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11/04/2019

Valérie Rouzeau, Neige rien

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Manœuvres

 

À l’étroit les trois huit

Virés salaires de rien

Micheline Michelin

Paradis pour demain

 

Allez toi va-t’en vite

Micheline Michelin

On te remercie bien

 

Valérie Rouzeau, Neige rien, dans

Pas revoir suivi de N r, La petite

Vermillon, 2010, p. 104. 

26/07/2018

Valérie Rouzeau, Quand je me deux

 

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Trente-six chandelles

 

De quoi donc les rêves sont-ils faits

Quelqu’un m’a-t-il toujours aimée

Ai-je jamais aimé bien quelqu’un

Une fois deux fois trois moins quatre rien

 

J’ai le vin gai et l’âme assez

Mais tanguer ça n’est pas facile

Élégamment trente-six chandelles

Pourtant elle tourne ce fut dit clair

 

La tête en valse qui rit envourne

Combien de tours encore combien

Encore une danse drôle de musette

Avec du soleil à ma fête

 

Aux ailes du nez qui vend la mèche

Quoi souffle nos flammes notre ivresse

Ne sens-tu passer quelque chose

Qu’on délabre amour candélabre

 

Ton œil de poisson mort éteint

 

Valérie Rouzeau, Quand je me deux, Le temps qu’il fait,

2009, p. 80.

07/03/2018

Valérie Rouzeau, Quand je me deux

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                         Carotte

 

C’est toto biographique l’âne dans essentiellement

Ça dit je parce que c’est ainsi quand tu parles

Que longtemps tut ‘es couché de bonne heure longtemps

Tu es le ténébreux le veuf l’inconsolé

Tu inventas la couleur des voyelles l’i rouge

Et tu penses donc tu es et puis voici ton cœur

 

Plein de larmes il ne faut pas secouer

Tu accuses dans l(Aurore tu as fait un grand rêve

Très haut amour s’il se peut que tu meures

Toi délaissé comme le vent te révèle

Tu devras t’expliquer avec les étoiles oui

Tes oreilles elles sont bien à toi

 

Puis tes chiffres ne sont pas faux

Tu écrivais dans un grenier où la neige…

Demain dès l’aube demain tu partiras

Tu te souviens

Tu entendis sonner les trompettes d’artillerie

Tu commences ton très triste dit

 

Pour avancer sans potager je me tire

La carotte ce sont les vers du nez

C’est toto biographique l’âne dans l’enraciné

Pissent mes feuilles ne pas trop faner

 

Valérie Rouzeau, Quand je me deux, Le temps qu’il fait, 2009, p. 92-93.

 

 

Annonce d'une revue amie

            

                                                      La Revue Nu(e)


 

Fondée par Béatrice Bonhomme et Hervé Bosio en 1994, la revue NU(e) a publié 66 numéros sur la poésie contemporaine. Chaque numéro, véritable dossier de recherche consacré à un poète particulier, comprend un entretien, des textes de création inédits, des articles critiques, des interventions plastiques et une bibliographie exhaustive. La couverture de la revue a été dessinée par la plasticienne Sonia Guerin.

 
La revue NU(e) frappe d’abord par ses couleurs (le bleu de la méditerranée qui s’est ensuite décliné dans les couleurs de l’arc-en-ciel) et par son titre qui marque une volonté d'aller vers la nudité, le dénuement, le dépouillement. Le (e) permet aussi de souligner la présence trop souvent négligée de la femme dans la poésie contemporaine. NU(e) est également l'anagramme de une, à la fois singularité et convergence. C’est ainsi que NU(e) défend une parole de liberté contre toute caste, cénacle, chapelle, obédience, mot d'ordre. Elle refuse de limiter la poésie à des débats dépassés. NU(e) veut lutter contre le sectarisme pour accueillir la différence, les diversités. Elle voudrait faire entendre une polyphonie plutôt qu'une polyphobie, des résultats d'écriture plutôt que des diktats théoriques, des chocs de styles plutôt qu'un ton unanime. NU(e) est parole laissée aux « mineurs » et minoritaires de la poésie, mais inversement occasion, pour les « grands auteurs », de s’exprimer en confiance. La revue a ainsi créé un style qui permet, d’un numéro à l’autre, au fur et à mesure, de faire apparaître un véritable panorama de la poésie contemporaine, et cela sans exclusion, dans un souci de partage. Elle recueille ainsi des approches différentes qu’elle fait se croiser, se rencontrer, se mêler, se tutoyer, passant d’une voix à l’autre, dans une volonté de décloisonnement. Son rôle d’ouverture permet qu’elle soit présente dans une relation à d’autres cultures et à d’autres langues. Elle est donc un lieu de fertilité, un lieu d’expérimentation, un lieu de découverte, et participe à la lisibilité d’auteurs connus ou non.

