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06/07/2015

Rose Ausländer, Pays maternel

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À la mer

 

Pourvue de profondes empreintes digitales

La houle déferlante

Nous atteint

 

Nos minutes

Lavées

De la poussière de la ville

 

L’eau

Met en musique nos mots

Sages aquatiques

Cernés de sable

 

Tu es la voix

 

Sois indulgent envers moi

Étranger

Je t’aime

Toi que je ne connais pas

 

Tu es la voix

Qui m’envoûte

Je t’ai perçue

Reposant sur du velours vert

Toi haleine de mousse

Toi cloche du bonheur

Et du deuil inextinguible

 

Rose Ausländer, Pays maternel, traduction Edmond

Verroul, Héros-Limite, 2015, p. 21, 63.

27/04/2015

Jean Follain, Appareil de la terre

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                      Gestes

 

Au soir éblouissant

ceux qui font ce geste :

clore un vêtement noir

regrettent une jaune terre

où se prenaient leurs pieds.

D’autres que cernent la mer

sur le banc de sable

agitent les bras.

Certains gardent enfin

en fermant les yeux

mais la fleur aux lèvres

le courage des muets.

Un se courbe

pour ramasser le morceau de pain

gonflé d’eau grise.

 

 

                   Matière aux songes

 

Parfois du milieu d’un champ

on entend les orgues d’église

et point le vent

les plantes gonflent

de rosée invincible

d’aucuns songent

devant la pierre violâtre

l’habit ravagé

les gants prêtés pour la journée

le chat dormant qui a voyagé

 

Jean Follain, Appareil de la terre, Gallimard,

1964, p. 40, 62.

17/04/2015

Raymond Queneau, Fendre les flots

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      Quel est ton nom ?

 

Quel est ton nom ?

— Mon nom est naufrage

mon nom découpe l’horizon

seul, seul un mât surnage

survivrai-je à cet orphéon ?

L’ouragan étend ses trompettes

la mer multiplie ses trempettes

survivrai-je à ce rigodon ?

tout se tait puis tout se calme

la constance me tend sa palme

merci ! encore un effort

pour trouver quelque dictame

dans la perspective d’un port

 

 

       Un chemin d’eau

 

Mon avenir est-il sur l’eau

souventes fois me le demande

Où est-il le temps des limandes

où nageant comme un serpentin

je traçais à travers les ondes

mon petit tout petit chemin

mais le crauleur s’est assagi

en restant sur la terre ferme

marcher sur l’eau est difficile

prendre le bateau bien banal

l’Océan dans mon esprit

engendre ici ces poésies

Je marche le long du canal

en regardant les chalands lents

poursuivre leur chemin fatal

vers le port de débarquement

 

Raymond Queneau,  Fendre les flots,

Gallimard, 1969, p. 57 et 170.

01/04/2015

Saint-John Perse, Exil

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                    Photo Lucien Clergue (1974)

 

Portes ouvertes sur les sables, portes ouvertes sur l’exil,

   Les clés aux gens du phare, et l’astre roué vif sur la pierre du seuil :

   Mon hôte, laissez-moi votre maison de verre dans les sables...

   L’Été de gypse aiguise ses fers de lance dans nos plaies,

   J’élis un lieu flagrant et nul comme l’ossuaire des saisons,

   Et, sur toutes les grèves de ce monde, l’esprit du dieu fumant déserte sa couche d’amiante.

   Les spasme de l’éclair sont pour le ravissement des Princes en Tauride.

 

·      *  *

À nulles rives dédiée, à nulles pages confiée la pure amorce de ce chant...

   D’autres saisissent dans les temples la corne peinte des autels :

   Ma gloire est sur les sables ! ma gloire est sur les sables !... et ce n’est point errer, ô Pérégrin,

   Que de convoiter l’aire la plus nue pour assembler aux syrtes de l’exil un grand poème né de rien, un grand poème fait de rien...

   Sifflez, ô frondes par le monde, chantez, ô conques sur les eaux !

