11/01/2017
William Blake, Esquisses poétiques
Chanson de folie
Les vents sauvages pleurent,
La nuit est glacée ;
Viens, ici, Sommeil,
Et dévoile mes chagrins.
Mais voici le point du jour
Dans les hauteurs de l'Orient
Et les oiseaux frémissants de l'aube
S'envolent loin de la terre
Voyez, jusqu'au zénith
De la voûte céleste,
Chargés de douleurs,
Mes accents sont portés ;
Ils frappent l'oreille de le anuit,
Et font couler les larmes du jour ;
Ils font rugir les vents en folie
Et se jouent avec la tempête.
Comme un démon dans la nue
Hurlant de douleur
Suivant la nuit je me hâte
Et avec la nuit je m'en irai
Me détournant de l'Orient
D'où nous est venue consolation,
Car la lumière frappe mon âme
D'un indicible mal.
Mad song
The wild winds weep,
And the night is a-cold ;
Come hither, Sleep,
And my grifs unfold :
But Io ! the morning peeps
Over the eastern steeps,
And the rustling birds of dawn
The earth do scorn.
Lo ! to the vault
Of paved heaven,
With sorrow fraught
My notes are driven :
They strike the ear of Night,
Make weep ths eyes of day ;
They make mad te roaring winds,
And with tempests palay.
Like a fiend in a cloud
With owling woe,
After night I do croud,
And with night will go ;
I turn my back to the east
From whence comforts have increas'd ;
For light doth seize my brain
With frantic pain.
William Blake, Esquisses poétiques, dans Poèmes,
traduction et préface L Cazamian, Aubier-Flammarion,
1968, p. 99 et 98.
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10/01/2017
James Sacré, Cappuccino brioche au Belvedere Bar à Montalcino
Si j’étais peintre et doué pour le dessin
En quelques traits et taches de couleur
J’aurais là sur le papier ce qu’on voit de la campagne par le fond vitré du café :
Au pied des dernières maisons avant la chute en presque falaise
Toits de tuiles qui se distinguent mal de la pierre et briques des murs…
J’aurais là sur mon papier le silence ou l’esprit de Montalcino.
Paysage toscan sans trop de cyprès (il n’y en a pas
Dans les fresques de Lorenzetti à Sienne,
Ou de Signorelli Monte Olivero Maggiore) :
La très large étendue de campagne s’ouvre au loin
Jusqu’à sa remontée vers des Crêtes perdues dans le gris d’aujourd’hui
Taches de verts, et d’autres couleurs de terre
À peine soulignées d’arbres et de buissons.
Je dessine quoi avec des mots ? Et quel rapport
Entre le rythme de mes vers et celui des lignes
Qui tiennent le paysage et l’ouvrent dans l’infini ?
James Sacré, Cappuccino brioche au Belvedere Bar à Montalcino, Faï fioc, 2016.
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09/01/2017
Bernard Noël, Monologue du nous
Monologue du nous
… Nous avons perdu nos illusions, et chacun de nous se croit fortifié par cette perte, fortifié dans sa relation avec les autres. Nous savons cependant que nous y avons égaré quelque chose car la buée des illusions nous était plus utile que leur décomposition. Nous oublions ce gain de lucidité dans son exercice même. Nous n’en avons pas moins de mal à mettre plus de raison que de sentiment dans notre action. Nous aurions dû depuis longtemps donner sa place au durable, mais la séduction s’est toujours révélée plus immédiatement efficace. Nous avions toutes els raisons de penser grâce à notre époque qu’un approbation, si elle est massive, ne peut qu’assurer l’avenir. Nous avons vite déchanté sans comprendre d’abord qu’il n’en va pas de l’engagement collectif comme du commerce, et que les lois de ce dernier ne provoquent que des excitations éphémères.
Bernard Noël, Monologue du nous, dans La Comédie intime, Œuvres iv, P.O.L, 2015, p. 383.
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08/01/2017
Denis Thouard, Pourquoi ce poète ? Le Celan des philosophes
Poétique, philosophie, politique : les trois s’enchaînent, et enchaînés, libèrent. Les bonnes et les mauvaises recettes sont là depuis longtemps.
Une société très sélective, qui pourrait être une secte littéraire, aussi bien qu’une communauté politique, d’abord. Lucien, auteur grec du IIe siècle de notre ère, né en Syrie, rapporte la proposition de décret que Momus présente à Jupiter pour limiter les nouveaux arrivants de cette assemblée : les dieux qui ne pourront faire la preuve de leur citoyenneté olympienne « seront renvoyés en leur pays, leurs autels profanés et leurs statues renversées, et s’ils s’ingèrent à l’avenir d’entrer dans le Ciel, ou sont trouvés sur le chemin, ils seront précipités dans les Enfers ! » Le rejet est ici sans ménagements. Une société se constitue par la clôture. Elle s’autosacralise en expulsant l’autre hors de soi. Pour faire la preuve de sa bonne foi, ou à tout le moins de papiers en règle, il faut un bon avocat.
[…]
Denis Thouard, Pourquoi ce poète ? Le Celan des philosophes, ‘’L’ordre philosophique’’, Seuil, 2016, p. 184.
