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13/09/2023

Tristan Tzara, Où boivent les loups

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il y a des heures, blanches épreuves

qu’engloutissent les maudites

sur le fente irréductible

d’un espoir trop plein

 

il y a tant de sens  à l’aube qui sombrent

 

qu’il n’y ait qu’une aube de ce monde

seule et qu’elle ne fut que l’ombre

d’une raison parée de mille méduses

de ses clairs éclats  ou des cendres

revivront les souffles oubliés

dans une aube nouvellement débordante

de vérités dures de pierres dures

 

et les aubes écrasées dans l’invisible sang

en laine au regard du fer jaloux

d’une croissance si pesante si grave

que le jour ne résiste au sourire avançant

dans la chaleur des mortifications où brûle encore

la constance du verre et se rue et se délasse

le tourment hideux de la vague à voir sans repos

 

Tristan Tzara, Où boivent les loups, dans Œuvres compères, 2,

1925-1933, éditions Henri Béhar, Flammarion, 1977, p. 233.

26/09/2020

Julien Bosc, Le verso des miroirs

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je sortis à l’heure des  chouettes et cortèges

où une lune orange tout à portée de main

à moi sans lieu un chien mourant ouvrit un chemin vers des rives

et s’étende à mes côtés sur des racines émergées

témoins savants des cécités et des noyades

 

à l’aube

contre la dépouille du chien

un jeune cheval couvert de gui

or sur le tain étoilé deux nénuphars éclos

l’un blanc l’autre diaphane

 

Julien Bosc, Le verso des miroirs, Atelier de

Villemonge, 2018, p. 5.

Photo Chantal Tanet, août 2017

11/02/2017

Esther Tellermann, Éternité à coudre

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C’est assez

soir désormais

       s’incline

dans l’orage lorsque

l’un l’autre

voulions

         Jérusalem.

Fournaise jusqu’aux

portes où s’inventent

les lettres

         de l’autre côté

qui vient et comble

le même ?

Je voulais que

           nous habillent

les aubes

nager jusques

bords

 

Esther Tellermann, Éternité

à coudre, éditions Unes, 2016, np.

07/12/2016

Jean Genet, Un chant d'amour

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                       Un chant d’amour

 

Berger descends du ciel où dorment tes brebis !

(Au chevet d’un berger bel Hiver je te livre)

Sous mon haleine encor si ton sexe est de givre

Aurore le défait de ce fragile habit.

 

Est-il question d’aimer au lever du soleil ?

Leurs chants dorment encor dans le gosier des pâtres.

Écartons nos rideaux sur ce décor de marbre ;

Ton visage ahuri saupoudré de sommeil.

 

Ô ta grâce m’accable et je tourne de l’œil

Beau navire habillé pour la noce des Îles

Et du soir. Haute vergue ! Insulte difficile

Ô mon continent noir ma robe de grand deuil !

 

[…]

 

Jean Genet, Le condamné à mort, l’enfant criminel,

[…], L’Arbalète, 1966, p. 81.

03/10/2016

Isabelle Baladine Howald, fantômes

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je — court à la mort

 

(devancer sans fin la scène des adieux, je —

court devant — les mains et les bras tendus ouverts

pour / contre)

 

Je ne veux pas que le jour commence je ne veux pas

que le jour finisse   à chaque mort je   pense

   non pas pensée   mais   épreuve de l’aube et du soir

 

Relever relever

Ne pas s’en relever. Mais relever : survivons comme /

les deux extrêmes

 

Isabelle Baladine Howald, hantômes, isabelle sauvage,

2016, p. 12.