   J’ai fondé sur l’abîme et l’embrun et la fumée des sables. Je me coucherai dans les citernes et dans les vaisseaux creux,

   En tous lieux vains et fades où gît le goût de la grandeur.

 

Saint-John Perse, Exil, éditions de La Baconnière, Neufchâtel, 1952, p. 7-9.

 

 

 

 

 

26/02/2015

Maël Guesdon, Voire

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[...]

 

Se frôlent au goût de ce qui. Marchent ensemble. Les rues nous perdent. Avez-vous déjà écouté ma voix quand je suis loin.

 

 

Il serre sous la peau les reliefs dont le récit.

 

On oubliera le nom. Ne reste que. Nos articulations, ce ne sera plus comme avant, les images filmées le café les images de la mer. Elle répète : les images filmées ou la mer.

 

 

Et les autres découvrent.

 

Qui manque. Suit les contours. Nous nous retrouverons derrière la forme — si. Tu as l’air toutes choses, assieds-toi, cela ne restera pas ainsi, pose un pied, viens.

 

Lorsqu’il découvre. Qu’il ne voit plus ce que voient ses yeux. S’arrête, dehors là il s’effondre.

 

Maël Guesdon, Voire, Corti, 2015, p. 22-24.

21/01/2015

Henri Thomas, La joie de cette vie

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L’invisible chemin des longues plages, tout de suite effacé, regagne le temps. Marcher contre le vent, sans penser, tu reviens un peu sur l’enfance, les compagnons surprenants sont là, par instants, la longue vague, les oiseaux en équilibre sur l’eau qui monte et descend, l’horizon qui est après l’horizon, la myriade de débris, les témoins arrêtés des années…

 

Jeunes femmes vêtues d’un sac crevé, tenant aux épaules maigres, creuses, mais belles, par deux rubans en ficelle, et le haut du sac vient à mi-dos. Un slip en dessous, c’est parfait. « Je vous vois, mes filles, mes reines. » Il faudra décidément que je vérifie toutes mes citations de Rimbaud.

 

 

 

 

 

 

Les couleurs de la mer changent en une journée, les étendues vert clair, et celles plus sombres et l’air fraîchit, et les îlots jaunissent, s’intensifient. Des bandes brumeuses s’étirent sur l’horizon. L’esprit change, un autre esprit s’approche dans l’air, une balise gémit par intervalles.

 

Cette herbe déjà jaunie, en pente sur la mer, c’était ma place. J’y ai fait de bonnes lectures, et je descendais dans l’eau transparente. C’était une place pour moi, raisonnablement. Aujourd’hui, je n’y parviens plus, je ne l’ai même pas revue.

 

Même pas de pluie, qui rafraîchirait mon pauvre esprit et ses souvenirs, et ferait peut-être frissonner l’avenir.

 

 

 

Henri Thomas, La joie de cette vie, Gallimard, 1991, p. 36 et 53.

 

 

 

 

 

30/11/2014

Claude Dourguin, Journal de Bréona

 

                                                              claude dourguin,journal de bréona,mer,montagne,mouvement,immobilité

                   Notes sur la montagne

 

   La contemplation de la montagne implique une intériorité plus grande que celle de la mer. D'ailleurs, s'il n'est pas rare de rencontrer sur les quais, sur les rivages des personnes (de toutes sortes) accoudées ou assises face à la mer en observations silencieuse, le cas est beaucoup moins fréquent en montagne. À cause de l'agitation permanente, des mouvements de l'eau, des vagues même peu marquées, la mer donne l'idée de la vie — changeante, imprévisible —suscitant une curiosité sinon une attente — que va-t-il se passer maintenant ? « La mer, toujours recommencée ! » C'est toute une trame anrrative, avec ses anecdotes en sus, le passage d'un bateau de pêche, l'apparition d'une voile là-bas, le train des nuages au ciel, qui se met en place. La montagne, elle, souvent déserte, immobile ne connaît que les modifications de la lumière, beaucoup moins rapides sous les climats qui sont les siens. Quant à l'intérêt pour les météores il exige une attention subtile, une patience attentive indifférente à la monotonie.