Accordant également une place importante aux arts plastiques et travaillant en collaboration avec des peintres, des graveurs ou des photographes, NU(e) possède une vocation de découverte et joue le rôle d’un laboratoire. Elle constitue un lieu d’artisanat et d’amitié, au sens où l’entend Blanchot, c’est-à-dire « rapport sans dépendance » où entre « toute la simplicité de la vie ». Cette amitié passe par la « reconnaissance de l’étrangeté commune », selon « le mouvement de l’entente ». S’en remettant à Kenneth White : « Éduquez-vous en nudité. Orphée était nu sur une pierre », NU(e) souhaite marquer sa volonté d’aller vers la nudité, vers l’essentiel, tout en privilégiant une sobriété exigeante.

 

Après 24 ans de publication papier, la revue souhaite passer au numérique pour être encore plus accessible en proposant gratuitement les nouveaux numéros qui paraîtront désormais en ligne. Florence Trocmé, ayant accepté de l’accueillir  sur son site, NU(e) continuera, sous cette nouvelle forme à paraître 3 fois par an.

La liste des anciens numéros, ainsi que tous les sommaires et quelques extraits, resteront accessibles sur le site de la revue NU(e) : revue-nue.org. Les numéros papier toujours disponibles  pourront être commandés sur paypal ou par courrier à l’adresse de la Revue, 29 avenue Primerose, Nice 06000.

02/12/2017

Valérie Rouzeau, Va où

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Il faut m’arracher allumer d’une autre étoile de chance pas bêcheuse

Quitter ce jardin de palabres où pour un peu me serais crue sans savoir

     ni quand ni comment ni bien quoi semer à tout vent

Croquemorte de moi-même quelle idée ici je rends mon tablier mon  

     houx ma haie ma mauvaise pioche

Je m’en vais trouver de la vie par tous les temps

Cela commence à présent je change lalalère change d’air là

 

Valérie Rouzeau, Va où, Le temps qu’il fait, 2002, p. 85.  

 

21/10/2017

Valérie Rouzeau, Vrouz

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Je vous visiterai mes amis inconnus

Au sol dans les nuages je ne vous louperai

Aussi sûr que j’aurai dans ma chaussure

Un petit gravillon pour m’agacer le pied

Une plume collée sous ma semelle aussi

Un mégot antérieur long rêve de fumée

Ou crottin de cheval herbe mal essuyée

Réminiscence douce et dormante douce

Mes amis inconnus je m’assoirai dessus

Vivre seul cœur de marbre

Dur et pur come un chêne

J’ôterai de mon soulier le caillou blanc

Et je vous chanterai une chanson mince

À l’intérieur tout noir de moi

 

Valérie Rouzeau, Vrouz, La Table Ronde,

2012, p. 90.

10/02/2017

Sylvia Plath, Arbres d'hiver

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             Arbres d’hiver

 

Les lavis bleus de l’aube se diluent doucement.

Posé sur son buvard de brume

Chaque arbre est un dessin d’herbier —

Mémoire accroissant cercle à cercle

Une série d’alliances.

 

Purs de clabaudages et d’avortements,

Plus vrais que des femmes,

Ils sont de semaison si simple !

Frôlant les souffles déliés

Mais plongeant profond dans l’histoire —

 

Et longés d’ailes, ouverts à l’au-delà.

En cela pareils à Léda.

Ô mère des feuillages, mère de la douceur

Qui sont ces vierges de pitié ?

Des ombres de ramiers usant leur berceuse inutile.

 

Sylvia Plath, Arbres d’hiver, précédé de La Traversée,

traduction Françoise Morvan et Valérie Rouzeau,

Poésie / Gallimard, 1999, p. 175.

