24/01/2022
Pascal Quignard, Les Paradisiaques
Le nez
Dans le petit tiroir en bois de buis — ou plutôt dans son ombre quand on le repoussait — là était située la jouvence.
Le nez est le seul guide au paradis.
C’est le seul Virgile.
Il conduit aux grains de café brun foncé dans le moulin à manivelle.
Alors les yeux se portent sur la poudre extrêmement fine et odorante et noire dans le petit tiroir en bois que la main maigre et nerveuse de ma grand-mère tirait doucement,
versait doucement.
Moins d’eau chaude dans la chaussette,
meunier de café d’un autre temps,
vie divine.
Pascal Quignard, Les Paradisiaques, Folio/Gallimard, 2007, p. 204.
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01/09/2021
Judith Chavanne, l'empreinte d'un instant
À la table pauvre d’un café
installée sur l’étroit trottoir de la grande ville,
l’homme un instant a quitté le dialogue
et l’ami ; il a posé les yeux
(comme le martinet en suspens
Avise le lieu enfin où s’arrêter)
Sur l’enfant pas plus haute que la table,
Qui passait ; il l’a vue, a souri.
Quelque chose alors s’est attendri
dans la chair de l’homme, son âme, l’air même,
et le temps s’est un peu alangui ;
un instant dans ce regard
avait trouvé son nid la chance de s’y épanouir.
Judith Chavanne, l'empreinte d'un instant, Potentille,
2021, p. 5.
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01/03/2020
Pierre Vinclair, Sans adresse
(59)
Le café noir au début d’un jour blanc :
que le jour passe et que le jour à suivre
passe — passé à lire en attendant
quoi ? Un réveil, un café et un livre.
Que la vie passe, avec ou sans café
oui ! Que la nuit arrive et m’engloutisse
et me recrache au matin décoiffé,
indifférent — et que le jour finisse.
Pourtant un jour je retrouverai goût
au café noir, à sa saveur amère
et forte en gorge, à sa texture — à tout
ce qui depuis si longtemps indiffère
mon cœur, nerveux comme un moulin qui broie
quelque grain noir d’excitation sans joie.
Pierre Vinclair, Sans adresse, éditions Lurlure, 2018, p. 67.
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19/03/2018
Sylvie Durbec, (bien difficile de) Transformer la jalousie en ballon rond
Bien difficile
s’asseoir café des Miroirs
en face de Dino Campana
en espérant que n’entre pas
celle que je n’attends pas
grise mais les yeux ouverts
là où je suis assise
Caffè degli Specchi
à me demander quoi voir
ce soir
à part elle à part moi
dans le noir
bien difficile
et ensuite y aller d’un bon pas
en revenir en repartir
avec un ballon
sous le bras
c’est une maison
qui commence
son histoire
ici
Sylvie Durbec, (bien difficile de) transformer
la jalousie en ballon rond, Le phare du cousseix,
2018, p. 5.
nouvelle publication des éditions
le phare du cousseix
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31/01/2017
Robert Pinget, Clope au dossier
Que d’être seul n’était pas une condition. Ni une vocation dit Mortin ni rien en tion sauf aberration ce qui explique tout, on finira bien par l’emmener mais il faut paraît-il un rapport du médecin ou de la famille ou d’un avocat ou de Dieu sait qui. Un avocat en tout cas dit Philippard on n’y coupe pas rien à faire sans ça pour ce qui est d’une profession alors on peut dire tous des caves des zéros. Ils buvaient du vin blanc Mortin Philippard et Verveine le stagiaire du pharmacien, tu devrais savoir toi qui connaît le docteur lui dit Philippard. Un spécialiste dit Verveine on ne s’adresse pas à n’importe qui ces choses –là sont délicates si vous croyez du reste je me demande jusqu’à quel point il ne faut pas qu’il dérange la société quelle société dit Mortin. La nôtre dit Verveine la société en général il ne nous dérange pas tellement, jusqu’au jour du scandale en pleine rue dit Philippard moi j’ai une femme et des enfants. Une femme et des enfants la société. Des fusains à droite et à gauche dans des caisses et trois tables de fer peintes enrouge ainsi que les chaises, c’est Philippard qui a voulu s’asseoir ils restent d’habitude au comptoir, la serveuse qui a l’air sale ils l’appellent Mathilde pour remplir les verres, la route passe devant mal goudronnée il y a de la poussière.
Robert Pinget, Clope au dossier, les éditions de Minuit, 1961, p. 7-8.
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17/06/2014
Édith Azam, On sait l'autre
On allume la radio mais sans penser au geste et sans même écouter ce qu'elle crache, la radio. On allume l'éclairage, on réchauffe le café, on écoute le frigo qui grince, aussi bien que nos os. Derrière le rideau, la fenêtre est fermée. Derrière la fenêtre trois chevaux, dos à dos : trois chevalos, trois os. On ferme les paupières, on dit : ça passera, on ne sait pas de quoi on parle mais on le dit : ça passera, que ça finira bien par passer, puis, dans l'arrière-cour une voiture démarre, elle roule bleue sur le chemin, s'enquille en jaune un peu plus loin, et dans : l'embouteillage. Ça passera, ça passe passe. Le café bout, ce n'est pas grave. Dans la tasse on verse de l'eau froide, on avale d'un trait. Une rasade une autre une : rasade. L'autre, on le voit de loin, il arrive bras ballants, on entend son pas lourd, son pas fait scrcsh sur le gravier. On le voit de loin, l'autre, il agace. Il nous agace de voir si loin. Voir jusqu'à lui, jusqu'à cet autre, c'est une anomalie : ça nous cloche. Voir l'autre de si loin, c'est anormal. Oui, c'est ça le mot à dire : A-NOR-MA. On le répète trois fois de suite, trois fois fois fois, trois, trois, on répète. Cela ne change rien aux choses, juste que la répétition permet une transition simultanée. On écoute la radio qui dit : Lisbeth. Lisbeth c'est joli, ça nous plaît, on ne sait pas pout quelle raison ça nous plaît, on le retient quelques secondes, dix par exemple, ensuite tout se déforme, on ne sait pas pourquoi non plus. C'est peut-être le corps entier qui se délite.
Édith Azam, On sait l'autre, P. O. L, 2014, p. 7-9.
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