28/05/2023
Marie de Quatrebarbes, Vanités
Brève histoire au regard de l’infini mouvement des astres, des cendres jetées au croisement d’une mer & et trois océans, par exemple, repoussent au loin la décomposition, alors
Si elle porte ses fruits & s’il y a quelque chose de caché entre ses feuilles, un dépôt, une masse en lévitation, le « A » de quelque choses, tracé sur la poitrine de celle qui
Garde à l’ombre ce tout petit ceci que nous avons de commun, en somme le sujet ne sera pas traité du pont de vue de la science, ni de l’anecdote, ni du sentiment, nous nous en tiendrons au matérialisme le plus tendre
De même qu’après la discussion portant sur l’existence d’une semence féminine, un sang rouge coule sur le sol & à l’endroit où il a coulé pousse une fleur également rouge.
Marie de Quatrebarbes, Vanités, Éric Pesty éditeur, 2023, np.
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27/05/2023
Marie de Quatrebarbes, Vanités
« Fleurs » : j’ai dit ce mot par prudence, mais il importe peu. Tout ce qui bat et s’agite, cherche refuge.
On l’appelle aussi « petite chose », comme on le dit d’une personne hors de portée, aspirant l’air par les pieds
Plutôt que de prendre racine, nous passons ; construire une maison n’est plus notre propriété
Où nos pas nous portent, nous allons les pas chargés d’indices, suivant les lignes futures d’un mystère probable.
Marie de Quatrebarbes, Vanités, Érid Pesty éditeur, 2023, np.
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28/03/2023
Philippe Beck, Ryrkaïpii
Tout ce qui se meut se meut
pour atteindre ce qu’il n’a pas.
Il manque de quelque chose
et n’a pas son être entier.
Il y a dans le travail de l’artiste
la tristesse d’un cheval
qui porte des œillères et piétine
l’ère de l’engrenage.
Morsure du nom versé dans s’oreille
comme le ver entêtant,
l’orgue de Barbarie consentant,
l’automatophone qui déroule
un plan-rouleau ou la Toile de la Terre.
Philippe Beck, Ryïkaïpii, Flammarion,
2023, p. 263.
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21/07/2020
Bernard Noël, Qu'est-ce qu'écrire
Qu’est-ce qu’écrire ? III
Il y a ce mouvement que je n’arrive pas à fixer.
Dans la vie courante, ce serait un élan qu’un geste traduirait. Il n’est pas moins présent dans le corps, et cependant il y demeure insaisissable, comme toujours en train de fuir devant. Devant quoi ? Devant ce qu’il ouvre ou attire ou entraîne. Il laisse le goût de sa trajectoire sans laisser une trace : un goût que j’essaie sur un sens puis l’autre sans réussir à le percevoir clairement. C’est... me dis-je en décidant de mettre un nom dessus pour en finir, mais le nom glisse et se dérobe. Il s’agit d’une germination instantanée qui précède une activité si mince, si rapide qu’elle a tout juste eu lieu pour s’effacer. En vérité, je devrais ne pas l’avoir même remarquée.
Bernard Noël, Qu’est-ce qu’écrire ? III, dans La Place de l’autre, Œuvres III, P.O.L, 2013, p. 213.
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26/04/2018
Charles Olson, dans Jacques Roubaud, Traduire, journal
Le printemps
Le cornouiller
éclaire le jour
La lune d’avril
fait la nuit flocons
Les oiseaux soudain
sont multitude
Les fleurs ravinées
par les abeilles, les fleurs à fruit
jetées au sol, le vent
la pluie bousculant tout. Bruit —
sur la nuit même le tambour
de l’engoulevent, nous sommes aussi
occupés, nous labourons, nous bougeons,
jaillissons, aimons Le secret
qui s’était perdu ne se cache
plus, ne se révèle, dévoile
des signes. Nous nous précipitons
pour tout saisir Le corps
fouette l’âme. En grand désir
exige l’élixir
au grondement du printemps,
transmutations. L’envie
se perd qui se traîne. Le défaut du corps et de l’âme
— qui ne sont un —
le coq matinal résonne
et la séparation : nous te saluons
saison de nul gâchis
Charles Olson, dans Jacques Roubaud,
Traduire, journal , NOUS, 2018, p. 86.
