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13/06/2016

E. E. Cummings, No Thanks

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à l’amour sois (un peu)

Plus attentif

Qu’à tout

tiens-le seulement peut-être

 

À peine moins

(étant au-delà d’ô combien)

serré que

Rie, souviens t’en par de fréquentes

 

Angoisses (imagine

Son moindre jamais avec ta meilleure

mémoire) donne entière à chaque

Toujours en liberté

 

(Ose jusqu’à une fleur,

comprenant outre mesure le soleil

Ouvre quel millième pourquoi et

découvre le rire)

 

 E. E. Cummings, No Thanks, traduit et

présenté par Jacques Demarcq, NOUS,

2011, p. 68.

11/06/2016

Ana Tot, méca

je suis dupe. Mon regard a beau pivoter à cent quatre-vingt degrés de gauche à droite de bas en haut je suis dupe. Je ne sens pas que je suis dupe. Si je pouvais sentir la duperie dont je suis l’objet je ne serais pas dupe. Je ne sais pas que je suis dupe. Si je pouvais savoir la duperie dont je suis l’objet je ne serais pas dupe. Non seulement j’ignore ce qui me dupe mais j’ignore même si je le suis. Dupe. Je suis dupe. Simplement je suis dupe. Si je pouvais savoir, savoir simplement que je suis dupe sans pour autant évidemment savoir d’où vient la duperie ni ce qu’elle est, il va sans dire, sous peine d’y mettre un terme, et sans pour autant cesser d’être dupe, ah, si seulement ! je pourrais jouir alors d’être dupe. Mais je suis dupe et c’est à peine si une vague et vaine caresse de satisfaction

 

                                   (m’effleure)

 

Ana Tot, méca, Le Cadran ligné, 2016, p. 11.

Le Cadran ligné, éditions fondées par Laurent Albarracin :

Le Mayne, 19700, Saint-Clément

10/06/2016

Jean Genet, La Parade

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La Parade

 

Silence, il faut veiller ce soir

Chacun prendre à ses meutes garde,

Et ne s’allonger ni s’asseoir

De la mort la noire cocarde

 

Piquer son cœur et l'en fleurir

D’un baiser que le sang colore,

Il faut veiller se retenir

Aux cordages clairs de l’aurore.

 

Enfant charmant haut est la tour

Où d’un pied de neige tu montes.

Dans la ronce de tes atours

Penchant les roses de la honte.

 

On chante dans la cour de l’Est

Le silence éveille les hommes.

Silence coupé d’ombre et c’est

De fiers enculés que nous sommes.

 

Silence encor il faut veiller

Le Bourreau ignore la fête

Quand le ciel sur ton oreiller

Par les cheveux prendra ta tête.

 

Jean Genet, La Parade, dans Le condamné

à mort, L’enfant criminel, L’Arbalète,

1966, p. 69-70.

09/06/2016

Claude Dourguin, Points de feu

Mars sur sa fin : l’orge est sorti de terre, la grande parcelle a changé de couleur imperceptiblement (je l’ai sous les yeux, au sens propre puisqu’elle s’étend à quelques mètres en contrebas, chaque jour), brun roux puis strié à peine, irrégulièrement selon le sol, de vert pâle, puis quadrillé de franches bandes vertes. Les tiges ont à peine quelques centimètres mais cela suffit : désormais chaque matin une bande de chevreuils — deux adultes et trois jeunes — prennent leur petit déjeuner en même temps que moi. Souvent ils renouvellent l’opération le soir, tôt vers six heures, six heures et demie. Ils broutent en tranquillité, nonchalants comme s’ils savouraient les jeunes pousses succulentes, tendres à coup sûr, et, sans doute, le font-ils — quelle raison de les croire dénués de goût ?

 

Claude Dourguin, Points de feu, Corti, 2016, p. 25.

               

08/06/2016

Bashô, Seigneur ermite

Basha, Seigneur ermite, saisons, printemps, hiver, automne, vent

Espérant le chant du coucou,

j’entends les cris

du marchand de légumes verts

 

L’automne est venu —

sur l’oreiller

le vent me salue

 

Sous une couverture de gelée,

un enfant abandonné

sur un matelas de vent

 

Ah ! le printemps, le printemps,

que le printemps est grand !

et ainsi de suite

 

Les pierres semblent fanées

et même l’eau s’est tarie —

l’hiver à son comble

 

Bashô, Seigneur ermite, édition bilingue

par Makoto Kemmoku et Dominique

Chipot, La Table ronde, 2012, p. 64,

66, 69, 77, 82.

 

07/06/2016

Henri Thomas, Nul désordre

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                                                               L’interrogé

 

— Où, tes poèmes futurs ?

— Derrière le mur.

 

— Où le vois-tu ce rempart ?

— Partout. Nulle part.

 

— Et toi-même, où donc tu perches ?

