26/03/2017
Thérèse d'Avila, Le Livre de la vie
Chapitre XXXVIII
- Avec le temps, il m’est arrivé et m’arrive encore parfois de recevoir du Seigneur de plus grands secrets ; […] C’étaient de telles visions, que la moindre d’entre elles suffisait à émerveiller mon âme et à la faire avancer vraiment dans le mépris des choses de la vie. Je voudrais donner une idée de la moindre de ces révélations, mais j’ai beau chercher comment y parvenir, je vois que c’est impossible ; pour nous en tenir à ce point, entre la lumière d’ici-bas et celle qu’on voit là-haut où tout n’est que lumière, il n’y a pas de comparaison possible, parce que l’éclat du soleil paraît bien terne. Enfin, l’imagination la plus subtile ne parvient ni à dépeindre ni à décrire cette lumière, ni aucune des choses que le Seigneur me donnait à entendre dans une délectation si savoureuse, qu’on ne peut l’exprimer ; en effet, tous les sens éprouvent une jouissance si vive et si douce qu’on ne saurait en donner l’idée ; aussi, mieux vaut n‘en rien dire de plus.
Thérèse d’Avila, Livre de la vie, dans Œuvres, traduit et présenté par Jean Canavaggio, Pléiade / Gallimard, 2012, p. 269.
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25/03/2017
Louise Labé, Sonnet III

Sonnet IIII
Depuis qu’amour cruel empoisonna
Premierement de son feu ma poitrine,
Tousjours brulay de sa fureur divine,
Qui un seul iour mon cœur n’abandonna.
Quelque travail, dont assez me donna,
Quelque menasse & procheine ruïne :
Quelque penser de mort qui tout termine,
De rien mon cœur ardent ne s’estonna.
Tant plus qu’amour nous vient fort assaillir,
Plus il nous fait nos forces recueillir,
Et toujours frais en ses combats fait estre :
Mais ce n’est pas qu’en rien nous favorise,
Cil qui les Dieus & les hommes mesprise :
Mais pour plus fort contre les fors paroitre.
Louis Labé, Sonnets, dans Œuvres, Slatkine,
1981, p. 95.
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24/03/2017
Gilbert Vautrin, Anges et Corbeau

À Bagdad
il y a des yeux comme des soleils voilés
à Bagdad partout sur la terre
il y a des yeux comme des soleils voilés
mais c’est si loin à Bagdad
parce qu’on ne tue pas que le temps…
tu disais hier encore
nous étions tous des anges
aujourd’hui je ne vois plus le paysage
j’appelle je dis ce n’est qu’un geste
comme si l’ombre venait de la parole
parce qu’on ne tue pas que le temps
cette voix qui n’en finissait pas
d’être et de se perdre
là où le cœur est sans pourquoi
cette voix qui n’en finissait pas…
Gilbert Vautrin, Anges et Corbeau, sérigraphies
D’Élisabeth Bard, Æncrages & Co, 2015, np.
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23/03/2017
Ivan Alechine, Enterrement du Mexique
Proche du porc
L’aube soulève le toit de chaume
sans eau sans nourriture
je veux forcer l’enclos
c’est en octobre la fête des premiers fruits et des enfants de moins de cinq ans
je dors d’un œil
l’autre se lève
à travers un trou dans la toile
je vois les feux de la cérémonie à fleur de terre
leurs flammes sont les cris joyeux
des enfants dits akiélis — esprits —
elles montent aux ciel — bataillons de flammes —
combattre les 400 Mimixcoas — les étoiles de l’infini du Nord qui voudraient en finir avec notre vie
il y a un sang de l’aube
comme il y a un sang du soir
le soleil file le coton des nuages
sang de naissance
sang de mort
c’est la lumière saisie par l’eau
que l’on capture dans les coupes votives
demain on sacrifiera trois taureaux
avec leur premier sang on peindra du doigt
le maïs et les fleurs
les flacons d’eau de sources et les flèches votives
hommes esclaves des fleurs
hommes sous le poids des fleurs
Ivan Alechine, Enterrement du Mexique, Galilée, 2016, p. 82-83.
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22/03/2017
Paul Claudel, Connaissance de l'Est

