25/08/2016
Lisa Robertson, Le temps
Vendredi
Vendredi
Nous nous reposons sur la cité ou de l’eau et des formes simulées dans un beau soir après les averses le ciel plein de spécimens de formes bizarres. Cette image présente le commencement d’une brume du soir. Nous nous reposons sur des événements violents ou des enchaînements d’incidents ou d’onguents de maquillage de pollen l’ornement mobile après le fait est entré montrant tapageur vigoureux et humide. De la partie du ciel une masse nuageuse. Nous nous reposons sur le spectacle chtonien prodigieux ou sur l’imbroglio satisfaisant dans l’inachèvement comme dans les brumes basses et rampantes. L’image est après les averses. Elle signifie célèbre éclatant et beau. Dans une belle soirée d’été. Tacite. Après les averses. […]
Lisa Robertson, Le temps, traduction de l’anglais (Canada) par Éric Suchère, NOUS, 2016, p. 52.
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24/08/2016
Marie de Quatrebarbes, La vie moins une minute
Café de la paix. Ici, tout va bien
le goût de rien, l’épée rentrée dans le thorax
j’ai la lèpre. Mais si, je vous jure : j’ai la lèpre
au point du jour, à point fermé le dimanche
je dors sous l’étendard, fait chaud là-dessous
Mon sommeil me murmure
« les mots sont importants »
on en discute avec les morts
jusqu’ici, tout va bien
Qu’es-ce que vous prendrez Mademoiselle ?
la nature est docile
cette façon délicate d’être soi-même
attentive aux gestes du détail
Je vis en rythmes économes
compte et recompte les boutons tombés du peignoir
j’ai été cette petite fille solitaire
la garder encore un peu près de moi
être pour elle la porte ouverte du château
enfermer ma jeunesse dans son cœur
une fois si vieille, peut-être
les retrouvailles rebattues
elles commencent ici pour nous
Marie de Quatrebarbes, La vie moins une minute,
Lanskine, 2014, p. 64.
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23/08/2016
Antonin Artaud, L'arbre
L’arbre
Cet arbre et son frémissement
forêt sombre d’appels,
de cris,
mange le cœur obscur de la nuit.
Vinaigre et lait, le ciel, la mer,
la masse épaisse du firmament,
tout conspire à ce tremblement,
qui gîte au cœur épais de l’ombre.
Un cœur qui crève, un astre dur
Qui se dédouble et fuse au ciel,
Le ciel limpide qui se fend
A l’appel du soleil sonnant,
Font le même bruit, font le même bruit,
Que la nuit et l’arbre au centre du vent.
Antonin Artaud, Œuvres complètes, I, *,
Gallimard, 1976, p. 254.
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22/08/2016
Ana Tot, Méca
qu’ils crèvent les artistes. Qu’ils crèvent les poètes. Que crèvent toutes les confréries, les confraternités, les corps abstraits et les conglomérats. Qu’ils crèvent comme crèvent les autres, les sans–étiquette, les animaux, les chiens, les hommes, les femmes, les corps, la chair, les plaisirs et les joies. Il n’y a pas de raisons, je n’en vois aucune, pour que les catégories survivent aux catégorisés, les voix aux sans voix, les grades aux sans grade, tous crevards, chacun perdant son souffle dans la déliquescence de ses tuyauteries, éponges, pompes, fibres et robinetteries propres. Qu’ils crèvent les égos, tous égos ! réunis, confits dans leurs conflits, dans leurs affinités subies. Que vivent les singularités irréductibles, les accidentés, les infirmités, les moignons sans but, les ulcères désintéressés, les tumeurs et les tares. Que crèvent les idées, les sottises, l’Intelligence et l’Esprit, les Lettres, l’Art, le Sport et la Poésie. Qu’ils crèvent. […] Que crève ce programme, si c’en est un, qu’il crève puisqu’il en est, qu’il crève avant d’être dit, avant d’être et d’avoir été, qu’il succombe sur place, qu’il pourrisse sur pied, qu’il crève dans l’œuf, il a fait son temps, il a vécu, qu’il crève, qu’il crève, qu’il
(crève)
Ana Tot, Méca, Le Cadran ligné, 2016, p. 68-69.