 

Claude Dourguin, Journal de Bréona, Isolato, 2014, p. 55-56.

05/11/2014

René Char, Fenêtres dormantes et porte sur le toit

              René Char, Fenêtres dormantes et porte sur le toit,rélité, enchantement, gouffre, solitude, mer, rêve

Venelles dans l'année 1978

 

   Nous nous avançons devant la haie d'une double réalité : la première est la plus coûteuse (la vie continuellement allumée et qui monte jusqu'à la fleur), la seconde est supposée nulle puisqu'elle n'a pouvoir que de lentement nous déshabiller et de nous réduire en poudre. L'avantage de la première sur la seconde est de se savoir fiable, de n'être pas aveugle, de mentir comme elle respire, l'enchantement consommé.

 

   On ne partage pas ses gouffres avec autrui, seulement ses chaises.

 

   Elle ne peut se souffrir seule, l'épouse de l'espoir, serait-ce dans un bain de vagues. Mais sur le berceau convulsé de la mer, elle rit avec les écumes.

 

   La terre prête filles et fils au soleil levant puis les reprend la nuit venant. Leur repas du soir expédié, la cruelle les presse de s'endormir, consentant chichement quelques rêves.

 

René Char, Fenêtres dormantes et porte sur le toit, Gallimard, 1979, p. 61.

© Photo Jacques Robert (Gallimard)

10/10/2014

Dylan Thomas, Poèmes, traduction Patrick Reumaux

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La lumière point là où le soleil ne brille pas

 

La lumière point là où le soleil ne brille pas.

Là où la mer ne s'étend pas, les eaux du cœur

Épandent leurs marées,

Et, spectres brisés, des vers luisants plein la tête,

Les choses de lumière

Passent à travers la chair là où la chair n'habille pas les os.

 

Une chandelle dans les cuisses

Échauffe la jeunesse et la graine et brûle la graine de la vie.

Là où la graine ne lève pas

Le fruit de l'homme s'ouvre dans les étoiles

Brillant comme une figue.

Là où la cire n'est pas, la chandelle montre ses cheveux.

 

L'aube point derrière les yeux.

Des pôles du crâne et de l'orteil, le sang venteux

Glisse comme une mer.

Ni clôturées, ni jalonnées, les giclées du ciel

Fusent à la verge

Révélant dans un sourire l'huile des larmes.

 

La nuit dans les orbites arrondit

Comme une lune de poix la limite des globes.

Le jour éclaire l'os.

Là où le froid n'est pas, la morsure des vents fait tomber les   épingles

Qui retiennent les robes de l'hiver.

La taie du printemps pend au bord des paupières.

 

La lumière point sur des lots secrets

Sur des crêtes de pensées où les pensées sentent dans la pluie.

Quand meurent toutes les logiques

Le secret de la glèbe pousse à travers l'œil

Et le sang saute dans le soleil.

Au-dessus des lopins incultes l'aube fait halte.

 

Dylan Thomas, Poèmes, traduction Patrick Reumaux, dans

Œuvres, I, édition établie par Monique Nathan et Denis Roche,

Seuil, 1970, p. 368-369.

15/07/2014

Valérie-Catherine Richez, Précipités

 

                         jean ristat,le théâtre du ciel,une lecture de rimbaud,verlaine,mort,ciel,amour

J'étais perchée sur ce miroir zébré de griffures. L'endroit où les blessures remontent à la surface. Sous l'eau miroitantes je voyais tournoyer les poissons carnassiers. Je me souvenais d'eux. Le les appelais par leurs noms. Dents acérées. Rien ne pourrait nous consoler. À certaines heures on aurait voulu tout renier. On se roulait sur le sol jusqu'à peser des pierres. Jusqu'à chuter.

 

Chaque nuit on jette un corps.

