20/02/2024
Gérard Cartier, Le Voyage intérieur
Le patriarche (Hasparren)
Trop enclin aux poètes minimes Delisle
Coppée Carco et aux ânes
pour éviter à l'écart du chemin de Combo
Eihartzea dernier toit de Francis Jammes
avant la pierre grise à l'ombre d'Ursuïa
et de la grosse croix au bout du village
une ancienne métairie don fortuit du ciel
manigancé en douce par les bénédictins
pour loger sa tribu d'où fuyant en ours
il hantait jusqu'au soir les collines rêches
pêchant et herborisant parmi les chardons
barbe au vent et la rime en conserve
mais qu'a-t-on fait du palais des voyelles
éventré plâtré ascensorisé
chassant le patriarche à coups de taloches
comme Adam du paradis
non moins que nous demain de nos thébaïdes
oubliés de tous malgré nos neuvaines ou minimes
(43°23'19,7"N - 1°18'11,8"O)
Gérard Cartrier, Le Voyage intérieur, Flammarion 2023, p. 216
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16/12/2018
Cioran, de l'inconvénient d'être né
La clairvoyance est le seul vice qui rende libre — libre dans un désert.
Le paradis n’était pas supportable, sinon le premier homme s’en serait accommodé ; ce monde ne l’est pas davantage puisqu’on y regrette le paradis ou l’on en escompte un autre. Que faire ? où aller ? Ne faisons rien et n’allons nulle part, tout simplement.
Certains ont des malheurs, d’autres des obsessions. Lesquels sont le plus à plaindre ?
Il y a dans le fait de naître une telle absence de nécessité, que lorsqu’on y songe un peu plus que de coutume, faute de savoir comment réagir, on s’arrête à un sourire niais.
Cioran, de l’inconvénient d’être né, idées / Gallimard, 1973, p. 19, 20-21, 21,
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06/02/2018
Victor Hugo, Choses vues
16 février 1859
Que de choses j’ai encore à faire ! Dépêchons-nous ! Je ne serai jamais prêt. Il faut que je meure cependant.
22 septembre 1862
Parler, écrire, imprimer, publier : cercles concentriques de l’intelligence. Ondes sonores de la pensée.
25 décembre 1862
C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches.
C’est au-dedans de soi qu’il faut regarder le dehors.
Victor Hugo, Choses vues, Quarto/Gallimard, 2002, p. 891, 923, 939, 943.
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08/02/2017
Andrèas Embirìkos, Oktàna, traduit du grec par Myrto Gondicas et Michel Volkovitch
Archange en septembre clamant dans la nature
Par les douces journées de septembre, quand il ne pleut pas encore, que les bruits sont plus rares qu’en été, le goût des heures plus fort, que dans les jardins s’ouvrent les grenades, que vibrent les tiges des fleurs toutes droites, que les hibiscus flamboyants palpitent dans leur pourpre, tout pareils à des mariés pleins d’assurance qui frappent à l’huis de leurs belles, alors, comme si c’était toujours l’été (car quelle que soit la saison, le désir est toujours estival), les âmes sont dans l’allégresse, et l’Amour, l’archange le plus blond du Paradis, s’exclame pour tous les corps qu’il touche :
Jette tout et dévêts-toi.
Oublie tout ce qui fait peur.
Printemps, hiver ou été —
En tous lieux et à toute heure _
Mon épée vient vers toi.
Andréas Embirìkos, Oktàna, traduit du grec par Myrto Gondicas et Michel Volkovitch, Le Miel des anges, 201, p. 24.
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04/11/2013
Henri Michaux, Connaissance par les gouffres
I. Comment agissent les drogues
Les drogues nous ennuient avec leur paradis.
Qu'elles nous donnent plutôt un peu de savoir.
Nous ne sommes pas un siècle à paradis.
Toute drogue modifie vos appuis. L'appui que vous preniez sur vos sens, l'appui que vos sens prenaient sur le monde, l'appui que vous preniez sur votre impression générale. Ils cèdent. Une vaste redistribution de la sensibilité se fait, qui rend tut bizarre, une complexe, continuelle redistribution de la sensibilité. Vous sentez moins ici et davantage là. Où « ici» ? Où « là » ? Dans des dizaines d'« ici», dans des dizaines de « là », que vous ne vous connaissiez pas, que vous ne reconnaissez pas. Zones obscures qui étaient claires. Zones légères qui étaient lourdes. Ce n'est plus à vous que vous aboutissez, et la réalité, les objets mêmes, perdent leur asse et leur raideur, cessent d'opposer une résistance sérieuse à l'omniprésente mobilité transformatrice.
Des abandons paraissent, de petits (la drogue vous chatouille d'abandons), de grands aussi. Certains s'y plaisent. Paradis, c'est-à-dire abandon. Vous subissez de multiples, de différentes invitations à lâcher... Voilà ce que les drogues fortes ont en commun et aussi que c'est toujours le cerveau qui prend les coups, qui observe ses coulisses, ses ficelles, qui joue petit et grand jeu, et qui, ensuite, prend du recul, un singulier recul.
Henri Michaux, Connaissance par les gouffres (1967), dans Œvvres poétiques, III, édition établie par Raymond Bellour et Ysé Tran, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2004, p. 3.
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