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13/04/2022

Carl Norac, Un dans l'innombrable

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Que dis-tu ? Was zegt u ?

 

Au bout du jardin il y a la frontière

Les cousins attendent

Et patientent dans une autre langue que la mienne.

Nous parlons avec nos mains,

juste avant que nos rires ne deviennent des phrases.

Sans flux de paroles il faut inventer un jeu.

C’est en courant que nous le trouvons.

Jusqu’au soir malgré ronces, roses,

aubépines, nous jouons à traverser la frontière,

dans un sens puis dans l’autre,

sans compter les passages, ni les obstacles

Au bout d’un moment, ni héros de papier,

ni surtout conquérant de rien,

les cousins et moi, sans l’air d’y toucher,

nous le sentons bien

ce pouvoir soudain de dessiner,

à notre façon,

l’autre part libre du paysage.

 

Carl Norac, "Un dans l’innombrable", dans la revue de belles-lettres, 2021, 2, p. 30.

20/03/2022

Jean-Claude Leroy, Un visage habituel

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pour qui sent l’étrangeté de la vie

l’étrangeté de l’existence

et l’étrangeté même de l’amour

(ou du rutabaga, du hareng-saur et de la libellule !)

l’étrangeté d’être face au mystère de la lumière

et du réveille-matin, de la loi des dieux et des hommes

pour qui sent ainsi il n’y a pas d’étranger

ni de coupures sur les lèvres

juste la césure qui sert à embrasser

à trop parler parfois, mais à se dire

que non il n’y a pas d’étranger

il n’y a pas d’étrangers

 

Jean-Claude Leroy, Un visage habituel,

Rougerie, p. 29.

30/12/2021

Armand Robin, Le monde d'une voix

 

                  

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                  L'étranger

Je ne suis qu’apparemment ici,

Loin de ces jours que je vous ai donnés

Est projetée ma vie.

 

Malhabile conquérant par mes cris gouverné,

Où vous m’apercevez je ne suis qu’un étranger,

Gestes d’amour partout éparpillés,

Je me fraye une voix isolée, désertée.

 

D’une science à l’autre j’ai pris terrier,

Lièvre apeuré scrutant sur lui braqué

Le fusil savant et sûr de la destinée.

 

Aucune terreur ne m’a manqué.

 

Armand Robin, Le monde d’une voix,

Gallimard, 1968, p. 25.

28/11/2015

Edmond Jabès, Je bâtis ma demeure — Le retour au livre

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L’étranger

 

La coquetterie des choses

à paraître ce qu’elles sont

Le monde est une coterie

L’étranger a du mal à s’y faire entendre

On lui reproche gestes et langue

Et pour sa patiente courtoisie

récolte injures et menaces

 

Edmond Jabès, Je bâtis ma demeure, Poèmes

1943-1957, Gallimard, 1959, p. 265.

 

Chanson

 

Sur le bord de la route,

il y a des feuilles

si fatiguées d’être feuilles,

qu’elles sont tombées.

 

Sur le bord de la route,

il y a des Juifs

si fatigués d’être juifs,

Qu’ils sont tombés.

 

Balayez les feuilles.

Balayez les Juifs.

 

Les mêmes feuilles repoussent-elles au printemps ?

Y a-t-il un printemps pour les Juifs piétinés ?

 

Edmond Jabès, Le Livre des questions, III : Le retour au livre, Gallimard, 1965, p. 29.

06/07/2015

Rose Ausländer, Pays maternel

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À la mer

 

Pourvue de profondes empreintes digitales

La houle déferlante

Nous atteint

 

Nos minutes

Lavées

De la poussière de la ville

 

L’eau

Met en musique nos mots

Sages aquatiques

Cernés de sable

 

Tu es la voix

 

Sois indulgent envers moi

Étranger

Je t’aime

Toi que je ne connais pas

 

Tu es la voix

Qui m’envoûte

Je t’ai perçue

Reposant sur du velours vert

Toi haleine de mousse

Toi cloche du bonheur

Et du deuil inextinguible

 

Rose Ausländer, Pays maternel, traduction Edmond

Verroul, Héros-Limite, 2015, p. 21, 63.