 

Bancs de lueurs flottantes passant comme des nuées dans la mer, glissant sans bruit sur nos paupières — Peut-être ne devrions-nous jamais parler que de cette nuit où nous marchons, jusqu'à la vider entièrement de son sens. Jusqu'au silence. Prendre si souvent chaque avenue, chaque rue, chaque ruelle, qu'on sache les parcourir les yeux fermés. Et chaque fois nous-mêmes, courants d'air comme usés, épuisées, incréés.

 

Quelqu'un qu'on ne verra jamais.

 

Valérie-Catherine Richez, Précipités, éditions isabelle sauvage, 2014, p. 5-6.

28/06/2014

Lewis Carroll, La Chasse au Snark, traduction Aragon

Lewis Carroll, La Chasse au Snark, traduction Aragon, mer, équipage, billard, castor, nom, oubi

                             Crise première

                              L'atterrissage

 

L'endroit rêvé pour un Snark cria l'Homme à la Cloche

Qui débarquait l'équipage avec soin

Soutenant chaque homme à la crête des vagues

Par un doigt pris dans ses cheveux

 

L'endroit rêvé pour un Snark Ça fait deux fis que je le dis

C'en serait assez pour encourager l'équipage

L'endroit rêvé pour un Snark Ça fait trois fois que je le dis

Ce que je vous dis trois fois est vrai

 

L'équipage était au complet Il comprenait un Bottier

Un faiseur de Bonnets et Capuces

Un Avocat pour aplanir leurs différends

Et un Agent de Change pour faire valoir leurs biens

 

Un Champion de Billard dont l'habileté était immense

Il se peut bien qu'il ait gagné plus que son dû

Mais un Banquier engagé à prix d'or

Avait la garde de tout leur pécule

 

Il y avait aussi un Castor qui arpentait le pont

Quand il ne faisait pas de la dentelle sur l'avant

Et qui les avait souvent à en croire l'Homme à la Cloche

                  sauvés du désastre

Bien qu'aucun des marins ne sût comment

 

Il y en avait un réputé pour le nombre de choses

Qu'il avait oubliées en mettant le pied sur le navire

Son parapluie sa montre tous ses bijoux et bagues

Et les habits achetés pour l'expédition

 

Quarante deux malles qu'il avait Toutes soigneusement faites

Avec son nom en toutes lettres sur chacune

Mais comme il avait oublié de le dire

Elles étaient toutes restées sur la rive

 

[...]

Lewis Carroll, La Chasse au Snark, traduction Aragon, dans

Aragon, Œuvres poétiques complètes, I, édition sous la direction

d'Olivier Barbarant, Pléiade, Gallimard, 2007, p. 379-381.

 

23/05/2014

Antonio Gamoneda, extraits de Chansons de l'erreur

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I

 

Tu as écouté la plainte de la mer. Elle annonce

une imminence.

                         Libère-toi

de la pensée : cette

imminence te dépasse.

                              Libère-toi

                                           Ne réponds pas

à la plainte de la mer.

 

II

 

        Le destin n'existe pas mais il est traversé de racines rouges. Ainsi

est, fut, ma pensée traversée

par l'étincelle de la négation.

                                             Ainsi

les heures crient, prononcent

leur inutile prophétie :

                                    la pourpre

et l'extinction

du lever du jour.

 

III

 

Oui, la négation avance

dans mes veines.

                          Elle loge

dans la sentine creuse

de la pensée.

                   À proprement parler

pas de pensée en moi. La fausseté

me possède, l'unique fruit

permis dans cette

épaisseur vivante.

 

IV

 

Il y a de la colère dans la grisaille. La lumière gagne les      [cours

et les cordes divisent ombres et minéraux.

 

La lumière soutient doucement la majesté des oiseaux, réunit

en un même instant quiétude et vertige.

 

As-tu pensé la lumière hors de tes yeux ?

                                             Pense la lumière.

                                                                       Non ;

tu ne peux la penser : elle

te pense, toi.

 

                    Ferme les yeux.

 

Antonio Gamoneda, extraits de Chansons de l'erreur,

traduit de l'espagnol par Jean-Pierre Bériou et Martine Joulia,

dans Europe, avril 2014, n° 1020, p. 284-285.