 

 

 

30/06/2016

Christian Bachelin, Neige exterminatrice

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Grince une tôle un tuyau hurle

Immémorialement mystère et solitude

Sur les palissades stagne le sang étrange

Une ortie blanche obsède la pâleur du temps

 

Descente d’Eurydice au tombeau écarlate

En hiver sous la haute neige de misère

Dans le brouillard d’angoisse erre la mort tzigane

Chevelure dénouée au gouffre des mansardes

 

Seriez-vous morte ou prise d’un autre silence

Mémoire de l’enfance hibernante mémoire

Comme une ombre en allée de moi-même et menant

Son destin parallèle en des châteaux d’absence

 

Dans le pli des rideaux neige la solitude

Schizophrénie et brumes des contrées occultes

À contre jour vivant des présages du ciel

S’enchante la misère à la fenêtre abstraite

 

Christian Bachelin, Neige exterminatrice, Poésies 1967-2003,

Préface de Valérie Rouzeau, Le temps qu’il fait, 2004, p. 94.

 

25/05/2015

Sylvia Plath, Arbres d'hiver, précédé de La Traversée

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                     Premières heures

 

Vide, je renvoie l’écho du moindre bruit de pas,

Musée sans statues, grandiose avec ses piliers, portiques, rotondes.

Dans ma cour jaillit et puis retombe une fontaine

Au cœur de nonne, aveugle au monde. Des lys de marbre

Exhalent leur pâleur comme du parfum .

 

Je m’imagine avec un vaste public,

Mère d’une blanche Nikê et de plusieurs Apollon aux yeux nus.

À la place, les morts me blessent de leurs attentions, et il ne peut   [rien arriver.

Comme une infirmière muette et sans expression, la lune

Pose une main sur mon front.

 

Sylvia Plath, La Traversée, dans Arbres d’hiver, traductionFrançoise Morvan, précédé de La Traversée, traduction Valérie Rouzeau, Poésie / Gallimard, 1999, p. 119.

18/01/2015

Sylvia Plath, Arbres d’hiver, précédé de La Traversée

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                      Mort-nés

 

 

Ces poèmes ne vivent pas : c’est un triste diagnostic.

Ils ont pourtant bien poussé leurs doigts et leurs orteils,

Leur petit front bombé par la concentration.

 S’il ne leur a pas été donné d’aller et venir comme des humains

Ce ne fut pas du tout faute d’amour maternel.

 

Ô je ne peux comprendre ce qui leur est arrivé !

Rien ne leur manque, ils sont correctement constitués.
Ils se tiennent si sagement dans le liquide formique !

Ils sourient, sourient, sourient, sourient de moi.

Et pourtant les poumons ne veulent pas se remplir ni le cœur s’animer.

 

Ils ne sont pas des porcs, ils ne sont pas même des poissons,

Bien qu’ils aient un air de porc et de poisson —

Ce serait mieux s’ils étaient vivants, et ils l’étaient.

Mais ils sont morts, et leur mère presque morte d’affolement,

Et ils écarquillent bêtement les yeux , et ne parlent pas d’elle.

 

 

Sylvia Plath, Arbres d’hiver, précédé de La Traversée, édition bilingue,

présentation de Sylvie Doizelet, traduction de Françoise Morvan et Valérie Rouzeau, Poésie/Gallimard, 1999, p. 89.

                   

 

 

 

 

 

16/01/2014

Valérie Rouzeau, Neige rien

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                 Conf

 

Lorsque vous relirez Tacite lorsque vous relirez

(Si on lisait d'abord si on lisait)

Nul n'ignore comme chacun sait

Nous ne reviendrons pas sur le célèbre chapitrou

(Si on venait déjà pour commencer)

Que tout le monde connaît

 

                         *

 

                Manœuvres

 

À l'étroit les trois huit

Virés salaires de rien

Micheline Michelin

Paradis pour demain

 

Allez toi va-t-en vite

virée ç'a l'air de rien

Micheline Michelin

On te remercie bien

 

Valérie Rouzeau, Neige rien dans Pas revoir

suivi de Neige rien, La Table ronde, 2010,

p. 103-104.

