02/11/2024
Jean Tardieu, Jours pétrifiés
Jours pétrifiés
Les yeux bandés les mains tremblantes
trompé par le bruit de mes pas
qui porte partout mon silence
perdant la trace de mes jours
si je m’attends ou me dépasse
toujours je me retrouve là
comme la pierre sous le ciel.
Par la nuit et par le soleil
condamné sans preuve et sans tort
aux murs de mon étroit espace
je tourne au fond de mon sommeil
désolé comme l’espérance
innocent comme le remords.
Un homme qui feint de vieillir
emprisonné dans son enfance,
l’avenir brille au même point,
nous nous en souvenons encore,
le sol tremble à la même place.
le temps monte comme la mer.
Jean Tardieu, Jours pétrifiés, dans Œuvres,
Gallimard, Quarto, 2015, p. 267.
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07/12/2021
Camille Loivier, d'abandon
perdue
au sol
il n’y a plus rien
qu’un aplat sur la terre
(si quelqu’un tendait la main)
passe
un souffle de vent à la surface de la peau
folle patience
on attend de ne plus peser
de ne plus penser, car
penser ne signifie rien
simple comme
un corps qui s’épuise
— remuer ferait mal —
(danse en nous figée)
on est de la pierre
on est
Camille Loivier, d’abandon,
Faï fioc, 2020, np.
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27/03/2015
Fernando Pessoa, Poésies d'Alvaro de Campos
27 septembre 1934
À la veille de ne jamais partir
du moins n’est-il besoin de faire sa valise
ou de jeter des plans sur le papier,
avec tout le cortège involontaire des oublis
pour le départ encore disponible du lendemain.
Le seul travail, c’est de ne rien faire
à la veille de ne jamais partir.
Quel grand repos de n’avoir même pas de quoi avoir à se reposer !
Grande tranquillité, pour qui ne sait même pas hausser les épaules
devant tout cela, d’avoir pensé le tout
et d’avoir de propos délibéré atteint le rien.
Grande joie de n’avoir pas besoin d’être joyeux,
ainsi qu’une occasion retournée à l’envers.
Que de fois il m’advient de vivre
de la vie végétative de la pensée !
Tous les jours, sine linea,
repos, oui, repos...
Grande tranquillité...
Quelle paix, après tant de voyages, physiques et psychiques !
Quel plaisir de regarder les bagages comme si l’on fixait le néant !
Sommeille, âme, sommeille !
Profite, sommeille !
Sommeille !
Il est court, le temps qui te reste ! Sommeille !
C’est la veille de ne jamais partir !
Fernando Pessoa, Poésies d’Alvaro de Campos, traduit du portugais et préfacé par Armand Guibert, Gallimard, p. 119.
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30/11/2014
Claude Dourguin, Journal de Bréona
Notes sur la montagne
La contemplation de la montagne implique une intériorité plus grande que celle de la mer. D'ailleurs, s'il n'est pas rare de rencontrer sur les quais, sur les rivages des personnes (de toutes sortes) accoudées ou assises face à la mer en observations silencieuse, le cas est beaucoup moins fréquent en montagne. À cause de l'agitation permanente, des mouvements de l'eau, des vagues même peu marquées, la mer donne l'idée de la vie — changeante, imprévisible —suscitant une curiosité sinon une attente — que va-t-il se passer maintenant ? « La mer, toujours recommencée ! » C'est toute une trame anrrative, avec ses anecdotes en sus, le passage d'un bateau de pêche, l'apparition d'une voile là-bas, le train des nuages au ciel, qui se met en place. La montagne, elle, souvent déserte, immobile ne connaît que les modifications de la lumière, beaucoup moins rapides sous les climats qui sont les siens. Quant à l'intérêt pour les météores il exige une attention subtile, une patience attentive indifférente à la monotonie.
Claude Dourguin, Journal de Bréona, Isolato, 2014, p. 55-56.
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