27/05/2024
Jules Renard, Journal
J’ai vu, monsieur, sur une table de boucher, des cervelles pareilles à la vôtre.
On peut donner le ton des paysans sans faute d’orthographe.
Il y a des critiques qui ne parlent que des livres qu’on va faire.
Comme c’est vain une idée ! Sans la phrase, j’irais me coucher.
C’est une erreur commune de prendre pour des amis deux personnes qui se tutoient.
Jules Renard, Journal, Gallimard/Pléiade, 1965, p. 98, 99, 103, 103, 106.
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04/04/2022
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Les descriptions de femme ressemblent à des vitrines de bijoutier. On y voit des cheveux d’or, des yeux d’émeraude, des dents perle, des lèvres de corail. Qu’est-ce, si l’on va plus loin dans l’intime ! En amour, on pisse de l’or.
Il avait plus de cheveux blancs que de cheveux.
Un ami ressemble à un habit. Il faut le quitter avant qu’il ne soit usé. Sans cela, c’est lui qui nous quitte.
Que de gens ont voulu se suicider, et se sont contentés de déchirer leur photographie.
Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 11, 13, 15, 17.
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24/02/2021
Cioran, écartèlement
C’est une erreur de vouloir faciliter la tâche du lecteur. Il ne vous en saura pas gré. Il n’aime pas comprendre, il aime piétiner, s’enliser, il aime être puni. D’où le prestige des auteurs confus, d’où la pérennité du fatras ?
L’amitié étant incompatible avec la vérité, seul est fécond le dialogue muet avec nos ennemis.
Exister est un plagiat.
Du temps que je fumais sans arrêt, la cigarette, après une nuit blanche, avait une saveur funèbre qui me consolait de tout.
Cioran, écartèlement, Gallimard, 1979, p. 69, 74, 79, 80.
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05/02/2021
Jonathan Swift, Correspondance avec le Scriblerus Club
À Alexander Pope,
Dublin, 20 septembre 1723
(...) J’ai souvent tenté d’établir une amitié entre les hommes de génie, et j’aimerais tellement que cela soit fait. Il y en a rarement plus de trois ou quatre dans une époque, et s’ils pouvaient être unis, ils chasseraient le monde devant eux. Je pense qu’il en était ainsi entre les poètes du temps d’Auguste, mais l’envie, l’esprit de partie et l’orgueil l’ont empêché parmi nous. Je compte pour rien les subalternes, desquels on est rarement sans avoir une vaste tribu, sous les noms de poètes et d’auteurs ; ceux-là même, je suppose, que vous dites vous accommoder de voir quelquefois lorsqu’ils se trouvent être modestes ; ce qui n’était pas fréquent parmi eux quand j’étais dans le monde.
Jonathan Swift, Correspondance avec le Scriblerus Club, traduction David Bosc, Allia, 2005, p. 133.
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03/01/2021
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Il a chassé le naturel : le naturel n’est pas revenu.
Soyez tranquilles ! nous qui avons peur de la mort, nus mettrons toute notre coquetterie à bien mourir.
Vivre et juger sa vie : quel est l’homme capable des deux ?
Il n’y a pas d’amis : il y a des moments d’amitié.
À sa pièce, on lui serra la main comme pour l’enterrement d’un être cher.
Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 195, 196, 196, 197,198.
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17/12/2017
Joseph Joubert, Carnets, I
Le seul moyen d'avoir des amis, c'est de tout jeter par les fenêtres, de n'enfermer rien et de ne jamais savoir où l'on couchera le soir.
On ne devrait écrire ce qu'on sent qu'après un long repos de l'âme. Il ne faut pas s'exprimer comme on sent, mais comme on se souvient.
Enseigner, c'est apprendre deux fois.
Ceux qui n'ont à s'occuper ni de leurs plaisirs ni de leurs besoins sont à plaindre.
Les enfants veulent toujours regarder derrière les miroirs.
Aux médiocres il faut des livres médiocres.
Les uns disent bâton merdeux, les autres fagot d'épines.
L'un aime à dire ce qu'il sait, l'autre à dire ce qu'il pense.
Évitez d'acheter un livre fermé.
Ce monde me paraît un tourbillon habité par un peuple à qui la tête tourne.
Joseph Joubert, Carnets, I, textes recueillis par André Beaunier, avant-propos de J.P. Corsetti, préface de Mme A. Beaunier et A. Bellesort, Gallimard, 1994 [1938], p. 73, 79, 143, 143, 161, 165, 172, 176, 183, 183, 211.
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15/01/2017
Jacques Réda, La Tourne
Pauvreté. L'homme assiste sa solitude.
Elle le lui rend bien. Ils partagent les œufs du soir,
Le litre jamais suffisant, un peu de fromage,
Et la femme paraît avec ses beaux yeux de divorce.