24/01/2013

Valérie Rouzeau, Quand je me deux

Valérie Rouzeau, Quand je me deux, Répétition, solitude

             Répétition

 

On ne connaît pas le cœur des gens

Il est tant mal visible que parfois

On cogne dedans

Quelle misère de prendre le train

Quand au bout il n'y a personne rien

On ne sait pas l'avis des anges

Non plus que des moulins à eau

On se sert un grand verre de vent

De source de pluie des yeux

On ignore comment vivre comme eux

On se sert un grand verre de vin

Dans une maison avec enfants avenir chien

Le quai fait des bruits de chaussures

Le quai fait des bruits de valises à roulettes et des

      bruits d'avant

Le quai est vide vide vide on bute dans l'air

Pardon messieurs dames j'ai cru à un nuage

Vous êtes innombrables qui ne m'êtes personne

Je suis innombrable et comme vous presque rien

Prenons donc un pot amical au lieu d'un pot au noir

       d'un mauvais coup

On ne connaît pas d'autre cœur dans le noir que le

        nôtre et encore

Ni dans le jour non plus alors à la bonne vôtre

Et nous débarquerons sous le soleil battant.

 

Valérie Rouzeau, Quand je me deux, Le temps qu'il fait,

2009, p. 45-46.

09/10/2012

Valérie Rouzeau, Va où

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Des heures de nuit des heures de jour je fais mon temps je                 pointe quoi passe

Poèmes à la chaîne j'avance bien j'oublierai peut-être au bout tout

Si je détache mieux mes syllabes de mon sentiment dans le   vide si je tiens le rythme d'enfer

M'évertue à poursuivre juste sans sauter une seule ligne de    chance j'oublierai peut-être au bout tout

Tellement tout sera loin au bout après des saisons de peine   lourde mon boulet sous des tas de feuilles

 

                                                    *

 

Me mets en quarantaine pour faire mes lignes quoi d'autre

Me dégourdis les doigts sentiment sur la touche tac tac tac   suis toquée

Me ressemble à l'index toc toc toc suis frappée

Ça peut durer longtemps de pianoter toujours et de taper     jamais

Si je perdais mon temps il me ferait ce coup-là de me  retrouver

 

Valérie Rouzeau,  Va où, Le temps qu'il fait, 2002, p. 23 et 59.

04/10/2012

Sylvia Plath, Ariel, traduction Valérie Rouzeau

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                                      Tu es

 

Le plus heureux des clowns sur les mains,

Les pieds dans les étoiles, le crâne rond comme la lune,

Avec tes ouïes de poisson dans l'eau. Averti du bon sens

Du dodo, l'enfant do,

Enroulé sur toi-même telle une pelote de laine.

Occupé à tirer à toi la nuit comme le hibou..

Muet comme un topinambour du quatre juillet

Au premier avril,

Oh mon glorieux, mon petit pain.

 

Flou comme la brume, guetté comme un colis,

Et pus lointain que l'Australie.

Notre Atlas au dos courbé, notre crevette voyageuse.

Un bourgeon douillet à son aise

Come un hareng dans son bocal.

Nerveux come une fièvre sauteuse.

L'évidence telle une addition juste.

Une ardoise nette, avec ton visage dessus.

 

Sylvia Plath Ariel, Présentation et traduction de Valérie

Rouzeau, Poésie / Gallimard, 2009, p. 70.

         

12/08/2012

Sylvia Plath, Arbres d’hiver, précédé de La Traversée

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                                    Mort-nés

 

Ces poèmes ne vivent pas : c’est un triste diagnostic.

Ils ont pourtant bien poussé leurs doigts et leurs orteils,

Leur petit front bombé par la concentration.

S’il ne leur a pas été donné d’aller et venir comme des humains

Ce ne fut pas du tout faute d’amour maternel.

 

Ô je ne peux comprendre ce qui leur est arrivé !

Rien ne leur manque, ils sont correctement constitués.

Ils se tiennent si sagement dans le liquide formique !

Ils sourient, sourient, sourient, sourient de moi.

Et pourtant les poumons ne veulent pas se remplir ni le cœur s’animer.

 

Ils ne sont pas des porcs, ils ne sont pas même des poissons,

Bien qu’ils aient un air de porc et de poisson —

Ce serait mieux s’ils étaient vivants, et ils l’étaient.

Mais ils sont morts, et leur mère presque morte d’affolement,

Et ils écarquillent bêtement les yeux , et ne parlent pas d’elle.

 

 

                                             Stillborn

 

These poems do not live : it’s a sad diagnosis.

They grew their toes and fingers well enough,

Their little foreheads bulged with cincentration.

If they missed out on walking about like people

It wasn’t for any lack of mother-love.

 

O I cannot understand what happened to them !