— C’est ce que je cherche.

 

Henri Thomas, Nul désordre, dans

Poésies, Poésie/Gallimard, 1970, p. 208.

 

 

06/06/2016

Ghérasim Luca La Paupière philosophale : recension

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     Un numéro de la revue Europe consacré en grande partie à Ghérasim Luca paraît en même temps que La paupière philosophale : c’est une somme sur ce poète trop méconnu et nous y reviendrons. La prière d’insérer précise que le recueil de courts poèmes publié par les éditions Corti a été écrit en 1947, la même année que Passionnément, qu’il faut relire — mais peut-on se passer de relire Le chant de la carpe, La proie s’ombre, ou d’écouter Ghérasim Luca dire Comment s’en sortir sans sortir ? Pour l’instant, nous découvrons comment l’on peut écrire à propos de pierres précieuses.

     Le livre est partagé en 10 courts ensembles, le premier non pas sur une paupière — il n’y a que des yeux ouverts sur le monde des mots —, mais amorçant la suite consacrée aux pierres, l’opale, l’onyx, le lapis-lazuli, etc. Ghérasim Luca les décrit à sa façon, en considérant que ce sont des mots : il s’agit de décomposer chaque nom et de composer d’autres mots à partir de là. ‘’Opale’’ contient le son ‘’o’’, qui peut donc prendre la forme écrite ‘’eau’’, ‘‘au’’ ; ‘’pale’’ se décompose en ‘’pal’’, ‘’al(e)’’, ‘’pa’’, ‘’p’’, et l’on peut encore ajouter ‘’op’’. Tous ces éléments phoniques ou graphiques, fragments de ‘’opale’’, sont assemblés de diverses manières de sorte que le lecteur puisse reconnaître (entendre ou lire) ‘’opale’’, ou un des éléments du nom. Ainsi dans le second poème pour cette pierre :

          L’eau palpe le poulpe
         

          Mais le hâle le pèle

     Après la reprise du mot (« L’eau pal[pe] »), Ghérasim Luca introduit une variation de la suite ‘’al’’, et ‘’pal’’ devient ‘’poul’’, puis ‘’pèl’’ — ‘’poulpe’’ apparu dan le premier poème formé d’une série avec des mots de construction ‘’p + voyelle’’. Ces manipulations aboutissent à de mini récits souvent pleins d’humour et toujours évoquant un univers étrange ; la syntaxe étant respectée, on cherche assez spontanément à savoir « ce que ça veut dire ». Ça veut dire que défaire les mots (prononcés, écrits) et en agencer les éléments dans un autre ordre, aboutit à proposer des associations insoupçonnées.

     Prenons la turquoise. Avec un principe de décomposition analogue, le mot offre ‘’tu’’, ‘’tur’’, ‘quoi’’, ‘’qu + voyelle’’, ‘’q’’, ‘’oi’’, donc ‘’oua’’, ‘’oa’’. Tous éléments à partir desquels se bâtit un poème nonsensique :

          Sur le turf oiseux d’un tutu
 / Turlututus et turluttes
  / Sont disposés en quinconce

          Trois-quarts en ouate pour les oiseaux
 / Trousse-queue en quartz pour les oasis

      Le lecteur prendra plaisir à suivre les transformations opérées avec les mots onyx, lapis-lazuli, saphir, chrysophrase, améthyste, rubis et émeraude — ce dernier contient ‘’mer’’, donc ‘’mère’’, et ‘’raude’’, d’où avec changement de consonne ‘’raube’’, et Gérasim Luca écrit alors : « Elle [= l’émeraude] est comme la mère d’une robe ». Il prendra plaisir parce que l’on entre aisément dans cet univers qui, certes, se dérobe au sens, mais s’offre généreusement à l’imaginaire de chacun.

 

Ghérasim Luca, La Paupière philosophale, Corti, 2016, 
80 p.
,14 €. Cette note de lecture a été publiée sur Sitaudis le 20 mai 2016.

 

05/06/2016

Max Jacob, Le Laboratoire central

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Véritable petit orchestre

 

(Partie descriptive)

 

Houlettes du Grésivaudan

Sur le sol glacé des prairies

Les souliers mordorés près des fleuves

Rochers ou les barquettes des bergers

 

(Partie musicale)

 

Saint sein ! vive le sein !

Vive le vin divin du Rhin

Où Chio ? ou Ténédo ? louez l’Ohio.

Point ! Point ! Point !

L’auto miaule, pioupiou piaule

Marabout l’allume

L’allume à la lune.

Je vais faire la niche

La niche aux péniches

Point ! Point ! Point !

Bout des coussins des marsouins.

Point ! Point ! Point !

Pape ! papal ! pape alors à l’or.

Point ! Point ! Point !

Élie ! Allah ! Alain !

Tiens ! il neige ! zut.

