05/04/2025
Henri Thomas, La Joie de cette vie
Il est vrai que j’ai toujours erré seul, c’était mon goût. Mes compagnons étaient les barres de fer des clôtures, les arbres qui vous suivent très peu, le sable endormi u éveillé, le ciel ennuagé ou non. Pourquoi de préférence personne ? Ou bien les bavardages passionnés et incertains, impatients ?
Il n’y a pour un homme que son passé qui existe vraiment, et de plus en plus à mesure que le passé s’approfondit en s’éloignant.
Q’est-ce que la vérité d’un poème — je ne l’ai jamais su ; Mais quelquefois un poème m’a fait plaisir comme un théorème bien compris, après travail et attente, et ce n’était pa s un théorème. Un moment de ma vie, une vivante belle ?
Henri Thomas, La Joie de cette vie, Le Chemin/Gallimard, 1983, p. 72, 83, 89.
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03/04/2025
Henri Thomas, La joie de cette vie
N’essaie pas de rejoindre en réalité quelqu’un qui n’a pas la même pensée que toi. Cela ferme beaucoup de chemins ! mais qui a la même pensée que toi, rien ne te séparera de lui, sauf la réalité.
Vivre, être, s’exprimer — je ne vois rien de plus — car voir ne passe pas outre.
Non, je n’ai pas peur de la mort, ce qui m’effraie, me gêne, m’ennuie, me fait honte, c’est ce que les hommes ont fait de la mort : une horreur privée, un embarras public.
Henri Thomas, La joie de cette vie, Le Chemin/Gallimard, 1991, p. 44, 45, 49.
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02/04/2025
Henri Thomas, La joie de cette vie
Si la mort est la solution forcée du problème appelé la vie, nous ne comprenons pas plus le problème que la solution, et si nous pouvons constater cela, c’est grâce au langage, que nous ne comprenons pas davantage.
Paulhan a buté là-dessus toute sa vie, « comme une grosse mouche dans une vitre », dixit Leyris.
Un ami —Il lui faudrait des qualités que je n’ose rêver de personne et dont je n’ai pas en moi le modèle. C’est en ce sens que « Ô mes amis, il n’y a pas d’amis ».
Ce n’est pas la vérité qui remonte du puits mais quelque chose de noyé et vivant à la fois, un passé.
Écrire, pour moi, ç’a a toujours été une déclaration d’amour à la vie, et quelquefois elle l’acceptait.
Henri Thomas, La joie de cette vie, Le Chemin/Gallimard, 1991, p. 29, 32, 33, 35.
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30/03/2025
Henri Thomas, La joie de cette vie
Nous avons un corps, j’ai un corps comme le soleil est là dans le ciel, ni plus ni moins.
Après la mort, mo corps sera une chose comme tous les autres. Jusque-là, il est moi — qui ne suis pas comme les autres.
J’écris, comme si écrire était mon unique moyen de vieillir sans douleur, et sans jouer un rôle dans les rouages, comme Paulhan, où l’on disparaît quand la machine se modifie pour votre mort.
Je n’aurais pas trop d’un océan pour m’aider à vivre/ Mais quelle fatigue de l’atteindre ! Si je mourais en chemine ? Je quitte tout, presque tout, pour la route des mots.
Incapable de désespérer — en cela pareil aux animaux auxquels nous attribuons l’indifférence devant la mort.
Henri Thomas, La joie de cette vie, Le Chemin/Gallimard, 1991, p. 13, 21, 24, 25.
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19/07/2022
Henri Thomas, La joie de cette vie
Le bonheur d’être assis ou m’agitant un peu, dans une pièce chauffée et silencieuse, avec livres et carnets.
Une bonne part des ennuis de la vieillesse vient des autres, jeunes ou vieux : ils vous retirent, par prudence ou par indulgence ou par mépris, les outils de la vie, les armes, les fonctions.
Il ne faut pas guetter, il faut attendre.
Si l’existence des pauvres (qui seront toujours nombreux, même si le nombre des riches et demi-riches augmente) est fatalement basse, inculte, sans esprit, alors la beauté de la nature est empoisonnée (puisqu’elle n’est que pour les favoris de la fortune), et ce monde est un lieu sinistre. Essayez des systèmes sociaux différents, aucun n’y remédiera.