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07/01/2017
Reinhard Priessnitz, Tragédie, traduction Christian Prigent
Tragédie
confiance !
si cet iambus est aussi un nimbus
que j’ai rythmiquement mis dans ce morceau,
juste pour qu’y tienne son averse intérieure
que j’observe depuis longtemps,
pour moi, qui suis venu d’urgence la pododiversifier,
qu’ils crépitent ici-bas en une mélodie
qui cherche dans la langue son alter ego
— bien que je sache que c’est un peu audacieux ;
mais je peux si je trouve faire sonner autre chose :
imitations moites, gouttant des syllabes elles-mêmes,
je laisse à mesure le plus imbibé
me coller à la conscience sur le vers aussi
dans lequel je suis, encore dithyrambique,
j’étends le manteau de pluie (sans pour autant vouloir masquer)
et butant je bricole avec le vers des scènes
ne laissant que souilles, barbouilles, gribouilles,
qui emportant une mémoire étrange,
m’ont montré ce que voulait montrer mon désir.
adieu !
(et mourez en pleine lumière.)
Reinhard Priessnitz, traduction Christian Prigent, dans Place de la Sorbonne, n° 6, avril 2016, p. 121.
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06/01/2017
Nathalie Quintane, Remarques
(…)
— Décider que lever un filet de colin est une activité supérieure, au même titre qu’expliquer À la nue accablante, est une tactique. On fait entrer un maximum d’activités classées autrefois dans l’inférieur dans le supérieur. D’où que l’inférieur devient particulièrement inférieur — de n’avoir même pas pu rentrer dans le supérieur, comme tant d’autres.
— Faire la caisse dans un supermarché, par exemple.
— Je ne me rappelle plus pourquoi tenir une caisse dans un supermarché est tellement pourri.
— Si tu ne travailles pas à l’école, tu finiras caissière dans un supermarché.
— Pourtant tout le monde aime bien l’argent et les supermarchés et on joue à la caissière ou au caissier quand on est petit. Bonjour madame, alors, qu’est-ce que vous voulez ? des poireaux ? des ananas ? Bon, je prendrai des ananas. D’accord, ça fait trois cent trente-cinq euros. Voilà. Merci, madame. Merci monsieur. Au revoir. Au revoir.
— C’est fatigant, c’est mal payé, et c’est un métier féminin.
Nathalie Quintane, Remarques, dans Nathalie Quintane, sous la direction de Benoît Auclerc, Garnier, 2015, p. 106-107.
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05/01/2017
Marcel Bénabou, Un poème à votre façon
Un poème à votre façon
Tout est rêve et la vie et l’amour et la mort
On entre en souriant dans le berceau de l’ombre
Quel cadavre la nuit ne reprend son essor
Pour retrouver l’enfant survivant aux décombres
Je débarque parfois dans ma ville déserte
Le feu du ciel alors s’est éteint brusquement
Encore enveloppé des ruses du printemps
Au-dessus de la craie qui poudre les fleurs vertes
Les rues muettes me regardent sans me voir
La vie s’est réfugiée au profond des miroirs.
Marcel Bénabou, dans La Bibliothèque Oulipienne,
Slatkine, 1981, p. 55.
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04/01/2017
Henri Thomas, Carnets 1934-1948
Dimanche 12 juillet 1942
Accepter d’être seul, sans désespoir — telle est la bonne attitude initiale pour parvenir à ne plus être seul — quand ? Peut-être pas ici.
Samedi 18 juillet 1942
Une profonde santé intérieure. Pas de hâte d’en communiquer l’idée, les songes, les vues. Elle pourrait même disparaître sans avoir été notée, je n’en serais pas affecté.
- D’où t’est toujours venu le trouble, l’angoisse et le déchirement ? D’avoir attendu quelque chose de la vie — d’avoir compté sur une complicité quelconque des êtres, des choses, de ne pas t’être persuadé que toi seul pouvait t’apporter quelque chose.
Henri Thomas, Carnets 1934-1948, éditions Claire Paulhan, 2008, p. 348-349.
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02/01/2017
Leonor Fini, Rogomelec
Je savais qu'il ne fallait pas se laisser tenter. Qu'il faudrait savoir rester chez soi, éviter les voyages dans cette époque barbare, les affreuses bousculades, l'humiliation de ce que l'on appelle les "villégiatures".
« Le vain travail de voir divers pays », Maurice Scève l'avait écrit ; je me le répétais.
Mais on m'avait parlé de ce lieu solitaire, de ce climat assoupissant. Imaginant un bien-être particulier, je suis donc parti rejoindre le navire.
C'était le Port Saïd.
D'autres navires hurlaient déjà très fort. Pour le Port Saïd, il y avait encore du temps ; au moins une heure. Passaient des chariots avec des ballots d'odorantes épices — safran peut-être, cannelle — une bonne odeur et de la poussière jaune or tout autour. Cette poussière voilait parfois ces groupes d'humains vociférants, tous habillés de mêmes couleurs, me semblait-il.