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21/08/2016
Michel de M'Uzan, Les chiens des rois
Le cerf-volant
Les hommes se sont écartés, ils parlent et se frappent les mains, s’interpellent et se répondent. Ils sont nombreux, ils ne voient pas l’enfant blond, tout seul sur la plage. Le cerf-volant est parti, l’enfant est resté. Le fil s’est brisé, l’enfant a tendu les bras. Le cerf-volant était blanc avec une croix jaune au milieu, il montait et personne ne bougeait. L’enfant criait, il voyait encore la tache claire qui fuyait, très haut dans le ciel, au-dessus des arbres, de la terre et de la mer. Le cerf-volant est parti et l’enfant s’est couché sur le sable mouillé. Les hommes se sont avancés et ne se sont pas arrêtés. Ils ont dépassé les pleurs, ils marchaient et le bruit des voix et des pas s’est mêlé au crissement de dix doigts sur le sable. Un vent froid a soufflé, l’enfant s’est levé et des mots étrangers lui sont montés aux lèvres.
Michel de M’Uzan, Les chiens des rois, collections Métamorphoses, Gallimard, 1954, p. 138-139.
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20/08/2016
Roger Giroux, Lieu-Je
Il serait tellement plus facile de parler, de ne pas dire que je parle, de taire à la parole ses origines, son absence d’ici, de la laisser dans l’ignorance de ce lieu dont je parle, sachant qu’il n’y a rien à en savoir. Sachant que l’ignorance a quelque chose à voir avec lui (voir ?) mais je ne sais pas ce que c’est. Sachant que je ne sais pas de quoi je parle. Ne sachant pas cela. Mais il n’est plus possible de parler sachant cela. Et, ne le sachant pas je parle.
Roger Giroux, Lieu-Je, Éric Pesty éditeur, 2016, p. 15.
Lieu-Je, avait été publié avec Lettre (réédité également par Éric Pesty) en 1979, au Mercure de France, les deux textes réunis sous le titre L’arbre le temps.
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19/08/2016
James Sacré, Écrire à côté
Un restaurant dans Paris
Ce 3 décembre 1988
Les peupliers ne sont plus qu’un peu de gris léger
Sur la pierre ensoleillée des immeubles, quai d’Orléans
Quai de Bourbon. On voit maintenant mieux
Les taches de bleu que font les portes cochères dans les arcatures d’anciennes demeures.
On y a découpé des portes plus petites, avec au-dessus une ou deux fenêtres, même un balcon.
Une couleur d’un bleu comme ouvrier qui a
Un air de dimanche matin dans ce début d’après-midi. Plus loin
Voilà le restaurant du pont Louis-Philippe son blan cassé,
Ses tables enchaînées devant, et quelque chose d’endormi
Dans tout son intérieur : de l’indifférence ou comme une attente apaisée
Pendant que s’écrit
Ce 3 décembre léger dans les peupliers de Paris.
James Sacré, , dans Affaires d’écriture (2000), Tarabuste, 2016, p. 99.
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18/08/2016
Louis Wolfson, Le Schizo et les Langues
Malgré toutes les déclarations solennelles d’amour pour lui, malgré toutes les affirmations de bonne volonté, d’empressement de faire tout pour lui, lesquelles déclarations et affirmations lui ayant été faites, en effet enfoncées dans la tête, par sa mère si fréquemment et d’aussi loin qu’il pût s’en souvenir, malgré ses énonciations réitératives, à elle, que tous ces sentiments et de tels étaient les seules raisons pour tous ses actes envers lui, le schizophrène pense que la conduite récente de sa mère envers lui, et surtout la conduite verbale, fournit une forte preuve d’une indifférence fondamentale, sinon une vraie antipathie, pour lui.
En effet, le psychotique se réjouit quelquefois d’être venu à cette conclusion, d’avoir passé son temps à faire ces études des langues, lesquelles études l’y auront mené sans même qu’il eût préalablement pensé à une telle éventualité, et cela même s’il est irrémédiablement en train de devenir sourd, du moins partiellement, par suite de son emploi excessif, presque constant, et abusif, et durant plus d’une année, des écouteurs de sa radio à transistors bon marché, et bien entendu les ayant employés le plus souvent tous les deux à la fois.