Le pin
L’arbre seul, dans la nature, pour une raison typifique, est vertical, avec l’homme.
Mais un homme se tient debout dans son propre équilibre, et les deux bras qui pendent, dociles, au long de son corps, sont extérieurs à son unité. L’arbre s’exhausse par un effort, et cependant qu’il s’attache à la terre par la prise collective de ses racines, les membres multiples et divergents, atténués jusqu’au tissu fragile et sensible des feuilles, par où il va chercher dans l’air même et la lumière son point d’appui, constituent non seulement son geste, mais son acte essentiel et la condition de sa stature.
La famille des conifères accuse un caractère propre. J’y aperçois non pas une ramification du tronc dans ses branches, mais leur articulation sur une tige qui demeure unique et distincte, et s’exténue en s’effilant. De quoi le sapin s’offre pour un type avec l’intersection symétrique de ses bois, et dont le schéma essentiel serait une droite coupée de perpendiculaires échelonnées.
(…)
Paul Claudel, Connaissance de l’Est, Poésie / Gallimard, 1974 (Mercure de France, 1900), p. 101-102.
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21/03/2017
Bashô Seigneur ermite

Froide, la couverture ouatée
où vous vous glissez —
Nuit de solitude
Dans le vent qui souffle
les poissons sautent —
Ablutions rituelles
Curiosité —
un papillon posé
sur une herbe sans parfum
Le soleil splendide
entre chien et loup —
Soir de printemps
Puces, poux
et un cheval qui pisse
à mon chevet !
Bashô Seigneur ermite, édition bilingue
par Makoto Kemmoku et Dominique Chipot,
La Table ronde, 2012, p. 193, 194, 197, 203, 214.
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19/03/2017
Catherine Benhamou, Hors jeu

Hors jeu
1
Normalement on ne me voit pas.
Vous n’êtes pas censés me voir.
Je suis à l’intérieur de la poubelle qui est à l’intérieur de la pièce qui se joue en ce moment même à l’intérieur du théâtre.
La poubelle est censée être ouverte côté mur du fond.
C’est une poubelle confortable avec vue sur le mur du fond.
Noir. Le mur du fond est noir.
Ceux qui jouent là, sur la scène, les deux acteurs visibles, on les appellera par commodité le vieux et le non vieux.
Il y a aussi le père qu’on appellera par commodité le père.
Et il y a la mère qui est morte.
Normalement on ne me voit pas.
Ni dans le monde ni hors du monde.
Ni ici ni ailleurs.
Ni dans la vie ni dans le théâtre.
Entre les deux.
Entre les deux je suis.
L’auteur m’a jetée à la poubelle.
Invisible.
Cachée en pleine lumière.
Sourde aux appels des autres personnages.
Morte pour le public.
Hors jeu. Seule.
[…]
Catherine Benhamou, Hors jeu, dans Rehauts, n°38, hiver 2016, p. 56-57.
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18/03/2017
Fabienne Raphoz, Blanche baleine

De la remise
dans les caisses rouges
- à petits bois
une couleuvre a mué
mon père
ses caisses rouges
- à pommes
devant le Môle
Idared
Mutsu
Melrose
classées
dans sa chambre
il ne sait plus
que pommier
refrain : une couleuvre
- aveugle
a mué
Fabienne Raphoz, Blanche baleine,
Héros-Limite, 2017, p. 69.
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17/03/2017
Henri Thomas, La monde absent

Je ne suis pas vraiment enclos
dans la vie aux barrières vagues,
souvent je tombe, parfois, héros
de l’immobile, sur une vague
je reste, toute une seconde.
Faut-il éviter cette tombe
à chaque instant rouverte ?
Ces stratagèmes pour ma perte,
ces ruses brutales, racontent
un ennemi toujours alerte
qui vole par le monde.
Sur le poème commencé
une lumière tombe
et les mots à peine tracés
se perdent comme l’ombre
des feuilles bougeant en été.
Le ciel enfle sa forme ronde,
immense absurdité.
Henri Thomas, Le monde absent, dans
Poésies, Poésie / Gallimard, 1970, p. 136.
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16/03/2017
Orson Welles, Lettre à l'Observer

(…) dénoncer l’incompétence des gouvernants, et déclarer ensuite que la direction du monde devrait être laissée exclusivement entre ces mains incompétentes, c’est manifester un bien extraordinaire désespoir.
Dans les circonstances actuelles, l’incitation à abandonner le bateau qui coule n’est pas seulement quelque chose de futile ; c’est aussi un cri de panique.
Orson Welles, Lettre à l’Observer, dans Ionesco, Notes et contrenotes, Idées/Gallimard, 1979, p. 155.
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15/03/2017
Cécile A. Holdban, Mobiles