Alors l'autre que cherche-t-elle encore dans les placards,
N'ayant pas même une valise ni contre un mur
La jeune amitié des larmes ? — Te voilà vieille,
Inutile avec tes mains qui ne troublent pas la poussière.
Laisse. Renonce à la surface. Espère
En la profondeur toujours indécise, dans le malheur
Coupable contre un mur et qui te parle, un soir,
Croyant parler à soi comme quand vous étiez ensemble.
Jacques Réda, La Tourne, "Le Chemin", Gallimard, 1975, p. 59.
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23/09/2016
Stefan Themerson (1910-1988), Ouah ! Ouah ! ou qui a tué Richard Wagner ?,
J’ai découvert, il y a longtemps, que je préfère les gens — je parle de mes amis — quand ils sont déprimés. Dès qu’ils deviennent ministres, dès qu’ils achètent des voitures puissantes, dès qu’ils rencontrent le succès, je m’aperçois qu’ils n’ont plus de temps à accorder à mon amitié, et la distance qui nous sépare augmente comme celle de deux vaisseaux sans gouvernail flottant à la merci des vagues ; sauf quand il leur arrive d’être déprimés. Je voyais Lampadophore dans cette vaste et puissante (bien que lente) automobile, mais je remarquais qu’il n’avait pas l’air très heureux.
— Qu’est-ce qui vous arrive, Lampadophore ? demandai-je.
Alors il me parla de sa crainte qu’un jour quelqu’un ne trouve logique de l’amputer de la jambe gauche et du bras droit.
Stefan Themerson (1910-1988), Ouah ! Ouah ! ou qui a tué Richard Wagner ?, traduit de l’anglais par J.-M . Mandosto, Allia, 2000, p. 31-32.
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28/09/2015
Takuboku Ishikawa, Ceux que l'on oublie difficilement
J’ai compté les années d’espérance
et je fixe mes doigts
je suis fatigué du voyage
Il se demandait en riant
s’il se marierait
Il n’a toujours pas pris épouse
Il m’a donné la nourriture
et je me suis retourné contre lui
que ma vie est lamentable
Le soir au moment de se séparer
à la fenêtre du wagon j’ai bâillé
de tout cela je n’ai plus que regrets
Mon ami venait m’emprunter quelques sous
il s’en retourne
les épaules couvertes de neige
Takuboku Ishikawa, Ceux que l’on oublie difficilement, traduit du japonais par Alain Gouvret, Yasuko Kudawa et Gérard Pfister, Arfuyen, 1989, p. 8, 11, 12, 17, 21.
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02/09/2014
Joseph Joubert, Carnets
Sur nos chaises européennes, l'homme paraît uniquement propre à remuer la langue comme si sa seule destination était de parler.
Le seul moyen d'avoir des amis, c'est de tout jeter par les fenêtres, de n'enfermer rien et de ne jamais savoir où l'on couchera le soir.
Il y a, me direz-vous, peu de gens assez faits pour prendre ce parti. Eh qu'ils ne se plaignent donc pas s'ils n'ont pas d'amis, ils n'en veulent pas.
Nous avons reçu le monde comme un héritage qu'il n'est permis à aucun de nous de détériorer, mais que chaque génération au contraire est obligée de laisser meilleur à sa postérité.
On n'aime qu'une fois, disent les chansons ; c'est-à-dire qu'il n'y a qu'un seul âge qui soit véritablement propre à l'amour.
[...] tout sentiment religieux est un sentiment servile et quiconque s'agenouille devant Dieu se façonne à se prosterner devant un roi.
On ne tolèrera aucune intolérance.
Joseph Joubert, Carnets, Gallimard, 1994 (1938), p. 72, 75, 91, 110, 119, 132.
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24/06/2014
Édith Boissonnas, L'embellie
Emporté
Un grand souffle et s'envolèrent les amitiés
Encombrantes, volèrent les livres suprêmes,
Tout ce qui retient et distrait fut sans pitié
Balayé en moi par un souffle de poème.
La nuit vint et je me sentais porté toujours,
La moindre brise était de plomb et combien lente.
Aucun repos où poussent, délicates plantes,
Les vanités folles, les échanges sucrés,
Que je voyais ailleurs partout et dans ma hâte
Parfois je piétinais d'un pas ivre, harassé,
Mais au couchant, de grandes ailes battent,
S'apaisent. Je me sens alors emprisonné.
Édith Boissonnas, L'embellie, Gallimard, 1966, p. 15.