Quoique sa mère l’eût fréquemment averti que les écouteurs le feraient sourd et avant même qu’il ne s’en rendît compte, elle persistait à crier souvent, presque toujours en anglais, à des temps imprévisibles, parfois sans cesse, semblait-il, durant plus d’une heure, et sachant bien la réaction très probable de son fils schizophrénique, trop maigre et peut-être manquant fréquemment de la force, de l’énergie, ou du moins trop paresseux, de se tenir chaque oreille bouchée d’un doigt : à savoir de faire très haut, assourdissant le volume des petits écouteurs que, à cette époque, il maintenait, tous les deux, presque toujours enfoncés dans les orifices externes des organes auditifs.
Louis Wolfson, Le Schizo et les Langues, Gallimard, Connaissance de l’inconscient, 1970, p. 244.
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17/08/2016
Philippe Beck, Chants populaires
Concours
Paresse est bête !
Qui va sur quel terrain ?
Quelle terre relative ?
Terre est pas d’adieu souvent.
Père lance un concours d’inaction.
Qui est la bête
parmi des enfants immobiles ?
Il fixe des commençants.
(Dans la constance irritable.)
Amour est l’entraîneur.
Père passe la main.
Il faut le palmarès
pour continuer ?
Dans le semble.
Au prix de passivité intime.
Une propriété
au fils immobile.
À l’Indifférent Apparent.
Impassible est le fusible
pour continuer ?
Ou bien le passionné à part ?
Ici, paresse est fille d’impassibilité.
Mère Fixe est fusible infini.
Un enfant pleut l’insomnie.
Elle est obstacle infini.
C’est bien.
L’autre est un homme à l’arrêt,
chien inutile,
si les habits sont en feu.
Est-ce un homme d’arrêt ?
Où est la battue ?
Le dernier laisse la corde
serrer,
les bras comme des branches
de saule posé dans les rayons.
À l’office fermé.
Il gagne le concours inventé
par un homme tendu.
Le P. Premier.
Il est allé loin dans l’idée.
Dernier a paressé avec intensité.
Loin dans l’idée
du terrain d’Éternité Limitée.
Maison cimente
les noms défunts de la continuité.
L’enfant qui est un arbre
de pierre
est l’héritier.
Fils Minéral
est une idée de la propriété
Éternité.
Qui a du temps particulier.
Sous le champ manque la plage d’or.
Propriétaire Passif
imprime
des pages de paix antipathique.
D’après « Les trois paresseux »
Philippe Beck, Chants populaires,
Poésie / Flammarion, 2007, p. 134-135.
"Chaque poème ou chant populaire s'inspire ici d'un conte "noté" par les Grimm" (Avertissement, p. 7)
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16/08/2016
Pierre Reverdy, Sable mouvant
Il faut donc se décider à dire que la poésie n’est intelligible à l’esprit et sensible au cœur que sous la forme d’une certaine combinaison de mots, en quoi elle se concrète, se précise, se fixe et assure une réalité particulière qui la rend incomparable à toute autre. Je dis une certaine combinaison de mots à dessein, parce que, en effet, si dans la forme arbre on est toujours sûr de trouver la matière bois, dans la forme sonnet, par exemple, on est beaucoup moins sûr de trouver, à tout, coup, son compte de substance poétique. Un sonnet peut être absolument parfait de forme sans que la moindre parcelle de poésie y soit incluse. À l’assemblage de mots que je laisse pour l’instant libre, la qualité, la richesse de la matière donneront la forme qui, si peu orthodoxe qu’elle apparaisse, sera — et je n’oublie pas les objections qu’on ne manquera pas de me faire — toujours préférable à celle pré-établie, dans laquelle on aurait coulé une substance pauvre et sans vertu.
Pierre Reverdy, Soleil mouvant, édition E.-A. Hubert, Poésie / Gallimard, 2003, p. 114.
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15/08/2016
Hölderlin, Hypérion, Fragment Thalia
Fragment Thalia
Il est pour l’homme deux états idéaux : l’extrême simplicité où, par le seul fait de l’organisation naturelle, sans que nous y soyons pour rien, nos besoins se trouvent en accord avec eux-mêmes, avec nos forces et l’ensemble de nos relations, et l’extrême culture, où le même résultat est atteint, les besoins et les forces étant infiniment plus grands et plus complexes, grâce à l’organisation que nous sommes en mesure de nous donner. L’orbite excentrique que l’homme (l’espèce aussi bien que l’individu) parcourt d’un point à l’autre, c’est-à-dire de la simplicité plus ou moins pure à la culture plus ou moins accomplie, paraît être toujours identique à elle-même, du moins dans ses directions essentielles.