Photographie Frédéric Tison (blog Les Lettres Blanches)
Les feuilles pendues aux arbres rappellent les oiseaux morts
une petite fille marche le soleil est mûr
le chemin bien droit
les pas légers dans la poussière
elle déjoue d’une tresse qui saute la pesanteur
sous les arbres
elle si petite l’ombre l’avalera
l’araignée approche
les cœurs seront jetés
les fragments rassemblés
dans la nuit d’une toile
Cécile A. Holdban, Mobiles, dans Europe,
janvier-février 2016, p. 265-266.
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14/03/2017
Vladimir Maïakovski, Lettres à Lili Brik

J’appelle
Le soulevant comme un athlète,
je le portais en acrobate,
et, comme on appelle les électeurs au meeting,
comme les villages
au feu
sont appelés par le tocsin,
j’appelai :
« Le voilà !
le voilà !
Prenez-le ! »
Quand
un tel monument se mettait à hurler,
ces dames,
s’écartant de moi,
par la poussière,
par la boue,
par la neige,
filaient comme un feu d’artifice :
« Nous, c’est plutôt la petite taille,
nous, c’est plutôt le genre tango… »
Je ne puis porter,
et je porte mon fardeau.
Je veux le jeter,
et je sais,
je ne vais pas le jeter.
Les arcs des côtes vont lâcher.
Sous la pression a grincé la cage thoracique.
Vladimir Maïakovski, Lettres à Lili Brik (1917-1930),
traduction Andrée Robel, Gallimard, 1969, p. 95-96.
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12/03/2017
Cécile Mainardi, L'histoire très véridique et émouvante de ma voix de ma naissance...

20
À 6 ans, mon pèe ramène à la maison un magnétophone, nous jouons pendant des heures à nous enregistrer à tour de rôle. Ma mère dit je ne sais pas trop quoi avec sa voix qui, sans être forte, semble celle d’une géante quad on la réécoute. Elle-même dit qu’elle ne se reconnaît pas, qu’elle n’en revient pas d’avoir cette voix. Je m’amuse à la lui faire réentendre. Elle me dit maintenant qu’il lui semble entendre la voix de sa sœur aînée. Je lui dis : « Si, c’est toi, écoute ! » Nous sommes en haut des escaliers qui mènent au premier, assis sur les dernières marches. Jamais aucun objet ne nous a fait tenir si près du sol. Nous sommes près de nos voix ; nos voix près de nos bouches ; nos bouches près de nos cœurs.
Cécile Mainardi, L’histoire très véridique et très émouvante de ma voix, de ma naissance à ma dernière chose prononcée, Contre-Pied, 2016, p.20. © Photo Brigitte Palaggi.
11/03/2017
Étienne Faure, Vues prenables

Puis les crues avaient délogé les morts
et les cadavres d’animaux qi dormaient sous l’eau
en un boueux désordre.
Une table flottait dans la Seine,
à quel repas en aval conviée, emportée sans hâte
— ce fut à Rouen qu’elle s’arrêta
à l’auberge où Flaubert l’attendait
avec d’autres ; toute la littérature
était là, à boire, à dévorer,
à ne vouloir jamais sortir de l’auberge
que la pluie ne coupât leur vin.
La vie,
sous la besogne outrancière des mots,
ils l’attrapaient comme idée,
pouce, index et majeur ramassés en grappe,
à s’aider de ces mains veinées
où coule en transparence une vieille vendange,
puis pour ne pas finir dans le vin aigre d’un tonneau
juraient, raturaient, buvaient
et contre Accoutumance, chien commun
tirant sa renommée de grammairien
d’une langue asséchée dans le jardin des maîtres,
aux jours de pluie rêvaient la canicule, en crevaient,
belle outre de vin noir — c’était du vent.
Littérature
Étienne Faure, Vues prenables, Champ Vallon, 2009.
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10/03/2017
Pierre Silvain, Les chiens du vent, encres de Jean-Claude Pirotte

Sous la poussière il retrouve
L’ardoise d’enfance fêlée
Avec les griffures intactes
Proclamant sa détresse d’être
Celui qui toujours demeure
Au seuil du monde déchiffrable
Dans l’attente d’une aveuglante
Révélation ou d’un anéantissement
Rien n’a changé
Tout continue de se refuser
Là derrière
Pierre Silvain, Les chiens du vent, encres
de Jean-Claude Pirotte, Cadex, 2002, p. 62.
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