Le rat pose beaucoup de plumes.

 

(Partie philosophique)

 

Unanime j’aime et rode

Nature sous la neige imperturbable

L’habitude du danger rend les hommes prudents

         Et le femmes téméraires.

 

Max Jacob, Le Laboratoire central, dans Œuvres,

édition Antonio Rodriguez, préface Guy Goffette,

Quarto/Gallimard, 2012, p. 606.

04/06/2016

Georges Bataille, Minibus date lilia plenis, dans L'Expérience intérieure

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Qui suis-je

pas « moi » non non

mais le désert la nuit l’immensité

que je suis

qu’est-ce

désert immensité nuit bête

vite néant sans retour

et sans rien avoir su

Mort

réponse

éponge ruisselante de songe

solaire

enfonce-moi

que je ne sache plus

que ces larmes

 

           *

 

Poèmes

pas courageux

mais douceur

oreille de délice

une voix de brebis hurle

au delà va au delà

torche éteinte

 

Georges Bataille, Manibus date lilia

plenis, dans L’Expérience intérieure,

Gallimard, 1954, p. 205 et 207.

03/06/2016

Étienne de la Boétie, Sonnet XXII, dans Œuvres complètes

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Quand tes yeux conquerans estonné je regarde,

J’y veois dedans à clair tout mon espoir escript ;

J’y veois dedans Amour luy mesme qui me rit,

Et m’y mostre, mignard, le bon heur qu’il me garde.

 

Mais, quand de te parler par fois je me hazarde,

C’ets lors que mon espoir desseiché se tarit ;

Et d’avouer jamais ton œil, qui me nourrit,

D’un seul mot de faveur, cruelle, tu n’as garde.

 

Si tes yeux sont pour moy, or voy ce que je dis :

Ce sont ceux là, sans plus, à qui je me rendis.

Mon Dieu, quelle querelle en toi mesme se dresse,

 

Si ta bouche & tes yeux se veulent desmentir ?

Mieux vaut, mon doux tourment, mieux vaut les despartir,

Et que je prenne au mot de tes yeux la promesse.

 

Étienne de la Boétie, Sonnet XXII, dans Œuvres complètes d’Estienne de la Boétie, 2 vol., Introduction, bibliographie et notes par Louis Desgraves, William Blake and C°, 1991, II, p. 154.

02/06/2016

Albert Camus, Carnets III, mars 1953-décembre 1959

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Cahier VII, 1953

Nécessité d’une aristocratie. Dans le présent, on ne peut en imaginer que deux : celle de l’intelligence et celle du travail. Mais l’intelligence à elle seule n’est pas une aristocratie. Ni le travail (les exemples, dans les deux cas, sont évidents). L’aristocratie n’est pas d’abord la jouissance de certains droits, mais d’abord l’acceptation de certains devoirs qui, seuls, légitiment les droits. L’aristocratie c’est à la fois s’affirmer et s’effacer. Pour sortir de soi (définition du devoir) l’intelligence ne peut aller vers les privilèges. Les uns font partie d’elle-même, les autres sont le contraire de l’intelligence. Et le devoir ne consiste ni à s’affirmer ni à se supprimer mais à faire servir ce qu’on affirme. Elle ne peut donc aller que vers le travail qui est son devoir et sa limite. Le travail de son côté ne peut aller vers l’abêtissement, inconscient ou conscient (humiliation généralisée de l’intelligence) qui est ou lui-même, ou son contraire (voir plus haut). Il ne peut donc aller que vers l’intelligence… Finalement l’aristocratie du travail et celle de l’intelligence ne sont possibles, dans le présent, que si elles se reconnaissent l’une l’autre, et commencent à marcher l’une vers l’autre pour consacrer un jour une seule image supérieure de l’homme.

 

La seule source de l’aristocratie c’est le peuple. Entre les deux, il n’y a rien. Ce rien qui est la bourgeoise, depuis 150 ans, essaie de donner une forme au monde et n’obtient qu’un néant, un chaos qui ne se survit encore qu’à cause de ses anciennes racines.

 

Albert Camus, Carnet III, mars 1953-décembre 1959, Folio / Gallimard, 2013 (1989), p. 122-123, 123.

01/06/2016

Guennadi Aïgui, Hors-commerce Aïgui

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Sommeil : formes de Arp

 

mais tressaillit

la blancheur du sommeil ­ — d’un mouvement

de forces qui sans nom ni apparence

 

— mais quelque part croissaient et bruissaient

la pomme le soleil et la colombe

 

et puis le matin infini

dans le champ sans la-ville-et-la-forêt

brûlait de figures intérieures —

 

de forces — qui se prolongeaient

dans la lueur du jour

 

Guennadi Aïgui, Hors-commerce Aïgui, poèmes

traduits par A. Markowicz, Le Nouveau

Commerce, 1993, p. 112.

