23/03/2024
Michel Deguy, Poèmes de la presqu'île
Le sablier
Si je perds l’habitude de t’aimer, nous voici comme deux retraités qui jardinent séparés par un fil plus épais qu’une digue.
Pour réapprendre : placer la pommette gauche contre ma pommette droite, et frapper doucement sur la nuque pour faire passer de mon côté tes cils, le sable de tes cheveux, ton souffle au goût de fruit.
Toutes les trois minutes renverser le sablier.
Micherl Deguy, Poèmes de la presqu’île, Gallimard, 1961, p. 100.
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27/04/2022
Philippe Blanchon, Suites peintes de Martin
les dieux meurent plus facilement que les hommes
venant les uns après les autres parmi les autres ou dans
la plus absolue des solitudes c’est égal
là où ne s’opposent l’air et le geste
matière engendrée du souffle et de la main
mille manières avant cette dernière
connue ce que peut la main en traçant
l’unicité d’un dessin que la couleur habite
ou non (un oui toujours en son agilité)
la poème de la main et du souffle en
gendré ne crée pas autre mystère — outre
Philippe Blanchon, Suites peintes de Martin,
La Lettre volée, 2015, p. 51.
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06/01/2022
Maël Guesdon, Mon plan
Tant que je ne tourne pas la tête, rien ne bouge. Si je souffle, vous disparaissez. Si je tente de vous attraper (j’approche ma main de l’abri), vous vous éloignez, et je touche la sortie d’un monde figé, à nouveau surpris de vous voir rejoindre les mouvements que je vous prête lorsque je me retourne. Aucun de nous n’est si obstinément présent que vous, là où nous sommes. Ce geste qui vous asperge (comme pour ne plus surprendre le monde qui vit dans notre dos), combien de fois se répète-t-il ?
Maël Guesdon, Mon plan, Corti, 2021, p. 82.
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02/01/2021
Georges Lambrichs (1917-1992), Les Rapports absolus
C’est le geste qui coûte
Une grande froideur fait le jeu de l’histoire, notre destin s’y trouve mêlé et, hâtivement, nous adoptons par mimétisme, un souci logique, vulgaire, bien étranger à notre être qui est composé de fluides et d’humeurs. Je n’en veux, ici, ni à la morale, ni à l’immoralisme tapageur (dont on a pu voir les éclats déjà anciens, divulgués, les réussites esthétiques). Je dis seulement que l’être, notre nature, ne répondent pas à la parole, aux commandements graves, et que l’usage de la parole qui est essentiellement calculateur et médiateur ne véhicule pas la passion, mais qu’il la cogne. Si la vérité est un sens, la passion doit être mise en théorie, et le malheur est donné par surcroît.
(...)
Georges Lambrichs, Les Rapports absolus, collection Métamorphoses, Gallimard, 1949, p. 53.
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12/09/2020
Étienne Faure, Ciné-plage
Logeaient-ils dans la grandiloquence,
le bruit sec bien réel des chaussures
les ramenait, comédiens jour et nuit
sur les planches — presque des étagères —,
à se déplacer lentement, parole et gestes,
dans une jeune ou vieille chair bientôt carne,
mince à passer les portes du décor,
ou tonitruante et tremblante
sous le trouble du verbe en mouvement,
experts à déclamer jusqu’à leur mort
tout ce qu’une cervelle encore recèle
— ce n’est pas là qu’il faut applaudir —
la voix reprenant le dessus,
les mots leur envol déployé
jusqu’aux battements d’ailes imprécis
à la fin qui se joignent
— et le reste est silence.
parole et gestes
Étienne Faure, Ciné-plage, Champ Vallon,
2015, p. 119.
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22/03/2017
Paul Claudel, Connaissance de l'Est
Le pin
L’arbre seul, dans la nature, pour une raison typifique, est vertical, avec l’homme.
Mais un homme se tient debout dans son propre équilibre, et les deux bras qui pendent, dociles, au long de son corps, sont extérieurs à son unité. L’arbre s’exhausse par un effort, et cependant qu’il s’attache à la terre par la prise collective de ses racines, les membres multiples et divergents, atténués jusqu’au tissu fragile et sensible des feuilles, par où il va chercher dans l’air même et la lumière son point d’appui, constituent non seulement son geste, mais son acte essentiel et la condition de sa stature.
La famille des conifères accuse un caractère propre. J’y aperçois non pas une ramification du tronc dans ses branches, mais leur articulation sur une tige qui demeure unique et distincte, et s’exténue en s’effilant. De quoi le sapin s’offre pour un type avec l’intersection symétrique de ses bois, et dont le schéma essentiel serait une droite coupée de perpendiculaires échelonnées.
(…)
Paul Claudel, Connaissance de l’Est, Poésie / Gallimard, 1974 (Mercure de France, 1900), p. 101-102.
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27/04/2015
Jean Follain, Appareil de la terre
Gestes
Au soir éblouissant
ceux qui font ce geste :
clore un vêtement noir
regrettent une jaune terre
où se prenaient leurs pieds.
D’autres que cernent la mer
sur le banc de sable
agitent les bras.
Certains gardent enfin
en fermant les yeux
mais la fleur aux lèvres
le courage des muets.
Un se courbe
pour ramasser le morceau de pain
gonflé d’eau grise.
Matière aux songes
Parfois du milieu d’un champ
on entend les orgues d’église
et point le vent
les plantes gonflent
de rosée invincible
d’aucuns songent
devant la pierre violâtre
l’habit ravagé
les gants prêtés pour la journée
le chat dormant qui a voyagé
Jean Follain, Appareil de la terre, Gallimard,
1964, p. 40, 62.
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