They are proper in shape and number and every part.

They sit so nicely in the pickling fluid !

They smile and smile and smile and smile at me.

And still the lungs won’t fill and the heat won’t start.

 

They are not pigs, they are not even fish,

Though they have a piggy and a fishy air —

It would be better if they were alive, and that’s what they were.

But they are dead, and their mother near dead with distraction.

And their stupidly stare, and do not speak of her.

 

Sylvia Plath, Arbres d’hiver, précédé de La Traversée, édition

bilingue, présentation de Sylvie Doizelet, Traductions de

Françoise Morvan et Valérie Rouzeau, Poésie/Gallimard,

1999, p. 88 ( texte anglais)-89.

23/05/2012

Valérie Rouzeau, Vrouz (lecture)

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Humour et mélancolie

 

 

    Valérie Rouzeau mentionne à la fin du livre, dans la première des 57 notes, que le titre Vrouz a été forgé par Jacques Bonnaffé, et elle ajoute : « ça vrouze quand même autrement mieux que “autoportraits sonnés avec ou sans moi” » (p. 163). Sans doute, et pour ces poèmes — des sonnets (“sonnés” — “sonnet” se rattache, indirectement, à “sonner”) —, le titre Vrouz, contenant l’initiale du prénom (V) et la première syllabe du patronyme (Rouz), est providentiel, il permet d’établir une distance par rapport à l’autoportrait.

 

    Le choix du sonnet tel qu’il est pratiqué est une autre manière de s’éloigner d’un lyrisme facile autour du “je” — « je est un hôte d’on ne sait qui ni quoi » (p. 140). Quel sonnet ? La forme du sonnet classique français de Ronsard ou de Malherbe, ou du sonnet anglais, a été revisitée depuis longtemps, et Valérie Rouzeau s’inscrit dans cette tradition de refonte : dans Vrouz, 14 vers d’un bloc, comme ils étaient d’ailleurs présentés à la Renaissance, ce qui n’empêche pas de délimiter souvent dans Vrouz deux quatrains et deux tercets. Avec l’élision, ou non, du [e] devant consonne, on compte l’hexasyllabe, l’octosyllabe, etc., l’alexandrin, et parfois le compte déborde jusqu’à 15, parfois les vers de dimension différente se mêlent. Ici (p. 44), le premier et le dernier vers se terminent par “poisson” et les vers 5 à 8 riment en -on (nourrisson / vont / irritation / chanson) ; la question de la rime apporte une rime : « [...] Au moins plus le pétiole / Qui rime avec parole » (p. 127). Un poème s’attarde sur ce que sont les rimes avec un développement parallèle entre les 14 vers du sonnet et « quatorze kilos à perdre » : après 6 rimes en -ant (ou -ent), une septième clôt le sonnet : « Ma complainte par trop pondérale / Avec ses sept moches rimes en ã » (p. 102). Le lecteur découvrira à foison des rimes internes dans ces 151 sonnets.

 

    On repère assez vite des liens thématiques entre deux ou trois sonnets successifs, signe d’une volonté de construction. L’un commence par « Dire façon marabout sans rien prédire du tout » (p. 112), renvoi au sonnet précédent où le(s) dernier(s) mot(s) d’un vers commence(nt) le suivant ; un autre se termine par la mention d’une possible pendaison, le suivant s’ouvre sur une pendaison réelle (pp. 85 et 86). De même au vers 14 du sonnet 108 (p. 118) : des « vitesses à passer » et, poème suivant, sur la mort du père : « Le temps ne passait plus ni la blanquette de veau / Lorsque mon père a quitté des vaches le plancher » ; cet usage polysémique d’un mot pour lier les sonnets est régulièrement mis en œuvre : “craché / cracher” (pp. 144-145), “patate / patates” (pp. 146 et 147), etc., ou la liaison s’effectue par un lien sémantique clair : “pompe à vélo” / “pédale” (pp. 138 et 139).

