21/01/2015
Henri Thomas, La joie de cette vie
L’invisible chemin des longues plages, tout de suite effacé, regagne le temps. Marcher contre le vent, sans penser, tu reviens un peu sur l’enfance, les compagnons surprenants sont là, par instants, la longue vague, les oiseaux en équilibre sur l’eau qui monte et descend, l’horizon qui est après l’horizon, la myriade de débris, les témoins arrêtés des années…
Jeunes femmes vêtues d’un sac crevé, tenant aux épaules maigres, creuses, mais belles, par deux rubans en ficelle, et le haut du sac vient à mi-dos. Un slip en dessous, c’est parfait. « Je vous vois, mes filles, mes reines. » Il faudra décidément que je vérifie toutes mes citations de Rimbaud.
Les couleurs de la mer changent en une journée, les étendues vert clair, et celles plus sombres et l’air fraîchit, et les îlots jaunissent, s’intensifient. Des bandes brumeuses s’étirent sur l’horizon. L’esprit change, un autre esprit s’approche dans l’air, une balise gémit par intervalles.
Cette herbe déjà jaunie, en pente sur la mer, c’était ma place. J’y ai fait de bonnes lectures, et je descendais dans l’eau transparente. C’était une place pour moi, raisonnablement. Aujourd’hui, je n’y parviens plus, je ne l’ai même pas revue.
Même pas de pluie, qui rafraîchirait mon pauvre esprit et ses souvenirs, et ferait peut-être frissonner l’avenir.
Henri Thomas, La joie de cette vie, Gallimard, 1991, p. 36 et 53.
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