le turf oiseux d’un tutu
 / Turlututus et turluttes
  / Sont disposés en quinconce

          Trois-quarts en ouate pour les oiseaux
 / Trousse-queue en quartz pour les oasis

      Le lecteur prendra plaisir à suivre les transformations opérées avec les mots onyx, lapis-lazuli, saphir, chrysophrase, améthyste, rubis et émeraude — ce dernier contient ‘’mer’’, donc ‘’mère’’, et ‘’raude’’, d’où avec changement de consonne ‘’raube’’, et Gérasim Luca écrit alors : « Elle [= l’émeraude] est comme la mère d’une robe ». Il prendra plaisir parce que l’on entre aisément dans cet univers qui, certes, se dérobe au sens, mais s’offre généreusement à l’imaginaire de chacun.

 

Ghérasim Luca, La Paupière philosophale, Corti, 2016, 
80 p.
,14 €. Cette note de lecture a été publiée sur Sitaudis le 20 mai 2016.

 

27/08/2014

Jacques Moulin, Comme un bruit de jardin

JM1.jpg

                           Fraisier

 

On ne joue pas avec la fraise. C'est un mot d'incandescence une cavité plaine.

 

On se dit de la fraise sans s'y afficher. À peine la finale rappelle-t-elle qu'on y est. Qu'on s'y fraie en sujet. Avec bonheur au vu du zézaiement qui pousse à l'écholalie.

 

On se rêve en la fraise akène grave glissé à l'infini des braises.

 

                                *

 

S'adonner de nouveau à la fraise aller

au mot point d'avidité avoir

raison de ses bordures

 

S'en tenir aux fièvres de sa forme

— on frise encore le fruit —sans

déranger la fleur

— on apaise ses craintes abrège sa perte

 

S'ouvrir à ses fragrances

aux graines de ses fuites

quand les stolons répandent

un jardin des errances

 

Composer avec elle prendre ses aises

demeurer enfin en sujet

dans l'éclat de son temps

 

Jacques Moulin, Comme un bruit de jardin, Tarabuste, 2014, p. 17-18.

18/01/2013

Dominique Buisset, Quadratures

imgres.jpeg

On ne sort pas vivant de l'à présent

Il n'a d'autre issue qu'en lui-même sans

Après sans rien nulle postérité

Sans aucun pas de côté apaisant

Pour aller souffler hors de l'incessant

On reste cloué au poste hérité

De qui on ne sait trop si même sang

Au chaudron fait même boudin cuisant

Mais régime riche ou sage eau riz thé

On rejoint toujours la majorité

 

                        *

 

J'ai aimé : trop long errata...

qu'aurais-je bien de plus à dire ?

On ne revient plus sur ses pas.

Pas aimé. Je n'ai pas plus à dire :

Que n'ai-je trié mes émois ?

J'ai mordu à bien trop d'appas,

et, bientôt, sur elles et moi,

un édredon de terre en tas...

 

Dominique Buisset, Quadratures, postface de

Jacques Roubaud, éditions NOUS, 2010, p. 69 et 42. 

27/11/2011

Michel Leiris, Le Ruban au cou d'Olympia

Michel Leiris, le Ruban au cou d'Olympia, jeu de mots

À main droite

ma manie de manipuler,

démantibuler,

désaxer et malaxer les mots,

pour moi mamelles immémoriales,

que je tète en ahanant.

Murmure barbare, en ma Babel,

tu me tiens saoul sous ta tutelle

et, bavard balourd, je balbutie.

À main gauche, mes machins,

mes zinzins,

mes zizanies,

les soucis (chichis et chinoiseries) qui me cherchent noise,

mes singeries, momeries et moraleries.

Ô gagâchis qu'agacé j'ai sagacement jaugé et tout de go gommé,

jugeant superfétatoirement enquiquinant son chuchotis ?

Au milieu

le mal mou qui me moud,

me mord,

me lime, m'annule,

m'humilie

et que, miel amer, je mettrais méli-mélo à mille lieues mijoter,

mariner,

macérer.

N'a-t-il dit que ce monde dément demande un démenti,

le démon qui m'enmantèle, m'enmêle et me démantèle.

 

 

 

 Qu'est-ce que, pratiquement, je poursuis ?

   — La combinaison de mots, phrases, séquences, etc., que je suis seul à pouvoir bricoler et qui — dans ma vie pareille, comme toute autre, à une île où les conditions d'existence ne cessent d'empirer — serait mon vade-mecum de naufragé, me tenant lieu de tout ce qui permet à Robinson de subsister : caisse d'outils, Bible, voire Vendredi (si je dois finir dans une solitude à laquelle je n'aurai pas le cœur d'apporter le catégorique remède).

   ... Ou plutôt ce qui me fascine, c'est moins le résultat, et le secours qu'en principe j'en attends, que ce bricolage même dont le but affiché n'est tout compte fait qu'un prétexte. Au point exact où les choses en sont au-dedans comme au dehors de moi, quoi d'autre que ce hobby pourrait m'empêcher de devenir un Robinson qui, travaux nourriciers expédiés, ne ferait plus que se glisser vers le sommeil, sans même regarder la mer ?

 

Michel Leiris, Le Ruban au cou d'Olympia, Gallimard, 1981, p. 176-177 et 195.