 

    À la forte unité formelle s’ajoute le jeu avec les mots dans ses multiples aspects, toujours inventif, souvent inattendu, révélant malicieusement ce qui est tu ou non vu ; au hasard : “Jeune €urope” (p. 35), “club merde et cetera” à la Gainsbarre (p. 27), etc. C’est un réjouissant ensemble, avec l’à-peu-près (“violon dingue”), l’homophonie (« Please please enter votre pin votre pine s’il vous plaît / Votre épine [...] », p. 39, “tentatives de tante hâtive”, p. 82), l’approximation (« Signes d’humilité peut-être / D’humidité assurément », p. 46, “érections présidentielles”, p. 75), le mot-valise (“évapeurée”, p. 18), la répétition, l’onomatopée, le recours à des désignations obsolètes (“sent-bon”, en pincer pour quelqu’un).

 

    Mais que faire sonner, comme on disait à la Renaissance ? Valérie Rouzeau est dans le monde yeux ouverts et les jeux du langage ne sont pas là pour se moquer de ceux qu’elle rencontre dans la vie de tous les jours, mais plutôt pour exprimer une tendresse un peu désabusée. Ce qu’elle refuse, ce sont les portables et la prétendue communication, la consommation sans frein de cet « âge d’enfer » (p. 147), les hommes d’affaires toujours sûrs d’eux, avec « le bouquet’s / L’enfer du gratiné / On nous a pas sonnés / Temps compté rolex bling » (p. 37) ; bref : elle est « moderne sans fil et non / Actuelle plutôt crever » (p. 41). À noter les thèmes abordés, on s’aperçoit que la réalité de chacun est là, les petits boulots — Valérie Rouzeau a vendu des encyclopédies en faisant du porte à porte, par exemple —, ce que l’on voit dans la rue (la vieille avec sa canne, l’enfant qui boîte), le repas à préparer, le Malien qui n’a pas assez d’argent pour s’acheter une mangue, l’essayage d’un chapeau, la neige... Bribes d’une vie aussi, avec les souvenirs d’enfance, le médiocre logement et son matelas à punaises, l’examen au labo, la difficulté croissante à animer des ateliers dans les écoles (« Ces heures dedans les classes / Me pompent mon énergie / Mon désir et ma sève », p. 127).

 

    Il y a dans ces évocations, à côté d’un ton amusé ou critique, une émotion lisible, notamment dans les deux poèmes à propos d’Arlette [Albert-Birot] ou dans celui à propos du cher “Ténébros” (Christian Bachelin), à qui est dédié Vrouz. La mélancolie, Valérie Rouzeau l’exprime toujours discrètement, par exemple quand elle écrit sa relation au lecteur (« Et je vous chanterai une chanson mince / À l’intérieur tout noir de moi », p. 90). Ces moments de retour sur soi sont plutôt rares — « Ma vie j’en parle à peine ou je la brode » (p. 75) — et, puisque lyrisme il y a, celui-ci passe par le jeu avec les mots, par le bousculement de la syntaxe, par « la poétique fonction du langage », par un art du retournement constant.

 

    Les notes en fin de volume, dans le même ton que les sonnets, rappellent au lecteur que le poème s’inscrit dans une tradition. Un sonnet à propos d’un crayon arrivé à sa fin — on lui met pour cela « Le beau Requiem de Mozart » — est remplacé et donc, pour ce nouveau, « Commence son exercitation » (p. 71) : une note donne le sens du mot et renvoie aux Essais de Montaigne. Les autres notes énumèrent avec verve des références  : noms d’écrivains (Desnos, Bachelin, Tardieu, Rimbaud, Sylvia Plath — qu’elle a traduit —, etc.), de chanteurs, de personnages de théâtre, titres de films, formulaires de santé, slogans sur des camions. Cela foisonne et le lecteur curieux repèrera d’autres allusions, comme ces carrolliens « Lapins sans leur montre à gousset ».

 

    Valérie Rouzeau prend, transforme, intègre dans son écriture, faisant sien ce qu’elle lit, voit, écoute. Ce livre bouillonnant de vie s’achève par une parodie des adresses au lecteur : le voyage est terminé, « Avant de descendre assurez-vous / de ne rien t’oublier [...] / Nous vous remercions de votre incompréhension » (p. 161). On sait que le chef de train ajoute à l’arrivée : “nous espérons vous revoir”, etc. Sans doute, et il suffit de lire le vers d’ouverture du premier poème, portrait à charge de son auteur, pour s’en convaincre, « Bonne qu’à ça ou rien ».

 

Valérie Rouzeau, Vrouz, La Table Ronde, 2012, 176 p., 16 €.

Cette recension a d'abord été publiée dans Terres de femmes, la revue numérique d'Angèle Paoli.