Henri Thomas, La joie de cette vie, Gallimard, 1991, p. 51, 53, 56, 57.
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18/07/2022
Henri Thomas, La joie de cette vie
C’est une occupation de voir les nuages courir au vent, se déformer, diminuer, s’élever, s’étaler, disparaître furtivement, changer de lumière et d’ombres. Les nuages ne s’amassent pas dans le ciel à ma demande, mais presque.
La case-départ, — mais c’est souvent le départ qui n’a pas lieu — on meurt lentement sur la case départ, « on ne part pas » (Rimbaud, Une Saison).
C’est tellement étrange d’exister autrement qu’une plante ou un caillou, qu’il faudra peut-être s’excuser de mourir.
L’invisible chemin des longues plages, tout de suite effacé, regagne le temps. Marche contre le vent, sans penser, tu reviens un peu sur l’enfance, les compagnons surprenants sont là, par instants, la longue vague, les oiseaux en équilibre sur l’eau qui monte et descend, l’horizon qui après l’horizon, la myriade de débris, les témoins arrêtés des années...
Henri Thomas, La joie de cette vie, Gallimard, 1991, p. 29, 31, 33, 36.
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17/07/2022
Henri Thomas, La joie de cette vie
Il y a la puissance des machines, des engins de mort accumulés dans un endroit où tout est préparé pour les utiliser ô les moyens de déclenchement et la cible.
Nous vivons dans un monde fait d’épaisseurs superposées, terre, mer, brume, nuages, ciel invisible. Tout cela paraît à peine bouger, sinon la légère ligne ou bave d’écume le long des plages qui s’incurvent vers la droite.
J’écris, comme si écrire était mon unique moyen de vieillir sans douleur, et sans jouer un rôle dans les rouages, comme Paulhan, où l’on disparaît quand la machine se modifie pour votre mort.
Incapable de désespérer — en cela pareil aux animaux auxquels nous attribuons l’indifférence devant la mort.
Henri Thomas, La joie de cette viee, Gallimard, 1991, p. 12, 17, 21, 25.
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21/06/2020
Henri Thomas, La joie de cette vie
Je n’ai pas vécu ce que j’écris maintenant ; je le vis, je le découvre, en l’écrivant — sur le mode de l’écriture, comme on dit en croyant par cette formule expliquer quelque chose.
Un ami — il lui faudrait des qualités que je n’ose rêver de personne, et dont je n’ai pas en moi le modèle. C’est en ce sens que « Ô mes amis, il n’y a pas d’amis ».
Vivre, être, s’exprimer — je ne vois rien de plus — car voir ne passe pas outre.
Une bonne part des ennuis de la vieillesse vient des autres, jeunes ou vieux : ils vous retirent, par prudence ou par indulgence ou par mépris, les outils de la vie, les armes, les fonctions, « dont vous n’avez plus besoin ; Reposez-vous, ce serait risqué, ne vous exposez pas... » Ils n’ont jamais tout à fait raison, mais à la fin, de guerre lasse, par indifférence ou mépris, on lâche prise.
Henri Thomas, La joie de cette vie, Gallimard, 1992, p. 30, 32, 45, 53.
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23/06/2017
Henri Thomas, La joie de cette vie
J’écris, comme si écrire était mon unique moyen de vieillir sans douleur, et sans jouer un rôle dans les rouages.
J’ai l’impression d’appartenir à ma vie plus que ma vie ne m’appartienne, qu’il lui reste peu de choses à faire pour m’avoir tout à fait. Je ne lui échapperai pas — mais ce ne sera pas moi, cette vie qui m’a eu.
Si la mort est la solution du problème appelé la vie, nous ne comprenons pas plus le problème que la solution, et si nous pouvons constater cela, c’est grâce au langage, que nous ne comprenons pas davantage.
Henri Thomas, La joie de cette vie, Gallimard, 1992, p. 22, 25, 29.