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28/01/2016
David Bosc, Mourir et puis sauter sur son cheval
Je suis une jonchée de feuilles, qui dévale, tourbillonne, s’élève, retombe, s’arrête, s’élance à nouveau, se divise, se mêle à d’autres tas de feuilles, plus jeunes ou plus anciens, accueille un papier gras, une page de journal, un morceau de ficelle, se laisse acculer dans une impasse, rebrousse chemin, explose en gerbe folle sur une bouche d’aération, paie son écot à l’eau de la rigole, espère et trouve les jambes nues d’un enfant, n’est aucune des feuilles pas plus qu’elle n’est le vent, elle est la danse, elle est dansée. Fugace impression de me disperser enfin, mais le corps résiste, le pavé, le mur, et même l’air et l’eau m’opposent leur matérialité, leur permanence obtuse.
David Bosc, Mourir et puis sauter sur son cheval, Verdier, 2016, p. 47.© Photo Frédéric Bosc.
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27/08/2015
Marie Étienne, Le LIvre des recels
Péage
On tue une femme ou elle se tue. On ne sait pas. On la retrouve dans le fleuve. On l’a vue sur le pont, il fait nuit. Le fleuve, le pont : un paysage. Ils sont tranquilles et doux, ils possèdent une histoire, permanente. Celle d’une femme qui, différente et la même, a la douleur comme une rage, se voit déteindre assez, dans l’eau des jours, pour se vouloir enfin, trempée, noyée.
Je l’ai aimée, sa silhouette, je l’ai cherchée dans les chroniques d’<Ile-de-France, dans le journal de la province, toujours à feuilleter les faits-divers. Sur la photo le pont, mais vide. Et l’eau.
Tu comprends, j’imagine, ce qui se pourrait, là, passer. La Loire comme aujourd’hui, épaisse et plate, et nous, devant son eau, massée de mouvements internes, ou plantée d’arbres pâles ; la terre en ordre, malgré l’odeur des digues ; çà et là les moissons de pierres entassées, de ciels ; et pesamment le chaud qui baignes la ferveur, l’air qui brise le lisse.
Marie Étienne, Le Livre des recels, Poésie / Flammarion, 2011, p. 157.
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13/04/2015
Eaux de rivières
Eau et soleil (Dordogne)
Près de la rive (Dordogne)
mouvements de l'eau (Dordogne)
Reflets (Vézère)
Photos Tristan Hordé
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20/02/2015
Samuel Beckett, Bande et Sarabande
Ding-Dong
Mon ci-devant ami Belacqua égaya la dernière phase de son solipsisme — avant de rentrer dans les rangs et de commencer à apprécier le monde — en croyant que ce qu’il avait de mieux à faire était de se déplacer sans cesse d’un endroit à un autre. Il ne savait pas comment il était arrivé à cette conclusion mais ce n’était pas à cause de quelque préférence pour un endroit plutôt qu’un autre, il en était sûr. Il aimait à penser qu’il pouvait fausser compagnie à ce qu’il appelait les Furies, simplement en se mettant en mouvement. Quant aux lieux, ils se valaient tous car tous disparaissaient à peine était-il venu y faire halte. La seule action de se lever et de se mettre en chemin, quelles que fussent la provenance ou la destination, lui faisait du bien. Indéniablement. Il regrettait de ne pas avoir les moyens de se laisser aller à ce penchant comme il l’eût désiré, à grande échelle, sur terre et sur mer. Ça et là sur terre et sur mer ! Il ne pouvait se le permettre car il était pauvre. Pourtant, modestement, il faisait ce qu’il pouvait De l’âtre à la fenêtre, de la chambre d’enfants à la chambre à coucher, voire d’un quartier de la ville à un autre, et retour, il trouvait bien le moyen de les accomplir, ces petits exercices de mobilité, et ils lui faisaient assurément du bien, en règle générale. C’était la vieille rengaine des vertes années, le tourment des trimestres et, durant les intermèdes, un bien-être relatif.