 

 

20/05/2015

Eugenio Montale, La tourmente et autres poèmes

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                        Jour et nuit

 

Même une plume en volant peut dessiner

ta silhouette, ou le rayon qui joue à cache-cache

entre les meubles, répercuté du toit

par un miroir d’enfant. Sur le pourtour des murs

des traînées de vapeur allongent l’aiguille

des peupliers ; en bas sur le perchoir s’ébroue le perroquet

du rémouleur. Puis la nuit étouffante

sur la place, le bruit des pas, et toujours cette dure fatigue,

sombrer pour resurgir semblable

depuis des siècle, ou des instants, de cauchemars qui ne peuvent

retrouver la lumière de tes yeux dans l’antre

incandescent — les mêmes cris encore, les mêmes pleurs

sur la terrasse

si retentit le coup soudain qui te rougit     

la gorge et brise l’aile, ô téméraire

annonciatrice d’aubes,

et que s’éveillent cloîtres et hôpitaux

au son lacérant des trompettes

 

                                                       (traduction Louise Herlin)

 

Eugenio Montale, La tourmente et autres poèmes, Poésies III, Gallimard,

1966, p. 33.

03/02/2015

Marie Cosnay, Le Fils de Judith

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   Un enfant rêve de baleines remorquées jusqu’au dépeçage, de voiles tendues dans l’aube qui n’a pas lieu tant elle est lente, remorquée elle aussi venue des profondeurs et dans les profondeurs c’est la fin brutale des choses, un souffle froid ou chaud, un courant qui empoigne le cœur puis le lâche dans prévenir. L’enfant ne ferme jamais les yeux. Helen somnole, dans une moitié de rêve l’enfant a tous les âges, il devient celui qu’il n’est pas, un frère, elle ne sait pas qui est le frère qu’usurpe le vieil enfant, le frère a quatre-vingt dix ans dit le rêve, il a un vieux visage sage mais imberbe, ridé ou fripé de naître, il faut le prendre sous son aile, frère vieux ou naissant. Elle essaie de parler à l’enfant mais il reste sourd, collé à le vitre du train qui file sous un ciel opaque, cloué, pendant quelques minutes elle rencontre la fin du monde, la fin du monde traîne derrière elle une vieille carcasse sans désirs, les désirs dans cette fin du monde on les connaît : ils ne sont que des souvenirs, des ex-poussées d’énergie, de vieux enthousiasmes dont on ne sait plus les ressorts.

 

Marie Cosnay, Le Fils de Judith, Cheyne, 2014, p. 22.

28/11/2014

Thanassis Hatzopoulos, Cellule

                         

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                           Homme

 

 

Réfléchi

Alliant force et mesure

Il avance

 

Et cette tourmente qui balaie

Son esprit,

mémoire du corps

Mémoire de ce monde-ci

Non point de l'autre

 

La rage qui éclate, partagée,

Tourne de fatales catastrophes

En destins féconds

                   

                        Ce qu'on nomme l'aube

 

— Mais quelle donc cette violence

Qui fait poindre la lumière ?

 

Il s'interrogea lui-même et se coucha sur le côté

Puis sous l'éclat du soleil

Harassé de sa longue veille

Il s'endormit

 

Thanassis Hatzopoulos, Cellule, Traduit du grec Par Alexandre Zotos, en collaboration avec Louis Martinez, préface de Jean-Yves Masson, édition bilingue, Cheyne, 2012, p. 25, 121.

10/10/2014

Dylan Thomas, Poèmes, traduction Patrick Reumaux

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La lumière point là où le soleil ne brille pas

 

La lumière point là où le soleil ne brille pas.

Là où la mer ne s'étend pas, les eaux du cœur

Épandent leurs marées,

Et, spectres brisés, des vers luisants plein la tête,

Les choses de lumière

Passent à travers la chair là où la chair n'habille pas les os.

 

Une chandelle dans les cuisses

Échauffe la jeunesse et la graine et brûle la graine de la vie.

Là où la graine ne lève pas

Le fruit de l'homme s'ouvre dans les étoiles

Brillant comme une figue.

Là où la cire n'est pas, la chandelle montre ses cheveux.

 

L'aube point derrière les yeux.

Des pôles du crâne et de l'orteil, le sang venteux

Glisse comme une mer.

Ni clôturées, ni jalonnées, les giclées du ciel

Fusent à la verge

Révélant dans un sourire l'huile des larmes.

 

La nuit dans les orbites arrondit

Comme une lune de poix la limite des globes.