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31/05/2015
Henri Thomas, La joie de cette vie
C’est une occupation de voir les nuages courir au vent, se déformer, diminuer, s’élever, s’étaler, disparaître furtivement, changer de lumière et d’ombres. Les nuages ne s’amassent pas dans le ciel à ma demande, mais presque.
Je n’ai pas vécu ce que j’écris maintenant ; je le vis, je le découvre, en l’écrivant — sur le mode de l’écriture, comme on dit en croyant par cette formule expliquer quelque chose.
C’est tellement étrange d’exister autrement qu’une plante ou un caillou, qu’il faudra peut-être s’excuser de mourir. Je suis là à six heures du matin, éveillé depuis quatre, le cœur battant, dans l’attente du jour qui sera sans doute encore obscur. Je n’ai, pour répondre de moi, que mes livres, que j’ai oubliés, après m’y être absorbé, peut-être résorbé. Ils sont pareils en cela aux amours, dont on n’a plus que le titre : un nom, un prénom, une couleur dominante ; le reste a disparu, comme l’herbe des champs, comme les lignes écrites il y a six mois ou dix ans.
Nous vivons sur (si l’on pense à la terre) ou sous (si c’est au ciel) d’anciennes terreurs, et c’est la même terreur. La chose et le mot viennent de terre ?
Henri Thomas, La joie de cette vie, Gallimard, 1991, p. 28, 30, 33.
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21/01/2015
Henri Thomas, La joie de cette vie
L’invisible chemin des longues plages, tout de suite effacé, regagne le temps. Marcher contre le vent, sans penser, tu reviens un peu sur l’enfance, les compagnons surprenants sont là, par instants, la longue vague, les oiseaux en équilibre sur l’eau qui monte et descend, l’horizon qui est après l’horizon, la myriade de débris, les témoins arrêtés des années…
Jeunes femmes vêtues d’un sac crevé, tenant aux épaules maigres, creuses, mais belles, par deux rubans en ficelle, et le haut du sac vient à mi-dos. Un slip en dessous, c’est parfait. « Je vous vois, mes filles, mes reines. » Il faudra décidément que je vérifie toutes mes citations de Rimbaud.
Les couleurs de la mer changent en une journée, les étendues vert clair, et celles plus sombres et l’air fraîchit, et les îlots jaunissent, s’intensifient. Des bandes brumeuses s’étirent sur l’horizon. L’esprit change, un autre esprit s’approche dans l’air, une balise gémit par intervalles.
Cette herbe déjà jaunie, en pente sur la mer, c’était ma place. J’y ai fait de bonnes lectures, et je descendais dans l’eau transparente. C’était une place pour moi, raisonnablement. Aujourd’hui, je n’y parviens plus, je ne l’ai même pas revue.
Même pas de pluie, qui rafraîchirait mon pauvre esprit et ses souvenirs, et ferait peut-être frissonner l’avenir.
Henri Thomas, La joie de cette vie, Gallimard, 1991, p. 36 et 53.
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28/09/2012
Henri Thomas, La joie de cette vie
J'écris, comme si écrire était mon unique moyen de vieillir sans douleur, et sans jouer un rôle dans les rouages, comme Paulhan, où l'on disparaît quand la machine se modifie pour votre mort.
Je quitte tout, presque tout, pour la route des mots.
Si la mort est la solution forcée du problème appelé la vie, nous ne comprenons pas plus le problème que la solution, et si nous pouvons constater cela, c'est grâce au langage, que nous ne comprenons pas davantage.
Je n'ai pas vécu ce que j'écris maintenant ; je le vis, je le découvre, en l'écrivant — sur le mode de l'écriture, comme on dit en croyant par cette formule expliquer quelque chose.
Je n'ai, pour répondre de moi, que mes livres, que j'ai oubliés, après m'y être absorbé, peut-être résorbé. Ils sont pareils en cela aux amours, dont on n'a plus guère que le titre : un nom, un prénom, une couleur dominante ; le reste a disparu comme l'herbe des champs, comme les lignes écrites il ya six mois ou dix ans.
Henri Thomas, La joie de cette vie, Gallimard, 1991, p. 21, 28, 29, 30, 33.
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