 

 

 

 

 

18/03/2014

Philippe Jaccottet (5), Libretto

                        Philippe Jaccottet, Libretto, Venise, voyage, mer, lagune

                       Venise pour la première fois

 

[...]

   Vers le soir, on commence à apercevoir de minces campaniles dans le lointain ; alors, on est tiré de sa léthargie par une impatience nourrie de beaucoup de lectures et de récits. À chaque nouveau campanile, on s'imagine toucher au but. Pas question, bien sûr, d'interroger son voisin, qui d'ailleurs est parfaitement placide. « Venezia Mestre » Des usines au milieu de la plaine, une gare morte sous l'accablant soleil, est-ce donc cela ? On ne comprend plus rien. Et tout à coup : « Mare ! mare ! » s'écrie une petite fille dans un compartiment voisin. C'est vrai, nous sommes en mer ! À toutes les portières, une eau scintillante, qui se perd à l'horizon dans des brumes, berce et aveugle ! Des voiles y volent comme des mouettes ; la langue de terre est juste assez large pour le chemin de fer et la route, c'est pourquoi il semble qu'on navigue ; et déjà, quand on se penche à la portière (bien qu'on sache, depuis l'enfance, du moins en Helvétie,qu'è pericoloso sporgesi), Venise flotte entre l'eau et la brume comme une légère escadre grise  ou comme une île aperçue au fond d'un rêve.

 

Philippe Jaccottet, Libretto, dans Œuvres, préface de Fabio Pusterla, édition établie par José-Flore Tappy, Pléiade / Gallimard, 2014, p. 789.

13/03/2014

Jacques Roubaud, Octogone (5)

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                                 pareil

 

bruit pareil déplaçable

à contrecoup de réponse à musique forçant débris

et si question solaire à partir de ce que je

à toutes n'entendre que voyage émergé

si muet le bleu entrer à peine le comput de l'horizon

vertical assez

rouge diffuse parfois le terroir partant le bruit

les jambes sur entende de toutes façon je

à quoi bon enfin

salée silence et ne

s'échafauder que ceci angoisse reconnue pareil

 

                            ceci angoisse

 

                                      *

                                que ne dira

 

et ceci que ne dira ni gravier ni décrire

soi-même la substitution à soi du rebours de ce qui cria

avale aux vagues rebond

qu'élastique bêche écume souvent replier le sac

proche en proche éclabousser

manger rien

parler rien oui

que paroles parler gommer manger

au bout du retour en rien

miette de la mienne desserré de ses jambes nul

entrevoir son ventre ombre sa bouche jamais

 

                                son ombre sa

 

Jacques Roubaud, Octogone, livre de poésie quelquefois prose, Gallimard, 2014, p. 185 et 192.

24/01/2014

Jean-Loup Trassard, Caloge

                                   Jean-Loup Trassard, Caloge, blé, mer, oiseau, alouette

          Une semaine avec Jean-Loup Trassard

 

   Mer bientôt blonde sur ses orges, mer chevelue de seigles roux. Nous sommes là simplement pour voir. Pour marcher de façon précaire au bord d'une sphère sur son orbe. Et nous croyons que rien n'entame le regard de l'homme vers la mer.

   Marée montante du blé vert, reflux des pailles qui laissent le chaume aride. Dans l'étendue de ciel béant les oiseaux n'ont pas coutume de se percher, ils nichent sur le sol, faute de branches passent en élévation, ou chutes, leur vie criante. Alouettes que leur chant maintient hautes, qui soudain tombent en deux ou trois paliers, et devant notre étrave le vol de l'œdicnème. D'entre les vagues céréales mûrissantes sort l'appel d'une caille, nous la nommons.

   Sensible à cette respiration longue qui nous fait sur les champs monter descendre, à l'ample courbe qui jusqu'au lointain baisse relève les champs avec lenteur, nous allons sous la voile du ciel tendu, à chacun pour seule mâture sa verticalité, d'espace ivres.

 

Jean-Loup Trassard, Caloge, Le temps qu'il fait, 1991, p. 28.