Les lettres, dont ce qui suit n’est qu’un extrait, se proposent de décrire quelques-unes de ces directions, ainsi que les corrections dont elles sont susceptibles.
Le rêve de l’homme est à la fois d’être en tout et au-dessus de tout, et la sentence que l’on peut lire sur la tombe de Loyola : « Non coerciti maximum, contineri tamen a minimo »(1), peut aussi bien définir ce dangereux penchant à tout convoiter et à tout dominer que le pus haut et le plus bel état que l’homme puisse atteindre. Laquelle de ces deux interprétations choisir, c’est à la libre volonté de chacun d’en décider.
Hölderlin, Hypérion, Fragment Thalia, dans Œuvres, sous la direction de Philippe Jaccottet, Pléiade / Gallimard, 1967, p. 113 ; traduction P. Jaccottet.
- "Ne pas être limité par le plus grand et n'en tenir pas moins dans les limites du plus petit
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14/08/2016
Antoine Emaz, Planche : recension
Après un relevé des emplois du mot ’’erre’’ (« mot que j’aime bien »), le livre s’achève sue « Erres : titre pour un recueil de notes ? ». À quelques exceptions près, Antoine Emaz choisit un seul mot pour titrer ses recueils de poèmes ou, comme celui-ci, de notes. ’’Planche’’, en dehors de la mise à plat, évoque le lien — du navire au quai —, et tout autant ce qui sauve (sens ancien de ’’planche’’ repris par ’’planche de salut’’). Ces sens conviennent pour approcher ce livre qui écarte, d’une certaine manière, un « blocage », celui de l’écriture de poèmes. Le poème ne s’écrit pas quand on le voudrait ; quand il survient c’est « comme si la vie / la langue étaient poreuses, porteuses l’une et l’autre d’une vérité simple. »
Il est beaucoup question de poésie dans Planche. D’abord parce qu’Antoine Emaz lit ses contemporains et commente plus ou moins longuement la manière dont il reçoit Jacques Ancet, James Sacré, Mary-Laure Zoss, Valérie Rouzeau, Ariane Dreyfus, Jean-Pascal Dubost, Jacques Josse, Nicolas Pesquès, etc. (on pourrait établir une chronologie des notes à partir des dates des recueils lus). Une place particulière est réservée à Jaccottet, à propos de son anthologie L’encre serait de l’ombre ; la qualité de la langue est reconnue, mais regrettée l’absence de tout nom de poète né après 1930, comme si la poésie avait alors cessé d’exister. Surtout, est vivement rejetée sa « morale de l’irresponsabilité » à laquelle est opposée celle de Camus : il ne faut jamais cesser de lutter — de se tenir debout, écrit Emaz —, or Jaccottet « semble ne rien voir des forces collectives en lutte pour écrire telle ou telle histoire ». C’est que l’écrit n’est pas à l’écart de la vie, de l’histoire.
Pour Emaz, le poème est toujours liée au vécu, à une circonstance biographique ou historique ; non qu’il pourrait être représentation de la vie, mais parce que doit être restituée « la densité humaine d’une expérience de vie » (le mot « expérience » revient souvent dans ces notes), c’est-à-dire ce qui donne du sens. Pour cela, il est nécessaire de bousculer la langue : ce n’est jamais l’émotion qui prime, il faut ajuster, retrancher, raboter pour ne pas rester dans l’immédiat. Dans une note, Emaz fait un éloge de la lenteur : c’est le « temps de l’usure et du renouvellement nécessaires pour laisser advenir en soi l’imprévu, le nouveau, sans forcément violence et rupture, plutôt évolution, maturation jusqu’à ce que s’impose ce qui doit être. » Ce primat du sens, de l’humain a pour corollaire le rejet du formalisme contemporain, la langue n’est pas neutre et écrire un poème ne consiste pas à « s’amuser avec un logiciel ». C’est toujours la vie vivante qui devrait primer dans la poésie (que l’on se reporte aux noms retenus ci-dessus), sans pour autant qu’un des thèmes de prédilection du lyrisme, l’amour, soit présent chez Emaz et il s’en explique : « Sauf au début et à la fin peut-être, aimer quelqu’un est bien trop compliqué pour que ça puisse entrer dans un poème. »