Samuel Beckett, Bande et Sarabande, traduit de l’anglais par Édith Fournier, Les éditions de Minuit, 1994, p. 63-64.
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07/12/2014
Jean Genet, L'atelier d'Alberto Giacometti
Tout homme aura peut-être éprouvé cette sorte de chagrin, sinon la terreur, de voir comme le monde et son histoire semblent pris dans un inéluctable mouvement, qui s'amplifie toujours plus, et qui ne paraît devoir modifier, pour des fins toujours plus grossières, que les manifestations visibles du monde. Ce monde visible est ce qu'il est, et notre action sur lui ne pourra faire qu'il soit absolument autre. On songe donc avec nostalgie à un univers où l'homme, au lieu d'agir aussi furieusement sur l'apparence visible, se serait employé à s'en défaire, non seulement à refuser toute action sur elle, mais à se dénuder assez pour découvrir ce lieu secret, en nous-même, à partir de quoi eût été possible une aventure humaine toute différente. Plus précisément morale sans doute. Mais, après tout, c'est peut-être à cette inhumaine condition, à cet inéluctable agencement, que nous devons la nostalgie d'une civilisation qui tâcherait de s'aventurer ailleurs que dans le mensurable. C'est l'œuvre de Giacometti qui me rend notre univers encore plus insupportable, tant il semble que cet artiste ait su écarter ce qui gênait son regard pour découvrir ce qui restera de l'homme quand les faux-semblants seront enlevés. Mais à Giacometti aussi peut-être fallait-il cette inhumaine condition qui nous est imposée, pour que sa nostalgie en devienne si grande qu'elle lui donnerait la force de réussir dans sa recherche.
Jean Genet, L'atelier d'Alberto Giacometti, dans Œuvres complètes, V, Gallimard, 1979, p. 41.
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30/11/2014
Claude Dourguin, Journal de Bréona
Notes sur la montagne
La contemplation de la montagne implique une intériorité plus grande que celle de la mer. D'ailleurs, s'il n'est pas rare de rencontrer sur les quais, sur les rivages des personnes (de toutes sortes) accoudées ou assises face à la mer en observations silencieuse, le cas est beaucoup moins fréquent en montagne. À cause de l'agitation permanente, des mouvements de l'eau, des vagues même peu marquées, la mer donne l'idée de la vie — changeante, imprévisible —suscitant une curiosité sinon une attente — que va-t-il se passer maintenant ? « La mer, toujours recommencée ! » C'est toute une trame anrrative, avec ses anecdotes en sus, le passage d'un bateau de pêche, l'apparition d'une voile là-bas, le train des nuages au ciel, qui se met en place. La montagne, elle, souvent déserte, immobile ne connaît que les modifications de la lumière, beaucoup moins rapides sous les climats qui sont les siens. Quant à l'intérêt pour les météores il exige une attention subtile, une patience attentive indifférente à la monotonie.
Claude Dourguin, Journal de Bréona, Isolato, 2014, p. 55-56.
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21/10/2014
Bartolo Cattafi, Mars et ses ides
Une pierre
Un geste de courage
lancé dans le vent
une pierre roulant lentement tout au long de son trajet
qui dans sa plénitude se reconnaît
et admire ses arêtes
puis émerge comme un marbre depuis la mêlée
ton front
blanc prend peur
inerte défaite poussiéreuse
tombée à tes pieds
mais retentissante
après t'avoir touché.
Gris
Dans ce temps dans ce gris
j'ouvre la porte
j'y entre aisément
comme une goutte dans la mer
mon visage est gris
comme les vêtements qui couvrent
le gris de mon corps
mon âme se montre
aux fenêtres des yeux
avec une part de gris
puisque le reste est encore
charbon non consumé.
Bartolo Cattafi, Mars et ses ides, traduit de l'italien par
Philippe di Meo, Héros Limite, 2014, p. 13, 53.
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