Le jour éclaire l'os.

Là où le froid n'est pas, la morsure des vents fait tomber les   épingles

Qui retiennent les robes de l'hiver.

La taie du printemps pend au bord des paupières.

 

La lumière point sur des lots secrets

Sur des crêtes de pensées où les pensées sentent dans la pluie.

Quand meurent toutes les logiques

Le secret de la glèbe pousse à travers l'œil

Et le sang saute dans le soleil.

Au-dessus des lopins incultes l'aube fait halte.

 

Dylan Thomas, Poèmes, traduction Patrick Reumaux, dans

Œuvres, I, édition établie par Monique Nathan et Denis Roche,

Seuil, 1970, p. 368-369.

06/08/2014

Pierre Loti, Reflets sur la sombre route

 

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                                         Aubades

 

[...] Persiennes closes, pour que n'entre pas tout de suite dans ma chambre la lumière radieuse, vitres grandes ouvertes pour laisser passer les souffles tièdes venus de la mer.

   Durant cette courte nuit, le silence s'est fait autour de ma maison isolée. Mais, à présent que pointe l'aube rose, les bruits du matin sont commencés, bruits de village et bruits de campagne, que j'ai d'abord vaguement perçus dans un demi-sommeil ; aubade lointaine des coqs ; départ de quelque pêcheur pour le large ; grincements cadencés d'avirons et chanson d'Espagne, qui passent en bas sur la rivière.

   À peine les lueurs viennent de naître ; mes yeux indécis ne distinguent encore, des objets coutumiers qui m'entourent, que les masses et les ombres : silhouettes confuses des meubles, grands carrés blanchissants des fenêtres.

   Et tout près de ma tête, tout près, tinte un petit bruit régulier, rapide, monotone, le tic-tac grêle d'une montre, qui est là pendue et qui se dépêche, qui se dépêche, comme enfiévrée par la fuite du temps qu'elle voudrait suivre. Vite, vite, il court, le temps de la vie ; c'est ce qu'elle dit d'abord, à mon triste réveil, la toute petite machine qui, sans trêve, tourne ses roues minuscules. Vite, vite, tout se précipite, les secondes, les minutes, les heures.... Illusion, l'immobilité et le silence ; une même course folle emporte les jours et les ans, la terre et les mondes, un même tourbillon les entraîne et les use...

 

Pierre Loti, Reflets sur la sombre route, Calmann Lévy, 1899, p. 159-161.

04/07/2013

Armand Robin, Le temps qu'il fait,

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                         Chevaux Oiseaux

 

[...]

   Les oiseaux se réveillent tous ensemble ; ils se hâtent de tout regarder, se pressent aux vitres du ciel avec mille bruits de cristal : leur bec est près de leur oreille, près de leurs yeux ; ils chantent dès qu'ils voient :

— À chaque aube ordinaire les seigneurs chevaux, Treithir devant, Treitkam derrière, au moment de sortir de leur écurie d'ombre, font tomber de leur tête les quelques brindilles de nuit qui veulent s'y fixer encore. Leurs pâturages de rosée et de gel déjà frémissent sur eux ; leur croupe humide étincelle ; dédaignant à demi l'aube triop basse, ils s'élèvent bientôt plus haut, s'acheminent bien plus loin que tout soleil naissant. Ils vont l'amble comme les cimes d'arbres où nous, milliers et milliers de moineaux, voguons et chancelons, ivres du vin des vents intarissables.

— De leur royaume d'au-delà l'horizon ils ne reviennent qu'au soir tombé, avec cet ait qu'ils prennent tous de ne connaître nul voyage. L'ombre déjà croulante abrite leur regard. Ces grands jaloux du ciel ne lèvent qu'à regret la tête, ne regardent pas les oiseaux et moi, martinet, martinet, ils me dédaignent plus que tout autre. Quand je me pose sur leur croupe, je me sens grand puissant posé ; je leur pardonne, je les chante.

 

 

Armand Robin, Le temps qu'il fait, L'imaginaire /Gallimard, 1986 [1941], p. 103-104.