Antoine Emaz revient à plusieurs endroits sur la différence entre la note et le journal — lisant d’ailleurs le journal de Pierre Bergounioux publié sous le titre Carnet de notes… Pour lui, la datation tout comme la présence du sujet caractériserait le journal, alors que la note, « plus élastique », ne serait pas liée au quotidien. Genre attrape tout : il n’y a pas en effet que des remarques à propos de la poésie, des livres lus ou écrits ; on trouve un paragraphe sur le changement d’une nappe, sur le rangement de la bibliothèque, sur l’enfance et le jardin selon les saisons, on lit un titre possible (« ce qui ne se tait pas »), etc. La distinction entre journal et note tiendrait peut-être dans le fait que « la note doit valoir assez en soi mais elle tient aussi par les autres. »
Antoine Emaz publie aussi bien des ensembles de notes que des recueils de poèmes, poursuivant ainsi une longue tradition, de Baudelaire à Reverdy et du Bouchet pour retenir les écrivains auxquels il renvoie. On entre ainsi dans l’atelier où s’écrivent dans le désordre du carnet quelques lignes sur le rythme, puis quelques mots à propos de Gracq ; un portrait se construit, d’un homme ferme dans ses convictions et toujours dans la questionnement parce que sa poésie « opère le plus souvent dans le dur à vivre. »
Antoine Emaz, Planche, éditions Rehauts, 2016, 136 p., 16 €.
Cette recension a été publiée sur Sitaudis le 23 juillet 2016.
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13/08/2016
Anna Glazova, Expérience du rêve
choses dont on a besoin
nées du besoin
autrement dit faim et froid,
ni se décomposant ni s’amaigrissant.
besoin dont est tissée la limite rugueuse du monde
choses importantes — signifiant
impondérables comme la lumière
et distinguer ce qui signifie
et ce que tu signifies
n’est pas nécessaire
mais il importe
que les signes discriminent
taillent
lumière entière autant qu’obscurité.
Anna Glazova, Expérience du rêve, traduit du russe
par Julia Holter et Jean-Claude Pinson, joca seria,
2015, p. 69.
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12/08/2016
Claude Dourguin, Points de feu
Bien sûr, le seul « monde meilleur », celui où nous sommes heureux sans limite jamais imposée, noud accomplissons, c’est celui de l’art. Ce qui était pressentiment dans la jeunesse, horizon tentateur sinon promis, devient au fil de la vie, une certitude, la seule consolation, le seul destin qui vaille. À condition, cependant, que le flux des jours ne le déserte pas, qu’il soit irrigué par le monde d’ici, ne se sépare pas du terreau de la vie.
L’inacceptable, ce serait le monde désenchanté – n‘être plus surpris, ému, heureux sans raison face à l’arbre qui s’étire tout seul dans le champ vaste, face au liseré de neige qui hisse les montagnes au ciel, au bruit de la fontaine au seuil de la nuit, quand parvient soudain aux narines l’odeur de feu d’une cheminée, celle des coings mûrs aux abords de la haie ; à seulement marcher et voir se poursuivre le chemin là-bas de l’autre côté de la vallée.
Claude Dourguin, Points de feu, Corti, 2016, p. 37, 57.
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11/08/2016
Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, cinq
Écrire : la même chose sauf l'instant,
la même force spontanée moins la surprise
plus celle d'une seule fois les mots ensemble
il n'y a pas de sursis dans la prairie, ni en prose
pas de jaune sans herbe exacte
ni transport
conjointement, la colline se raréfie
la couleur durcit sa cruauté adjective
le même iceberg sous les jupes de la phrase
...
dans le bois de genêts, il y eut
la fuite du très aigu et du très affluent
ce mélange de vie parfaite et de silence actif
j'en invente la mémoire avec la même stupeur
le même jaune excellent
sur cette terre où abonde le palpable et le vertigineux,
verbe est le grand désirant
l'animiste
hameçonneur de jouissance, de morsures
constater en quoi le jaune des genêts est semblable à
celui-ci
en ce moment de marbre
en cette gravure d'amour
avec ses définitions à même l'écorce
austères, techniques,
et tellement chaudes à vivre
là où ça bruisse, sur la pente connectée
où la citronnade rétracte
[...]
Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, cinq,
André Dimanche, 2008, p. 131-132.
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