Il n'y avait qu'un homme différent et peu recommandable. Mais à l'observer plus attentivement, je lui trouvai davantage l'aspect d'un assassiné que celui d'un assassin. Il se frayait un chemin pour rejoindre une jeune femme blonde qui parut surprise en l'apercevant et certainement ne le connaissait pas. Lui se baissa un peu et murmura quelque chose à l'oreille de la femme qui, contre le soleil, apparaissait d'une transparence fragile. Puis elle baissa le regard vers cette main ouverte, tendue à la hauteur de sa taille ; elle poussa un petit cri, mais le passage d'un chariot chargé de ballots qui sentaient le safran et la cannelle la fit disparaître à mes yeux.
Je ne la voyais plus.
La foule s'épaississait.
Je m'apercevais que je suivais cet homme.
Leonor Fini, Rogomelec, éditions Stock, 1979, p. 9-11.
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01/01/2017
Jules Renard, Journal, 1887-1910
1er janvier 1905
Le poète Ponge va reprendre la plume : les nationalistes relèvent la tête !
L’argent, il l’appelle « le numéraire ». (…)
Je lui ai fait donner les palmes. Il dit aux gens de son village :
— Mes amis, les palmes me font bien plaisir, mais ce n’est rien à côté de vos félicitations.
L’esprit inquiet mais clairvoyant, c’est-à-dire actif et sain, de l’homme qui ne travaille pas.
(…)
— J’ai froid.
— C’est la saison qui veut ça, dit le riche.
Hiver. Des vitres dessinées par Vallotton.
Le vent lui-même a gelé.
La glace répandue sur le pré comme des glaces brisées.
Jules Renard, Journal 1887-1910, Gallimard/Pléiade,
1965, p. 945 et 946.
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31/12/2016
Jean-Baptiste Chassignet, Le mespris de la vie et la consolation contre la mort
XXXVI
Tu desires vieillir mais, au jour langoureux
Que tu auras attaint la vieillesse impotente,
Encore du futur la saison différente
De vivre plus long tems te rendra désireux.
Tu n’auras du passé qu’un regret douloureus,
De l’instable avenir qu’une ennuieuse attente
Et n’auras le présent chose qui te contente,
Autant viel et grison comme enfant mal heureus.
Tu fuis de mois en mois ton créancier à ferme
Et si tu ne seras prest non plus au dernier terme
De payer qu’au premier ains, comme au-paravant.
Tu requerras delay, mal-heureus. Hypocrite,
Quand il convient de payer il n’est que d’estre quitte,
Celuy ne meurt trop tost qui meurt en bien vivant.
Jean-Baptiste Chassignet, Le mespris de la vie et la consolation
contre la mort, Droz, 1967, p. 57-58.
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30/12/2016
Jacques Lèbre, L'immensité du ciel
Inquiétude
Serait-ce l’inquiétude de tout revivre ?
L’angoisse de sentir ou d’éprouver de nouveau
ce que déjà j’aurais pu sentir, éprouver ?
À moins que ce ne soit une sorte de rattrapage
pour revivre plus intensément
(et sans commettre les même erreurs)
ce que déjà j’aurais pu vivre ?
Cela, il me semble difficile d’y croire.
Comme si cette vie, celle-ci déjà vécue,
devait à jamais rester de l’ordre du rêve ?
Jacques Lèbre, L’immensité du ciel, La Nouvelle
Escampette, 2016, p. 11.
© Photo Carole Florentin
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29/12/2016
Laurent Albarracin, Cela
Ce sont des oiseaux qu’on ne voit pas mais dont le chant dans le ciel comme descendu d’un cran sur la terre fuse et indique très surement le cela. Chant plein de plumes colorées, de flèches ébouriffées, de traits fous qui dessinent une forêt seconde à même l’invisible.
Cela, la nuit, devient peu à peu la nuit. Les ombres gagnent. L’encre monte. Le silence comme du verre dans les eaux.
Laurent Albarracin, Cela, Rougerie, 2016, p. 45, 48.
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28/12/2016
Eugène Guillevic, Accorder
Le rire de la saison
Des sacrilèges
Il en faudra
En toute saison.
Implacable autant
Que le rire de la saison
Par les gamins.
Une épeire, un buisson,
De l’herbe, un peu de vent.
Un passant qui hésite
À les déranger.
Un bois
Près de la rivière :
Les menhirs avant le cromlech.
Un ruisseau :
Il se couvrait de vert
Et de friselis.
Loisir de penser
Que ce ruisseau
Vient d’un paradis
Saluer le vallon.
Qu’il y remontera
Tout seul.
Eugène Guillevic, Accorder,
Gallimard, 2013, p. 223-224.
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27/12/2016
Eugène Savitzkaya, À la cyprine
Crosse de la fougère née de la décomposition du monde, volubilis issu des boues, âpre arum urticant, ortie comme bouclier, boucle du liseron se propageant selon le métré précis qu’indique l’amas des racines, et coiffant les buissons de cassis, enroulement et déroulement, vie après mort, mort après vie, semant, perdant, poussant contre les murs du vide et du néant et rompant la pierre comme pain sec
Eugène Savitzkaya, À la cyprine, les éditions de Minuit, 2015, p. 60.
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