09/03/2023
John Donne, Le Chaos dans 14 vers
C’est la scène finale de ma pièce ; ici
Les choix fixent l’ultime borne du chemin ;
Ma course, oisive mais brève, a ses dernier pas,
Dernier pouce à mon empan, dernières secondes ;
La mort gloutonne va tout de suite disjoindre
Mon âme de mon corps, je vais dormir un temps ;
Mais ma part éveillée pourra voir ce visage
Dont la peur déjà secoue toutes mes jointures.
Puis, mon âme au ciel, son premier siège, s’envole,
Et mon corps, né de terre en la terre retourne ;
Que tombent mes péchés, tous obtenant leur dû,
Où ils sont nés et m’auraient pressé : en enfer.
Faisant de moi un juste, ainsi purgé du mal :
Car je quitte ce monde, la chair, le démon.
John Donne, dans Le Chaos dans 14 vers, anthologie bilingue
du sonnet anglais composée et traduite par Pierre Vinclair,
lurlure, 2023, p. 61.
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14/04/2020
Louise Labé, Œuvres, Sonnets
Sonnet VII
On voit mourir toute chose animée,
Lors que du corps l'âme futile part :
Je suis le corps, toi la meilleure part ;
Ou es tu donc, dame vie aimée ?
Ne délaissez pas si longtemps pamée
Pour me sauver après viendrais trop tard,
Las, ne mets point ton corps en ce hazard ;
Rens lui sa part & moitié estimée.
Mais fais, Ami, que ne sois dangereuse
Cette rencontre & revue amoureuse,
L'accompagnant, non de severite,
Non de rigueur : mais de grâce amiable,
Qui doucement me rende sa beauté,
Jadis cruelle, a present favorable.
Louise Labé, Œuvres, Slatkine, 1981, p. 114.
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19/12/2019
Claude Chambard, le chemin vers la cabane
j’ai scruté le ciel
à la recherche des nuages de pluie
une chauve-souris a traversé la pénombre
les constellations de l’été apparaissaient lentement
le chien a frotté son museau contre ma main
il n’y avait pas un bruit dans la maison
Grandpère disait que ce sont les fantômes
qui font grincer les planchers & les armoires
c’est sans doute pourquoi
je n’aime ni les maisons ni les meubles neufs
j’ai besoin de l’âme des anciens
ils ne me racontent pas leurs histoires
non mais ils me disent que je ne suis pas
seulement un rebut
& que nous avons besoin les uns des autres
pour comprendre un peu
ce que devient la vie
(un fil)
Claude Chambard, le chemin vers la cabane, Le bleu
du ciel, 2008, p. 23.
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11/07/2019
Fernando Pessoa, Le violon enchanté
35 sonnets, I
Jamais nous n’avons d’apparence, que nous parlions
Ou que nous écrivions ; sauf quand nous regardons. Ce
que nous sommes
Ne peut passer dans un livre ou un mot.
Infiniment notre âme est loin de nous.
Et quelque forte soit la volonté que nos pensées
Soient notre âme, en imitent le geste,
Nous ne pouvons jamais communiquer nos cœurs.
Nous sommes méconnus dans ce que nous montrons.
Aucune habileté de la pensée, aucune ruse des semblants
Ne peut franchir l’abîme entre deux âmes.
Nous sommes de nous-mêmes un abrégé, quand
nous voudrions
Clamer notre être à notre pensée.
Nous sommes les rêves des lueurs de nos âmes,
Et l’un l’autre des rêves les rêves des autres.
Fernando Pessoa, Le violon enchanté, traduction des sonnets
Olivier Amiel, Christian Bourgois, 1992, p. 295.
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01/10/2018
Albert Cohen, Carnets, 1978
Lorsque je me couche sur ma droite et que je ferme les yeux pour m’endormir, j’ai peur de ma mort et je suis scandalisé. Je n’accepte pas de perdre mes yeux qui étaient une partie de mon âme. Mon âme n’est pas un impalpable ectoplasme à gogos. Mon âme, c’est moi. Ce n’est pas de la philosophie, cette filandreuse toile d’araignée toute de tromperies, mais une grenue et indestructible petite vérité tout à fait vraie. Oui, tout ce que vous voudrez, dites tout ce que vous voudrez, mais ma petite vérité est bon teint. Mon âme, c’est mon corps et non un magique souffle. Or, je n’accepte pas de ne plus bouger, moi dont la main droite en cette minute studieusement bouge. Je n’accepte pas que moi qui suis ne soit plus, et bientôt plus. Quelle aventure que ce mobile que je suis soit bientôt immobile et de toute éternité.
Albert Cohen, Carnets, 1978, Gallimard, 1979, p. 89.
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12/02/2017
Jean Tardieu, Accents
Couple en marche
— Les doigts doublés d’un souvenir d’argile
En mouvement sous le désir des mains ;
— La dent qu’agace une grêle de grains
Mots inconnus aux lèvres malhabiles ;
— Sur l’œil goulu demi-jointes paupières
Fixant la ligne où l’élan se résout ;
— L’ouïe attentive à l’intime tonnerre
Mineur du ciel et du sol coup par coup ;
— Proche tempête, éclaire (que seuls redoutent
Les regards froids, riche orage inventé
Par l’enchanteur à tâtons sur une route
Et tout fumant de lente volonté ;
— Le pas, qu’un contre temps voisin balance,
— Le corps, hanté d’un corps qui l’accomplit,
— Et l’âme, — gerbe, — escalade, — puissance,
En équilibre au versant de la nuit.
Jean Tardieu, Accents, Gallimard, 1939, p. 34.
***
L’association des amis du peintre Gilbert Pastor entre dans sa deuxième année.
Le site internet progresse : http://gilbert-pastor.blogspot.fr <http://gilbert-pastor.blogspot.fr/>
nous espérons qu’il vous intéressera ; n’hésitez pas à envoyer vos remarques et propositions à : jp.sintive@wanadoo.fr
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18/01/2017
T. S. Eliot, La terre vaine
Les hommes creux
(Un penny pour le vieux Guy)
I
Nous sommes les hommes creux
Les hommes empaillés
Cherchant appui ensemble
La caboche pleine de bourre. Hélas !
Nos voix desséchées, quand
Nous chuchotons ensemble
Sont sourdes, sont inanes
Comme le souffle du vent parmi le chaume sec
Comme le trottis des rats sur les tessons brisés
Dans notre cave sèche.
Silhouette sans forme, ombre décolorée,
Geste sans mouvement, force paralysée ;
Ceux qui s’en furent,
Le regard droit, vers l’autre royaume de la mort
Gardent mémoire de nous — s’ils en gardent — non pas
Comme de violentes âmes perdues, mais seulement
Comme d’hommes creux
D’hommes empaillés.
T. S. Eliot, La terre vaine, dans Poésie, traduction Pierre
Leyris, Seuil, 1969, p. 107.
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