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20/05/2014
Margherita Guidacci (1921-1992), En relisant Ovide
Hôte de ta maison
Hôte de ta maison dans la chambre
la plus haute, je sens tes rêves monter
du sol et s'entremêler aux miens
pour s'évanouir ensemble
en suivant la même verticale et se jeter
au milieu des étoiles. Quelle joie
de chercher alors par les deux fenêtres
(jumelles et opposées) les amitiés
célestes auxquelles tu m'initias :
contempler au nord Altaïr
et au sud Bételgeuse !
Météores d'hiver
Étoiles fugaces, dauphins du ciel,
avec vous voyage mon âme,
un bond lumineux dans les vagues
bleues de la nuit,
vers mes lointains amis désirés
qui peut-être aperçoivent le signe, et qui, pensant
avec une nostalgie pareille à la mienne
aux douces heures passées ensemble,
prient pour que nous soit donnée une nouvelle rencontre,
et déjà la prière est exaucée :
l'affection simultanée, dans le sillage de l'étoile,
nous étreint dans un embrassement immatériel.
Margherita Guidacci, En relisant Ovide, traduit de l'italien
par Iris Chionne et Pierre Présumey, dans Conférence, n° 36, printemps 2013, p. 399-400.
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20/04/2014
James Sacré, Ne sont-elles qu'images muettes et regards qu'on ne comprend pas ?
Mais parfois le sourire le pus vivant
Les deux jeunes mères navajos
Qui déjeunaient ce midi à la même table que nous
Sorte de hangar ouvert aux deux extrémités
Pour un peu de fraîcheur
Après la poussière et 38 degrés de chaleur...
Aux puces de Gallup, c'est tous les samedis
Les toujours mêmes stands je suppose, pacotille
Et choses plus ou moins utiles, chargements de bottes de foin
L'endroit pour des pneus neufs ou d'occasion,
Petites pierres de prières, peignes à tisser
Ou crottins de dinosaure pétrifiés...
Là avec chacune leur enfant, avec des rires
Façon d'être et d'éduquer les bambins
Une simplicité et franchise amicale
Le taco bientôt mangé, tout à l'heure
Elles finiront comme nous
De parcourir les deux longues allées du marché
Un pickup truck peut-être les ramènera
En quelque ferme isolée
Dans la campagne environnante ; dans l'au revoir
(Et demande aux enfants d'en dire un)
C'est l'aimable simplicité du monde
De tout le monde (la voilà qui se perd)
Qui nous est servie
[...]
James Sacré, Ne sont-elles qu'images muettes et regards qu'on ne comprend pas ?, lavis de Colette Deblé, Æncrages & Co, 2014, np.
©Photo Tristan Hordé
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12/02/2014
Joseph Joubert, Carnets, I
Le seul moyen d'avoir des amis, c'est de tout jeter par les fenêtres, de n'enfermer rien et de ne jamais savoir où l'on couchera le soir.
On ne devrait écrire ce qu'on sent qu'après un long repos de l'âme. Il ne faut pas s'exprimer comme on sent, mais comme on se souvient.
Enseigner, c'est apprendre deux fois.
Ceux qui n'ont à s'occuper ni de leurs plaisirs ni de leurs besoins sont à plaindre.
Les enfants veulent toujours regarder derrière les miroirs.
Aux médiocres il faut des livres médiocres.
Les uns disent bâton merdeux, les autres fagot d'épines.
L'un aime à dire ce qu'il sait, l'autre à dire ce qu'il pense.
Évitez d'acheter un livre fermé.
Ce monde me paraît un tourbillon habité par un peuple à qui la tête tourne.
Joseph Joubert, Carnets, I, textes recueillis par André Beaunier, avant-propos de J.P. Corsetti, préface de Mme A. Beaunier et A. Bellesort, Gallimard, 1994 [1938], p. 73, 79, 143, 143, 161, 165, 172, 176, 183, 183, 211.
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15/04/2013
Jules Renard, Journal
Éloge funèbre. La moitié de ça lui aurait suffi de son vivant.
On se fait des ennemis. Avait-on des amis ?
Le monde serait heureux s'il était renversé.
Un homme qui aurait absolument nette la vision du néant se tuerait tout de suite.
À considérer les appétits bourgeois, je me sens capable de me passer de tout.
Je ne tiens pas plus à la qualité qu'à la quantité des lecteurs.
Les hommes naissent égaux. Dès le lendemain, ils ne le sont plus.
Écrire pour quelqu'un, c'est comme écrire à quelqu'un : on se croit tout de suite obligé de mentir.
Il faut vivre pour écrire, et non pas écrire pour vivre.
Mon ignorance et l'aveu de mon ignorance, voilà le plus clair de mon originalité.
Jules Renard, Journal, texte établi par Léon Guichard et Gilbert Sigaux, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1965, p. 1094, 1114, 1118, 1119, 1124, 1128, 1132, 1151, 1164
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