01/02/2017
Alberto Giacometti, Écrits
(...) Je suis certain de faire ce que je n’ai jamais fait encore et qui va rendre périmé ce que j’ai fait en sculpture jusqu’à hier soir ou jusqu’à ce matin. J’ai travaillé à cette sculpture jusqu’à 8 heures ce matin, je travaille maintenant : même si ce n’est encore rien du tout, pour moi elle est avancée sur ce qu’elle était, et une fois pour toutes. Ça ne revient jamais en arrière, plus jamais je ne ferai ce que j’ai fait hier soir. C’est la longue marche. Alors tout devient une espèce de délire exaltant pour moi. Exactement comme l’aventure la plus extraordinaire : je partirais sur un bateau dans des pays jamais vus et rencontrerais des îles et des habitants de plus en plus inattendus, que cela me ferait exactement cet effet-là.
Cette aventure, je la vis bel et bien. Alors, qu’il y ait un résultat ou non, qu’est-ce que vous voulez que ça fasse ? Qu’à l’exposition il y ait des choses réussies ou ratées, ça m’est indifférent. Comme c’est raté de toute manière pour moi, je trouverais normal que les autres ne regardent même pas. Je n’ai rien à demander, sinon de continuer éperdument.
Alberto Giacometti, Écrits, présentés par Miche Leiris et Jacques Dupin, Hermann, 1990, p. 268.
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29/05/2016
Alberto Giacometti, Écrits
Enfant, j’avais plutôt l’envie d’illustrer des histoires. Et puis, assez vite, j’ai commencé à dessiner d’après nature, et j’avais l’impression que je dominais tellement mon affaire que je faisais exactement ce que je voulais. J’étais d’une prétention, à dix ans… Je m’admirais, j’avais l’impression de pouvoir tout faire, avec ce moyen formidable : le dessin ; que je pouvais dessiner n’importe quoi, que je voyais clair comme personne. Et j’avais commencé à faire de la sculpture vers 14 ans, un petit buste. Et là aussi cela marchait ! J’avais l’impression qu’entre ma vision et la possibilité de faire, il n’y avait aucune difficulté. Je dominai ma vision, c’était le paradis et cela a duré jusque vers 18-19 ans, où j’ai eu l’impression que je ne savais plus rien faire du tout ! Cela s’est dégradé peu à peu… La réalité me fuyait. Avant je croyais voit très clairement les choses, une espèce d’intimité avec le tout, avec l’univers.. Et puis tout d’un coup, il devient étranger. Vous êtes vous et il y a l’univers dehors, qui devient très exactement obscur… J’essayais de faire mon portrait d’après nature, et j’étais conscient que ce que je voyais, il était totalement impossible de le mettre sur une toile. Laligne — je me rappelle très bien — la ligne qui va de l’oreille au menton, j’ai compris que jamais je ne pourrais copier cela tel que je le vyais, que c’était du domaine pour moi de l’impossibilité absolue. S’acharner dessus, c’ »était absurde, c’en était fini à tout jamais de toute possibilité de copier, même très sommairement, ce que je voyais.
Alberto Giacometti, Écrits, Hermann, 1990, p. 261.
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