 

 

 

31/05/2016

James Joyce, Brouillons d'un baiser

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                                [Portrait d’Iseult]

 

   Côté prudence, elle laissait toujours la clef de son armoire dans la serrure de son armoire, la plume de son encrier dans le col de son encrier, le pain sur la plaque tiède. Jamais ils ne se perdaient. Elle était loin d’être cruche. & on ne l’avait jamais prise à mentir. Côté instruction en géog elle savait que l’Italie est une botte cavalière, l’Inde un jambon rose & la France un plaid en patchwork, et elle pouvait dessiner la carte de la Nouvelle-Zélande, île du N au S, toute seule. Côté instruction en zoog elle connaissait l’agneau, l’agneau un jeune mouton. Côté charme elle savait faire démonstration de ses jambes en bas couleur chair sous une jupe aussi droite que possible dans les diverses positions d’une Sainte Nitouche, Tatie Nancy, escabeau beau beau montre-moi tes cornes, petits pois, comète jolie, je t’aime un peu beaucoup, drôle de tartine, aime-moi mon amour, mon levier pour toujours.

 

James Joyce, Brouillon d’un baiser, Premiers pas vers Finnegans Wake, préface et traduction Marie Darrieussecq, Gallimard, 2014, p. 63.

30/05/2016

August Strindberg, Le Fils de la servante

 

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                                       Premier amour

 

   Si le caractère de l’homme se compose finalement du rôle qu’il choisit de jouer dans la comédie de la vie sociale, Johan fut […] celui qui manquait le plus de caractère ; cela veut dire qu’il était passablement sincère. Il cherchait, ne trouvait rien et ne pouvait s’arrêter à rien. Sa nature brutale, qui rejetait tous les harnais qu’on rentait de lui imposer, ne se pliait pas et son cerveau, qui était né rebelle, ne pouvait pas devenir automatique. Il était un miroir qui renvoyait tous les rayons qui le frappaient. Un ensemble de toutes sortes d’expériences, d’impressions diverses et bourré d’éléments contradictoires.

   De la volonté, il en avait mais elle travaillait par à-coups et le faisait alors avec fanatisme ; en même temps, il ne voulait au fond pas grand-chose ; il était fataliste, croyait à la malchance ; il était optimiste et espérait tout. Dur comme la glace, à la maison, il était entre-temps sensible jusqu’à la sensiblerie ; il aurait pu entrer sous un porche et retirer sa veste pour la donner à un pauvre, il pourrait pleurer à la vue d’une injustice. Sa vie sexuelle, à laquelle il avait mis fin depis qu’il avait découvert le péché, se déchainait maintenant la nuit dans ses rêves qu’il attribuait au diable et contre lesquels il appelait Jésus en aide. Il était désormais piétiste ; sincère ? Aussi sincère que quelqu’un peut l’être en voulant se pénétrer d’une vision du monde périmée.

[…]

 

August Strindberg, Le Fils de la servante, dans Œuvres autobiographiques, I,éditon C. G. Bjurström, mercure de France, 1990, p. 162-163.

29/05/2016

Alberto Giacometti, Écrits

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   Enfant, j’avais plutôt l’envie d’illustrer des histoires. Et puis, assez vite, j’ai commencé à dessiner d’après nature, et j’avais l’impression que je dominais tellement mon affaire que je faisais exactement ce que je voulais. J’étais d’une prétention, à dix ans… Je m’admirais, j’avais l’impression de pouvoir tout faire, avec ce moyen formidable : le dessin ; que je pouvais dessiner n’importe quoi, que je voyais clair comme personne. Et j’avais commencé à faire de la sculpture vers 14 ans, un petit buste. Et là aussi cela marchait ! J’avais l’impression qu’entre ma vision et la possibilité de faire, il n’y avait aucune difficulté. Je dominai ma vision, c’était le paradis et cela a duré jusque vers 18-19 ans, où j’ai eu l’impression que je ne savais plus rien faire du tout ! Cela s’est dégradé peu à peu… La réalité me fuyait. Avant je croyais voit très clairement les choses, une espèce d’intimité avec le tout, avec l’univers.. Et puis tout d’un coup, il devient étranger. Vous êtes vous et il y a l’univers dehors, qui devient très exactement obscur… J’essayais de faire mon portrait d’après nature, et j’étais conscient que ce que je voyais, il était totalement impossible de le mettre sur une toile. Laligne — je me rappelle très bien — la ligne qui va de l’oreille au menton, j’ai compris que jamais je ne pourrais copier cela tel que je le vyais, que c’était du domaine pour moi de l’impossibilité absolue. S’acharner dessus, c’ »était absurde, c’en était fini à tout jamais de toute possibilité de copier, même très sommairement, ce que je voyais.

 

Alberto Giacometti, Écrits, Hermann, 1990, p. 261.